Выбрать главу

Elle hocha la tête sans répondre. Malko lui caressa la joue et rejoignit Holy Tong. Au regard de ce dernier, il comprit qu’il avait nettement monté dans son estime.

— Je connais un très bon restaurant coréen dans Wan-chai, dit le Chinois, nous y serons tranquilles.

Malko se laissa guider. Ils prirent un taxi et descendirent à Harcourt Road. En entrant dans Gloucester Road, ils furent stoppés par une voiture de police mise en travers de la route. Un important groupe de manifestants s’était formé dans les bidonvilles de Morrisson Hill, près du champ de courses de Happy Valley. Les voitures ne pouvaient plus pénétrer dans Wan-chai.

— Continuons à pied, conseilla Holy Tong, c’est tout près.

Effectivement, le restaurant coréen se trouvait à moins d’un quart de mille, près de l’embarcadère du ferry de Jordan Street. Malko était le seul Européen. Sur chaque table était posé un réchaud à gaz !

Étrange. Malko comprit pourquoi lorsqu’on leur apporta des morceaux de viande crue… La cuisine coréenne tenait de la fondue bourguignonne et du barbecue… Avec une sauce à arracher le vernis de la table.

Quant au vin, on aurait dit une purge. Amer et fort. Holy Tong encouragea Malko à en boire :

— C’est excellent pour la virilité, affirma-t-il. C’est du vin de Gien-seng. Très recherché.

Incorrigible Holy.

Malko prit rendez-vous pour le lendemain, afin de poursuivre son traitement. Mais Holy avait déjà autre chose en tête :

— Je peux vous emmener dans un endroit étonnant, glissa-t-il à Malko. Cela s’appelle la Maison des Oiseaux. C’est rempli d’immenses volières d’oiseaux les plus rares. Et il y a les plus belles filles de Hong-Kong. Si vous voulez, cela ne vous coûtera pas un sou…

— Ce sont des philanthropes ? Holy gloussa, l’œil lubrique.

— Non. Mais il y a beaucoup de riches Chinois trop vieux pour faire l’amour. Alors, ils viennent et ils regardent. Ce sont eux qui paient pour les filles.

À l’écouter, Holy devait être un habitué. Pour son compte, il n’avait pas la moindre envie de servir de cobaye à de vieux Chinois. Il régla l’addition et ils sortirent. Malko avait hâte de se rendre au consulat rapporter la bonne nouvelle à Dick Ryan. Le Chinois remontait dans sa villa et il le déposa au pied du funiculaire dans Garden Street.

Dick Ryan était vêtu d’une façon qui aurait fait hurler le colonel Whitcomb. Un costume léger avec des raies si larges qu’il ressemblait à un pyjama de déporté. Deux grandes rides plissaient son front très bombé. Il n’avait pris aucune note depuis le début du récit de Malko, mais crayonnait son sous-main.

Ils se trouvaient dans son bureau, au onzième étage. Par les fenêtres on apercevait Wan-chai et l’est de la baie de Kowloon.

Malko termina son récit. Ryan but une gorgée de thé et alla à la fenêtre. Les barbelés du toit de la Bank of China se découpaient dans le soleil.

— Je donnerais cher pour aller faire un tour là-dedans, soupira-t-il.

Il se tourna vers Malko :

— Le Coral-Sea sera ici dans une semaine.

» Je crois à votre histoire, maintenant. Mais je voudrais bien savoir comment ce minable de Cheng Chang a pu avoir une information aussi capitale et vraie ! Puisqu’on l’a tué. Il y a un mystère là-dessous.

— Qu’allez-vous faire au sujet du Coral-Sea ? Ryan émit un bruit peu distingué.

— Prier. Avertir Washington et les Anglais. Le mieux serait qu’il retarde sa visite. Cela donnerait le temps de découvrir quelque chose de plus précis. Mais c’est une décision qui ne dépend pas de moi.

— Pourquoi ne rien dire aux Anglais et empêcher le Coral-Sea de venir tout simplement ? suggéra Malko.

Ryan cracha avec précision dans un crachoir, à un mètre.

— Vous plaisantez ? Et les British ? Et le commerce local ? La 7e flotte, c’est la manne pour les putes et les boîtes de Wan-chai. Sans compter les tailleurs. Si on leur faisait ce coup-là, en douce, ils seraient fichus de nous virer. On ne peut pas se permettre de les doubler. Hongkong appartient encore à Sa Gracieuse Majesté…

« Je vais convoquer ce cher colonel Whitcomb pour une petite conférence… Le plus tôt sera le mieux. Il n’y a plus qu’à prier Bouddha pour qu’il nous donne son feu vert. Lui sait que le Coral-Sea est en route pour Hongkong… C’est aussi un petit encouragement vis-à-vis de la Chine de Taipeh. Imaginez ce qui se passerait si le Coral-Sea et deux ou trois autres étaient dans la rade juste au moment où les Rouges décident d’envahir Hong-Kong ? Sacrée force de dissuasion, non ?

» Croyez-moi, Whitcomb ne nous aime pas, mais on va avoir du mal à le lui arracher son porte-avions. Ça vaut tous les lanciers du Bengale…

* * *

Les yeux bleus du colonel Whitcomb transperçaient Dick Ryan sans le voir.

— Je refuse, dit-il d’une voix égale… En tant que responsable de la sécurité dans la colonie, je puis vous affirmer que rien de fâcheux n’arrivera aux bâtiments de la 7e flotte tant qu’ils seront mouillés dans la rade. Je vous en réponds sur ma tête.

Bougon, Ryan haussa les épaules et marmonna :

— Cela nous fera une belle jambe, quand le Coral-Sea sera au fond de l’eau, d’avoir votre démission.

Le colonel Whitcomb fit comme s’il n’avait pas entendu. Il tapotait, à un rythme exaspérant, le buvard placé devant lui. Les trois hommes se trouvaient dans la salle de conférence, au troisième étage du consulat. Malko avait juste eu le temps de redescendre au Hilton une heure avant la réunion.

Le colonel Whitcomb n’avait marqué aucune surprise en trouvant Malko dans le bureau. Il avait même fait comme s’il n’existait pas.

— Mais enfin, monsieur Ryan, fit Whitcomb, sarcastique, que craignez-vous donc ? Je croyais que le Coral-Sea était invulnérable ?

Ryan cracha et leva un doigt accusateur :

— Bon sang, et si les Rouges s’amusent à installer un canon à charge creuse sur la Bank of China, il vous faudra combien de temps pour aller les déloger ? Vos hélicoptères ne peuvent pas y atterrir. Et si vous devez vous battre dans les étages, ça prendra trois semaines…

» D’accord, le Coral-Sea viendra. Mais que le drapeau anglais flotte sur la Bank of China…

Whitcomb serra les lèvres. Dick Ryan avait touché un point sensible. Ces enclaves communistes dans la colonie étaient comme des épines dans sa chair.

— Si vous étiez chargé de la sécurité de Hong-Kong répliqua-t-il, j’aimerais savoir comment vous vous y prendriez. Je vous rappelle que les communistes peuvent nous couper l’eau quand ils le veulent et déclencher ainsi la révolution en quarante-huit heures. Sans tirer un coup de feu…

Malko se gratta la gorge. Visiblement Ryan et Whitcomb se haïssaient. Ce qui n’était pas pour arranger les choses.

— Colonel, demanda-t-il, en quoi cela vous est-il nuisible que le Coral-Sea ne vienne pas à Hong-Kong cette fois-ci ? Ce n’est pas une mesure définitive, nous voulons seulement éviter un risque d’incident.

— Monsieur, fit Whitcomb avec un mépris infini dans la voix, vous ne connaissez rien aux Jaunes. De deux choses l’une : ou, comme je le crois, il s’agit d’une habile intoxication. Dans ce cas, nos adversaires verront qu’il suffit de nous faire peur pour nous faire reculer. Imaginez les conséquences désastreuses pour la colonie, à longue échéance.

Il s’adressa plus particulièrement à Ryan, sarcastiquement :