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— Deux Hong-Kong dollars seulement, fit Mina. Elles n’ont même pas de chambre, elles font ça sous les arcades de Des Vœux Road, là-bas.

Malko regarda dans la direction indiquée et réprima un frisson. Ce n’était pas de la sensation pour touriste, ça. Il allait répliquer quand, brusquement, il ne vit plus Mina derrière lui.

Il la chercha des yeux, mais la lueur des lampes à acétylène ne permettait pas de voir loin. Il crut qu’elle regardait le diseur de bonne aventure. Au fond, c’était une excellente occasion de lui fausser compagnie, pensa-t-il, quand il la revit derrière lui au Sea-Palace, près du livre d’or.

C’est elle qui était en train de lui fausser compagnie !

Comme un fou, il fonça dans la foule amorphe, vers le taxi. Il était le seul Blanc. Mina avait disparu, avalée par la foule. Il bousculait les gens sans même s’excuser. Il fallait qu’il la rattrape. Toutes les échoppes se ressemblaient. Il renversa un plateau d’escargots, perdit de précieuses secondes à donner un billet de vingt dollars et à s’excuser, puis repartit, suivi par des regards haineux.

Soudain, il se souvint de la station de taxi, près de l’embarcadère du ferry.

Il infléchit sa course. Mina, elle aussi, devait se faufiler entre les marins.

Jamais il ne l’aurait rattrapée sans deux Chinois qui lui avaient barré le passage, avec une idée bien précise. Malko la vit de dos, cherchant à se dégager. Il accéléra encore au moment où elle se retournait. Elle luttait furieusement, mais l’un des marins en casquette Mao ne voulait pas la lâcher.

Malko rejoignit le groupe.

Mina se tourna d’un bloc vers lui. Elle était méconnaissable, même plus jolie, les lèvres retroussées dans un rictus fou.

Au moment où il la saisissait par le bras, elle se mit à parler à toute vitesse aux deux Chinois. Leur attitude changea immédiatement. L’un d’eux apostropha Malko en chinois, l’air mauvais. L’autre cria quelque chose vers un groupe qui dégustait des escargots, à quelques mètres de là.

Plusieurs se levèrent lentement. Mina continuait à crier, à ameuter la foule. Sans avertissement, le Chinois en casquette empoigna Malko par les revers de sa veste.

Maintenant, il y avait une vingtaine d’hommes silencieux, autour du petit groupe. On n’entendait que le bruissement des lampes à acétylène. Malko sentit une boule dans sa gorge. Il n’y a rien de plus dangereux que la foule. Ceux-là avaient mille fois le temps de l’écharper avant que la police n’intervienne.

S’il perdait son sang-froid il était mort. Il regarda sévèrement le Chinois qui l’avait empoigné et se dégagea sans brutalité, mais d’un geste sec.

Deux autres lui saisirent les bras par-derrière et voulurent l’immobiliser. Il parvint encore à s’en débarrasser. Mais le cercle s’était encore rétréci. Il sentait l’odeur de poisson et de crasse de ceux qui l’entouraient. Mina eut un sourire méchant et dit en anglais :

— Je leur ai dit que vous étiez un Américain et que vous aviez voulu me violer dans le taxi, que je voulais seulement rentrer chez moi. Vous feriez mieux de me laisser. Ils ont très envie de vous tuer…

— Vous êtes folle, fit Malko, hors de lui. Pourquoi faites-vous cela ?

Un des Chinois les plus grands, sans crier gare, frappa Malko en plein visage. Le coup, pas trop violent l’atteignit sur la bouche et il sentit le goût fade du sang. Il voulut riposter et vit luire dans la pénombre la lame d’un couteau, devant lui.

Il allait se faire massacrer.

— Je vous ai promis un passeport, dit Malko, s’efforçant au calme.

— Je ne vous crois pas. Je n’ai pas confiance en vous, fit Mina. Je peux avoir mieux.

Elle eut un sourire ensorceleur pour le premier Chinois qui l’avait interpellée et lui tint un grand discours. L’autre hocha vigoureusement la tête avec un regard menaçant pour Malko.

— Je leur ai dit que je partais, qu’ils vous retiennent un bon moment afin que vous ne me dénonciez pas à la police.

Elle s’éloigna avec un rire moqueur, faisant balancer ses hanches. Malko voulut rompre le cercle. Un coup l’atteignit au bas-ventre et il se plia en deux de douleur. Les yeux bridés le regardaient haineusement. Il n’aurait pas fallu les prier beaucoup pour qu’ils le jettent dans le port. Deux types avaient des couteaux à la main, tenus horizontalement, à bout de bras, comme des tueurs.

Il voulut parlementer en anglais, mais personne ne pouvait ou ne voulait comprendre. Mina monta dans un taxi et la voiture démarra.

Un type lui cracha à la figure, les autres éclatèrent de rire. Sans mot dire, il s’essuya avec son mouchoir et sourit. Un peu décontenancés ses adversaires s’écartèrent imperceptiblement. Mais, quand il voulut se dégager, le cercle se reforma. Pendant un temps qui lui sembla infiniment lent, les Chinois restèrent autour de lui. Puis, un par un, ils s’éloignèrent. Ceux qui avaient interrompu leur repas repartirent vers leurs escargots. Malko se retrouva seul.

Juste pour voir s’approcher à pas lents deux policiers chinois en uniforme, balançant leurs longues matraques à bout de bras, le long Smith et Wesson au côté, impeccables avec leurs shorts et leurs bas de laine blanche. Ils regardèrent Malko avec surprise. Le Marché de la nuit n’était pas un coin pour les Blancs à cette heure-là.

Malko courut jusqu’à la station de taxi. Les flics étaient arrivés trop tard, comme toujours… Il restait deux Toyota.

Le premier chauffeur parlait un peu anglais. Il eut l’air de savoir où se trouvait Temple Street.

— Kowloon, fit-il.

Et il éclata d’un grand rire.

Ce n’est qu’après une conversation de dix minutes en pidgin que Malko comprit la raison de sa gaieté : Temple Street était la rue des bordels bon marché de Kowloon. Le chauffeur proposait à Malko des endroits beaucoup plus sélects à des prix très raisonnables. Il ne se découragea qu’en arrivant au ferry. Hélas ! il quittait le quai et ils durent attendre vingt minutes. Il n’y avait pas un seul walla-walla en vue.

Malko rongeait son frein, Mina avait de l’avance. Si Cheng pensait que Malko le trahissait, il redisparaîtrait définitivement. Sans compter qu’il ignorait s’il n’avait pas été suivi. Le manège de Mina, dans ce cas, avait dû fâcheusement attirer l’attention. Il n’avait même pas le temps d’appeler Dick Ryan à la rescousse.

CHAPITRE XIII

Trois petites filles d’une dizaine d’années se jetèrent dans les jambes de Malko, dès qu’il descendit du taxi. Se donnant la main, elles commencèrent à danser autour de lui une ronde endiablée, chantant d’une voix aiguë une étrange complainte. La première attaquait.

— J’aime mon père !

La deuxième répliquait :

— J’aime ma mère !

Et les trois autres reprenaient en chœur :

— Mais j’aime encore plus le président Mao…

Aussi soudainement qu’elles avaient surgi, elles disparurent dans l’ombre des arcades, ravies de ce bon tour joué à un Blanc.

En dépit de l’heure tardive, une foule compacte et bruyante se pressait dans Temple Street, envahissant la chaussée. On n’était qu’à quelques mètres de Jordan Street et c’était déjà un autre monde, grouillant et mystérieux, imperméable au Blanc.

Temple Street avait deux spécialités : les bordels bon marché, à raison d’un par maison, et les restaurants ambulants de serpents. Les reptiles étaient lovés dans des cages de verre, à côté du fourneau, dans une petite carriole, genre de voiture de quatre-saisons. À la demande du client, on sortait le reptile, on en coupait un morceau qui était grillé immédiatement. Le client mangeait debout ou accroupi au milieu de la chaussée. Il y a belle lurette que les voitures avaient renoncé à passer dans Temple Street, les restaurants occupant toute la chaussée. De chaque côté, sous les arcades, les flâneurs se faufilaient entre des tas d’immondices.