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— À Macao, l’évêque a besoin de l’autorisation du parti pour ouvrir son église. Voulez-vous que ce soit la même chose à Hong-Kong ?

Personne ne répondit. Le colonel Whitcomb alluma sa pipe et continua :

— Dans l’hypothèse où tout cela n’est qu’un bluff, nous sommes également perdants. Les communistes savent que le Coral-Sea doit relâcher ici ; ils se demanderont pourquoi il ne vient pas. Et cela créera un précédent. Car ils prétendront que c’est l’action des forces démocratiques qui l’a empêché de venir. N’oubliez pas que nous sommes engagés dans un combat à mort, un combat où la psychologie a plus d’importance que les armes. En lui-même, le Coral-Sea n’a pas plus d’importance que les huit divisions rouges qui se trouvent de l’autre côté de la frontière. Mais il doit être là…

« Bref, ajourner cette visite serait perdre la face vis-à-vis des Chinois. Je m’y oppose absolument et j’exprime l’opinion du représentant de Sa Très Gracieuse Majesté la Reine et du gouvernement du Royaume-Uni.

« De toute façon, le cocktail de bienvenue est déjà préparé, pour les officiers supérieurs du Coral-Sea, jusqu’au grade de capitaine…

Ça risquait d’être un cocktail Molotov… Le côté armée des Indes ne perdait pas ses droits. Malko guignait du coin de l’œil Dick Ryan qui se retenait d’exploser. L’Américain serrait tellement ses petites lèvres, qu’il semblait ne plus en avoir du tout.

— Colonel, fit-il doucereusement, votre raisonnement est parfait. Mais pouvez-vous me dire ce qui arrivera si vos calculs sont faux, et si on retrouve le Coral-Sea au fond de la rade de Hong-Kong. Vous oubliez une chose aussi : moi, je suis responsable de la sécurité des bâtiments de la flotte lorsqu’elle relâche ici. Et cette sécurité, dans les circonstances actuelles, je ne peux absolument pas l’assurer. Ceux qui ont mis une bombe à bord du Bœing des China Airlines ne sont pas des plaisantins. Les avez-vous identifiés ?

L’ambiance ne s’arrangeait pas. Un ange passa et s’enfuit à tire-d’aile.

Le colonel Whitcomb resta silencieux pendant une interminable minute :

— Well, fit-il. D’abord nos services suivent de très près l’affaire du Bœing. Puisque vous m’y forcez, je peux aussi vous dire que j’ai la preuve que le dénommé Cheng Chang est vivant. Nous sommes sur sa piste. Lui retrouvé, nous posséderons les informations qui nous manquent. C’est ce qui explique mon optimisme…

Ryan et Malko échangèrent un regard d’intense surprise. Ça, c’était nouveau. Nouveau et explosif.

— Comment savez-vous qu’il est vivant ? coupa Ryan brutalement.

— Nous avons retrouvé la personne qui a transporté un Chinois blessé de Kai-tak jusqu’à une maison de Hanoi Street, le soir de l’accident. L’enquête a montré qu’il ne pouvait s’agir que de Cheng Chang. Depuis, nous avons perdu sa trace.

— Et vous prétendez retrouver un Chinois à Hong-Kong en quelques jours, ironisa Ryan, alors que vous n’êtes pas même fichu d’empêcher les poseurs de bombes…

Whitcomb rougit violemment.

— Je suis à Hong-Kong depuis quinze ans, Mister Ryan, fit-il et je peux vous dire que nous subissons rarement des échecs.

— Cheng Chang était-il grièvement blessé ? demanda Malko pour éviter que l’Anglais et l’Américain ne se sautent à la gorge.

Le colonel daigna répondre :

— Assez sérieusement, d’après les déclarations de notre témoin, mais pas assez pour mettre sa vie en danger.

— Vous n’êtes pas le seul à le rechercher, ce Cheng Chang, dit perfidement Ryan. Rien ne dit que vous serez le premier à le retrouver…

Whitcomb ne broncha pas. Il avait raté sa carrière. Au poker, il aurait gagné dix fois sa solde.

— Je suis heureux de rencontrer ici M. Linge, qui s’était fait passer à mes yeux pour ce qu’il n’était pas, fit-il.

Ses yeux bleus se fixèrent sur Malko :

— J’enquête sur le meurtre d’une Chinoise. Justement l’épouse de ce Cheng Chang. Elle a été assassinée à l’aide d’une dose massive de cyanure le lendemain de l’explosion du Bœing. Or, un témoin chinois, une jeune fille, a aperçu un homme, un Blanc, dont le signalement correspond absolument à celui de M. Linge, entrant dans l’appartement du meurtre, quelques minutes avant que l’on ne découvre le corps.

« Nous avons également retrouvé le chauffeur de taxi, qui a conduit M. Linge loin du lieu du crime.

« Je vais donc demander à votre collaborateur de se mettre à notre disposition. Une arrestation n’est pas exclue…

Malko se sentit plutôt mal à l’aise. Les prisons à Hongkong, ça devait être quelque chose. Il se voyait déjà immolé sur l’autel des dissentiments anglo-américains… Il glissa un œil à Ryan : l’Américain virait à l’aubergine, rejoignant la couleur de sa chemise.

— Colonel Whitcomb, dit-il en martelant chaque mot, j’ai l’honneur de vous faire savoir que le prince Malko Linge appartient au personnel diplomatique de notre consulat ; au titre de vice-consul. Et qu’en conséquence, il est hors de question que vous le poursuiviez et même que vous l’interrogiez. Tout ce que vous pouvez faire, c’est demander son rappel. Dans les circonstances actuelles, je crains que les démarches ne soient extrêmement longues…

Malko ferma ses yeux dorés. C’était la douche écossaise : le fait d’être vice-consul n’était pas désagréable… Cela correspondait plus à ses aspirations profondes que d’être barbouze de luxe. Évidemment, lorsqu’on savait que le modeste consulat de Hong-Kong comptait cent cinquante vice-consuls, pour une population de trois mille cinq cents Américains, le poste était un peu moins honorifique… Mais enfin…

Le colonel Whitcomb n’avait pas désarmé.

— Puis-je vous demander à quand remonte cette nomination ?

— À maintenant, fit brutalement Ryan. Et ne me dites pas que je n’ai pas le pouvoir de nommer le prince Malko. Je l’ai.

L’Anglais en resta la bouche ouverte. Vraiment ces Américains n’avaient pas le sens des convenances. Mais Ryan n’avait pas fini :

— Whitcomb, fit-il, oubliant volontairement son grade, si les gens de Formose savaient l’histoire de la filière du Kwang-si, je pense que vous auriez intérêt à demander une mutation…

— L’histoire du Kwang-si ? répéta le colonel Whitcomb d’une voix neutre. Je ne vois pas…

— Laissez-moi vous rafraîchir la mémoire, cingla Ryan. Il y avait une filière d’infiltration en Chine rouge. Formose y a envoyé une douzaine d’agents l’an dernier. Jusqu’au moment où ils se sont aperçus que leurs agents étaient attendus au relais de Canton et coupés en morceaux avec tous les raffinements dus à leur rang.

L’Américain brandit un index vengeur.

— Vous le saviez depuis le début, colonel Whitcomb. Par cette vieille fripouille de Wang-chau qui a déjà trois fois changé de camp. Il se tourna vers Malko : Wang-chau est le chef de la police chinoise de Hong-Kong. Il est resté trois ans chez les communistes puis est revenu. Seulement vous n’avez rien dit pour ne pas risquer de le griller… Whitcomb tira sur sa pipe :

— Ces gens seraient morts de toute façon. Ils étaient stupides…

— Si vous voulez tuer tous les cons, fit Ryan, vaut mieux creuser le grand canon du Colorado. Ils n’y tiendront pas tous.

— Mais vous en auriez fait autant, soupira Whitcomb angéliquement. Je ne pense pas que vous ayez une très grande estime pour les gens de Formose, n’est-ce pas ?

L’ange repassa et s’enfuit, dégoûté de tant de cynisme. Malko regardait la table. Tout cela ne lui disait rien qui vaille. Le colonel Whitcomb se leva comme si de rien n’était, après un coup d’œil à sa montre.