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Tandis qu’il s’épongeait le visage avec une petite serviette brûlante distribuée par l’hôtesse, la Caravelle de la Thai décolla sans une secousse. Destination Hong-Kong, où ils arriveraient quatre heures plus tard.

Hong-Kong qui signifie en chinois « Havre paisible ».

Pas si paisible que cela à en croire Max l’ordinateur.

CHAPITRE II

La tête ronde de Cheng Chang cachait un cerveau gros comme une noisette. Le vent devait souffler sous son crâne sans rencontrer beaucoup d’obstacles. Mais quand il avait une idée, il la suivait jusqu’au bout. Cheng Chang se pencha au hublot du Bœing 727. Les lumières de l’île de Hong-Kong brillaient à gauche de l’appareil. En se tordant le cou, le Chinois aperçut le ruban balisé de lumières bleues de la piste d’atterrissage de Kai-tak avançant dans la mer comme un doigt géant dont la main aurait été Kow-loon, la presqu’île de la colonie, où s’entassaient deux millions et demi de personnes.

Le Bœing était à moitié vide. Les China Airlines opéraient depuis trois mois seulement entre Formose et Hong-Kong et n’arrivaient pas encore à concurrencer les luxueuses Caravelle et l’impeccable service de leur concurrent, la Thai International. À côté du Chinois, une jeune femme, boudinée dans un cheong-sam de soie noire, dormait la bouche ouverte, son vêtement remonté haut sur ses cuisses. Cheng loucha une seconde, avant d’attacher sa ceinture de sécurité. Brusquement il plongea le bras sous son siège : un peu plus il oubliait la boîte de chocolat.

C’est tout ce qu’il rapportait de Formose et il en ressentait une certaine amertume. En raclant ses derniers dollars pour payer son billet d’avion, il avait rêvé de revenir à Hong-Kong les poches pleines de billets, après avoir été accueilli à bras ouverts par les agents de Taipeh. Il s’était fait tout un cinéma, le naïf Cheng Chang.

Il soupira. Le Bœing vira sur l’aile et se prépara à se glisser entre les dangereuses collines de Hong-Kong. Ce qui ne troubla pas la rêverie morose du Chinois.

La réalité avait été bien différente de ses rêves. Il avait été reçu dans un bureau minable, par un capitaine à la tenue maculée de taches de graisse, qui l’avait à peine écouté et l’avait prié de revenir deux jours plus tard. Cheng Chang, connaissant les usages du Kouo-min-tang, avait discrètement fait comprendre que, si son information était payée au juste prix, son interlocuteur en recevrait une part méritée.

Son discours avait été accueilli par un silence glacial, ce qui était mauvais signe. Pendant deux jours, il avait tourné en rond dans Formose, n’ayant même pas assez d’argent pour profiter des bordels aussi nombreux que les arbres de l’île. Lorsqu’il s’était retrouvé en face de son interlocuteur, il avait tout de suite compris que cela ne marchait pas. L’officier lui avait dit sèchement que les Services de renseignement du généralissime Tchang Kaï-chek n’avaient que faire des racontars d’un ver de terre de son espèce.

Avanie suprême, le capitaine ne lui avait même pas offert de thé ! Il ne s’était radouci que pour tendre à Cheng Chang, cassé en deux, une énorme boîte de chocolats, lui demandant comme un service de la remettre à une de ses parentes à Hong-Kong. L’adresse était sur la boîte.

Cheng Chang n’avait pas osé contrarier un aussi puissant personnage et avait pris la boîte.

Sa ceinture de sécurité solidement attachée, le Chinois caressa amoureusement du regard la grande boîte posée sur ses genoux. Vu son poids, elle devait contenir au moins trois rangées de chocolats. L’eau lui en venait à la bouche. Il y a longtemps qu’il n’avait pas eu les moyens de s’offrir une telle douceur. Les affaires allaient mal. Cheng Chang possédait un minuscule bureau dans une ruelle de Kowloon et servait d’homme à tout faire aux producteurs de cinéma venant tourner à Hong-Kong. Avec sa vieille serviette de cuir marron, bourrée de paperasses, ses yeux globuleux et son sourire ineffaçable, il gagnait gentiment sa vie, jusqu’au moment où les communistes avaient commencé à jeter des bombes un peu partout.

Les producteurs s’étaient envolés presque aussi vite que les milliardaires chinois de Repuise Bay. Cheng avait dû liquider les deux jeunes Chinois qui l’aidaient, gardant une secrétaire squelettique. Heureusement le téléphone était gratuit. Il en était réduit à conduire les rares touristes du Hilton ou du Mandarin dans les fumeries d’opium prétendument clandestines de Wan-chai. Ce qui laissait tout juste de quoi acheter un bol de riz par jour.

Cheng Chang soupira en regardant les chocolats.

Il ne demandait pas beaucoup à la vie. Durant les derniers jours, il avait échafaudé des plans pour son avenir. Racheter la fabrique de perruques d’un de ses amis. Il fallait cinquante mille dollars Hong-Kong. Cela lui rapporterait de quoi vivre tranquillement. Sans compter les trente jeunes ouvrières sur lesquelles il pourrait exercer un juteux droit de cuissage.

Tout cela s’était envolé en fumée sous le regard méprisant de l’officier de Taipeh. Quant aux Américains, ils ne l’avaient pas plus pris au sérieux. Ce n’était pas si facile que cela de se lancer dans l’espionnage.

Brusquement, Cheng eut l’estomac tordu d’angoisse.

Et si on le dénonçait aux communistes ! Il revit les yeux noirs et méprisants de l’officier. À lui, il avait été obligé de donner ses nom et adresse.

Il tenta de calmer son angoisse en raisonnant. Les gens de Taipeh haïssaient les Rouges.

De penser à l’officier le ramena aux chocolats. Et brusquement il fut pris d’une sainte colère. Il n’aurait pas tout perdu !

Délibérément sa main parcheminée glissa sur le rhodoïd. Il les avait cachés sous le siège pour éviter la tentation. Il en avait eu un peu honte. Maintenant, il se sentait plus de courage.

Son ongle noir passa sous le rhodoïd, coupant le papier. Il était temps. L’hôtesse nasilla avec un accent de Tching-king à couper au couteau :

— Nous allons atterrir à Hong-Kong dans quelques instants. Veuillez ne plus fumer.

Cheng Chang jeta un coup d’œil furtif à sa voisine, toujours endormie, et souleva délicatement le couvercle de l’énorme boîte. Il n’avait pas la moindre intention de lui en offrir. Le couvercle se détacha avec un petit bruit de succion et Cheng le rangea soigneusement dans le dossier de son fauteuil. Puis il baissa les yeux sur le contenu de la boîte.

L’hôtesse, en train de passer des bonbons dans le couloir central, entendit un cri étouffé. Son regard tomba sur Cheng Chang et elle étouffa une exclamation. Naturellement saillants, les yeux du Chinois semblaient prêts à jaillir de leurs orbites. Elle crut à un malaise et se pencha aussitôt vers lui :

— Vous êtes malade, sir ?

Oubliant sa ceinture de sécurité, Cheng voulut se lever, mais retomba sur son siège, tenant la grande boîte de chocolat à deux mains. Comme un prêtre portant le Saint-Sacrement, il la tendit à l’hôtesse, qui la prit sans réfléchir.

Quand elle en vit le contenu à son tour, elle poussa un cri étranglé. L’intérieur de la boîte était un entrelacs de fils multicolores qui reliaient quatre cylindres rouges de la taille d’un saucisson moyen. Une boîte noire, grosse comme un paquet de cigarettes, était au centre du système.

La jeune Chinoise sentit ses jambes se dérober sous elle. Ses genoux s’entrechoquèrent et elle dut s’appuyer au dossier d’un fauteuil pour ne pas tomber. Alternativement, elle regardait le passager qui lui avait tendu la boîte et le contenu de cette dernière, tétanisée. Le Bœing n’était plus qu’à une trentaine de mètres d’altitude au-dessus de la mer. Volets baissés, il ne dépassait pas deux cent vingt à l’heure. Pour une fois, le temps était clair sur Hong-Kong. Les silhouettes de trois grosses jonques filèrent à travers les hublots.