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— Ce bouton-là avertit qu’il ne faut plus passer devant le box. Celui-ci fait venir une seconde fille, celui-là un médecin…

— Un médecin ?

— Beaucoup de clients sont âgés. Ils abusent de leurs forces… Cet autre est pour appeler au secours… Enfin celui-ci – elle désigna un bouton noir – permet l’enregistrement sonore de ce qui se passe dans le box. Tout est centralisé dans une salle sous celle-ci. Tout est noté. Lorsqu’un client arrive, les mama-san l’aiguillent sur celle qui est capable de satisfaire le mieux ses goûts les plus intimes.

— Eh bien ! fit Malko, suffoqué, il ne manque que la télévision.

— Certains boxes sont pourvus de caméras, précisa Mina, imperturbable. Mais l’on ne filme que les Blancs, à leur insu. Ensuite, les films sont revendus très cher à l’étranger.

Les chefs de la maffia en auraient mangé leur cigare de dépit, devant une telle organisation. Malko eut du mal à redescendre sur terre.

— Mina, dit-il, vous allez peut-être gagner votre passeport. L’homme dont vous réclamiez le cadavre, Cheng Chang, est vivant. Il se cache quelque part dans Hongkong. J’ai cinq jours pour le retrouver. Pouvez-vous m’aider ?

— Il est vivant, répéta-t-elle à voix basse. Vous en êtes sûr ?

— Certain, dit-il, s’avançant un peu. Et il me le faut. Mina semblait à mille lieues. Soudain, elle fit :

— Demain, je ne travaille pas. Je pourrai vous voir. Je saurai peut-être quelque chose.

— D’accord, acquiesça Malko. Venez me prendre au Hilton. Appartement 2220. Vers huit heures.

Il but une gorgée de thé et se leva. Il avait rendez-vous avec Dick Ryan. Mina le raccompagna jusqu’à la porte. La mama-san lui présenta la note : cent dollars HK. C’était hors de prix pour une tasse de thé, même avec la pulpeuse Mina. Il se retrouva sous le soleil de Tai-Wang Road un peu étourdi. Décidément Hong-Kong réservait bien des surprises. L’enseigne au néon de Damaru, le grand magasin japonais, brillait au-dessus de Wang-chai. Il allait faire nuit.

Il entrait à peine dans sa chambre que le téléphone sonnait. Il décrocha. Une voix féminine, incontestablement chinoise, parlant un anglais sifflant et heurté, demanda :

— Monsieur Linge ?

— Oui.

— Si vous voulez savoir quelque chose sur M. Cheng Chang, venez dans une heure au Fenwick Street Pier. Ne dites rien à personne.

Elle raccrocha. Malko resta le combiné à la main. Sa mémoire hors pair ne pouvait pas le tromper, c’était la voix déguisée de la troisième veuve de Cheng Chang, celle qu’il n’avait plus revue depuis la morgue. Pour qui travaillait-elle, celle-là ?

Sur le plan de Hong-Kong, il trouva facilement Fenwick Street Pier. C’était une petite jetée, à l’entrée de Wang-chai, près de la caserne de police et du terrain d’hélicoptères. Il pouvait y aller à pied de l’hôtel. Se méfiant du colonel Whitcomb, il descendit dans le hall téléphoner d’une cabine publique, à Dick Ryan. L’Américain en siffla de joie.

— Vous allez voir qu’on va se retrouver avec deux ou trois Cheng Chang et autant d’informations fausses…

Toujours optimiste.

Malko aurait bien voulu savoir si c’était le résultat de ses indiscrétions contrôlées. En tout cas, cela bougeait… Il n’y avait plus qu’à mettre la main dans le piège en espérant qu’il ne se refermerait pas trop vite. Dommage que ses deux gorilles, Chris Jones et Milton Brabeck ne soient pas là avec leur artillerie portative. Ils n’avaient peur de rien. Sauf des virus et microbes. Même pas des Chinois.

Fenwick Street Pier était aussi sinistre que désert. C’était une mince bande de ciment s’avançant dans la mer, séparée de Hartcourt Road par un terrain vague. Malko attendait, en faisant les cent pas. L’heure du rendez-vous était passée depuis une bonne demi-heure. Il avait beau écarquiller les yeux, rien ne bougeait sur les petits sampans sans lumière ancrés au pier.

De l’autre côté de Hartcourt Road, clignotaient les néons nostalgiques du Suzie Wong Bar, vide de marins. Une voiture de police grillagée ralentit en passant devant le portier et tourna dans Fenwick Street, regagnant la caserne.

En venant à pied, juste à côté du bar, Malko avait senti soudain l’odeur caractéristique de l’opium, devant un rideau de fer baissé.

Une fumerie clandestine.

Pas de veuve. Malko avait sérieusement envie de s’en aller.

Plusieurs silhouettes inquiétantes étaient déjà apparues dans l’ombre du quai. C’était un coin à se faire étrangler.

L’eau noire clapotait contre le quai. Un couple enlacé passa près de Malko sans le regarder et monta dans un des sampans. Des rafales de vent plaquaient le costume léger de Malko contre lui. Une fille sortit d’un sampan et vint se planter devant lui. Il ne comprit pas d’abord ce qu’elle disait. Puis, soudain, elle écarta sa blouse pour montrer deux jeunes seins pointus. Elle n’avait pas seize ans. Cela se passait de commentaires. Il refusa avec un sourire et la fille regagna son sampan.

Il retraversait le terrain vague pour partir lorsque la « veuve » apparut, essoufflée, venant de Wang-chai, vêtue d’un pantalon noir et d’une blouse assortie, les cheveux tirés en chignon. Elle bredouilla des explications embrouillées à propos d’un barrage de police qui l’avait retenue, puis entraîna Malko par la main.

Elle s’engagea sur le pier et le suivit jusqu’au bout. Un Chinois attendait debout près du dernier sampan. Il la salua. Mme Cheng aida Malko à monter.

Le sampan était aménagé en chambre à coucher. Une banquette assez longue pour s’y étendre occupait tout le fond. Des toiles fermaient hermétiquement les quatre côtés. Bien en vue sur le lit, il y avait une vieille serviette sans couleur. C’était une maison de rendez-vous flottante. Une lanterne de papier diffusait une lueur jaunâtre. La Chinoise sauta à bord à son tour. Aussitôt, Malko sentit que le sampan glissait silencieusement en avant. Le Chinois manœuvrait à la godille.

— Où allons-nous ? demanda Malko, médiocrement rassuré.

— Je vous expliquerai, répondit la Chinoise. Plus tard. Il ne faut rien dire.

Pendant plusieurs minutes, ils n’échangèrent pas une parole. Elle s’était assise près de lui. On n’entendait que le clapotis de la godille et le bruissement de l’eau contre la coque. Soudain, Mme Cheng se rapprocha de Malko. Elle était assez jolie. Il sentit d’abord sa cuisse contre la sienne, puis, insensiblement, tout son corps. Il crut d’abord que le léger roulis du sampan en était responsable, mais il bougea un peu et la Chinoise suivit son mouvement. Sa main se posa sur le genou de Malko. Toujours sans qu’une parole ait été échangée.

Lentement la main remonta le long de sa cuisse. En même temps, la Chinoise se laissait aller en arrière sur la banquette. Décidément, les veuves de Cheng étaient d’humeur folâtre. Malko gardait la tête froide, heureusement. Ce subit accès de passion ne lui disait rien qui vaille. Discrètement, il repoussa le rideau de son côté.

Ils étaient au beau milieu de la baie de Kowloon. La masse sombre d’un cargo japonais se dressait tout près d’eux. Soudain, Mme Cheng se leva et souffla la lanterne. Quand elle se recoucha, sa main s’attarda sur le corps de Malko, avec une précision qui aurait fait honte à un légionnaire. Il comprit en un éclair le but de cette exploration systématique : elle vérifiait s’il ne portait pas d’arme.

Lorsque la Chinoise l’attira sur elle, il se laissa faire, tendu comme une corde à violon, prêt à tout.

Elle eut un dixième de seconde d’avance. Ses jambes et ses bras l’emprisonnèrent avec une force insoupçonnée. En même temps, elle poussait un cri guttural :