Mina se releva d’un bond, les yeux fous, échevelée. Son regard traversa Malko sans le voir. Elle plongea dans un recoin sombre et émergea, brandissant à deux mains une grosse fourche à trois dents.
Avant que Malko puisse intervenir, elle brandissait la fourche au-dessus du corps inerte de son adversaire. Avec un « han » de bûcheron, elle l’abaissa de toutes ses forces sur le ventre.
La Chinoise blessée se recroquevilla comme une araignée. Le hurlement d’agonie qui jaillit de sa gorge s’écrasa sur les murs de pierre épaisse. Les trois dents de la fourche s’étaient enfoncés de vingt centimètres, la clouant au sol. Ce n’était pas assez pour Mina. Comme si elle avait pilé du mil dans un mortier, elle arracha la fourche et refrappa plus bas, vers le sexe, recommença son geste inlassablement. On aurait dit qu’elle écrasait un animal malfaisant. Blessée à mort, la Chinoise se tordait comme un ver de terre coupé en morceaux, exhalant un râle rauque. Toute sa vie, Malko aurait dans les oreilles le cri de la fille transpercée.
Enfin, Mina planta la fourche une dernière fois dans le corps agité d’un tremblement convulsif. La tête retomba en arrière, elle agonisait.
Seulement, alors, elle sembla s’apercevoir de la présence de Malko. Il se trouvait entre la porte et elle. La fourche haute, aux pointes encore gluantes de sang, elle marcha sur lui.
— Laissez-moi passer, ordonna-t-elle ou je vous cloue contre le mur comme cette putain.
Elle l’aurait fait sans la moindre hésitation. Malko regarda la femme en train de mourir, puis s’écarta légèrement.
— Où est Cheng Chang ? demanda-t-il.
Mina se plaça rapidement entre la porte et lui, et l’ouvrit.
— Là, fit-elle en désignant un coin de la pièce. Rapidement, elle se jeta dehors. Malko s’approcha de l’endroit qu’elle avait désigné.
Un homme était allongé sur de vieux sacs. Presque nu. Il avait été affreusement torturé. L’œil gauche pendait sur la joue, vraisemblablement énucléé d’un coup de pouce. Les parties sexuelles avaient démesurément enflé sous les coups. Malko se détourna, réprimant une nausée. L’odeur fade du sang se mélangeait à celle de la crasse. Il toucha le visage du mort : le corps était encore chaud. Il avait donc été torturé pendant que Malko se trouvait dans la fumerie. Par Mina ou par l’autre tigresse.
Surmontant son dégoût, il retourna le corps. Il n’y avait rien dessous, que des chiffons imprégnés de sang. Cheng Chang avait définitivement emporté son secret dans la tombe. Cela n’expliquait pourtant pas les tortures. Il suffisait de le tuer pour l’empêcher de parler. Sauf si c’était Mina. Malko avait du mal à imaginer autant de férocité de la part d’une fille aussi jeune. Pourtant, il l’avait vue à l’œuvre…
Il fouilla la pièce rapidement, puis sortit. Il reconstituait toute l’histoire. La seconde Chinoise devait le surveiller. Après avoir assisté à la bagarre du Marché de la nuit, elle avait suivi Mina qui l’avait menée à Temple Street. Ensuite les deux femmes avaient dû se battre, devant le cadavre de Cheng Chang.
Les petites ruelles de Cha-to-kok étaient maintenant calmes et silencieuses. Il tourna près d’un quart d’heure avant de retrouver la grand-route.
Le taxi était toujours là, le chauffeur endormi au volant. Il le réveilla et s’affala à l’arrière du véhicule. Maintenant, il fallait retrouver Mina.
CHAPITRE XIV
Holy Tong déglutit bruyamment. Le corps parfait de Mina était livré à sa fringale érotique depuis plus de deux heures et pourtant il n’était pas aussi satisfait qu’il en avait rêvé.
Il promena la main sur les seins de la jeune femme, sans obtenir plus de réaction que s’il avait caressé de la pierre. Les yeux mi-clos comme un chat, elle avait la respiration régulière d’un bébé. Pas un frémissement n’agitait sa peau satinée et son visage avait le calme olympien d’une statue. Holy se pencha à son oreille pour lui exprimer un désir. Sans que l’expression de la Chinoise s’altérât, elle s’exécuta docilement, avec une technique et une patience qui aurait mérité un grand prix aux cours du soir d’érotisme. Holy la guidait de brèves interjections et elle obéissait à la lettre.
Elle reprit ensuite sa position initiale, tandis qu’il tentait de rattraper son cœur qui faisait des bonds dans sa poitrine. Son rêve secret, c’était de mourir ainsi, dans un paroxysme de jouissance. À ce moment-là, il n’avait même pas peur de la mort. Pourtant, dès qu’il fut calmé, de nouveau l’insatisfaction rampa en lui. Il avait l’impression d’être frustré, de faire l’amour avec un merveilleux robot, mais un robot quand même.
Avec mille circonlocutions à la chinoise, il lui demanda s’il ne serait pas possible de se montrer légèrement plus énervée, ou participante si elle préférait ce mot.
C’était la question qu’attendait Mina depuis la seconde où Holy Tong l’avait touchée.
— Je n’aime pas cet endroit, laissa-t-elle tomber, dédaigneuse.
Puis elle but une gorgée de thé. Ils se trouvaient dans un des boxes de verre du Kim Hall, entourés de couples se livrant au même passe-temps qu’eux.
Mina était arrivée très tard au Kim Hall, directement de Cha-to-kok, et avait dû raconter une histoire à dormir debout à sa mama-san, qui avait menacé de la jeter dehors. Tout le long du trajet en taxi, elle avait réfléchi à ce qu’elle allait faire après avoir tué Cheng Chang et l’autre Chinoise. Elle savait que cette dernière travaillait pour les Rouges. Mina avait très peu de temps devant elle. Lorsque la chasse commencerait, elle serait impitoyable, et ce qu’elle avait fait subir à Cheng Chang blessé pour le faire parler n’était rien à côté de ce qu’elle risquait. Ils découperaient sa peau, carré par carré, jusqu’à ce qu’elle devienne folle, pour faire un exemple.
Il lui fallait trouver un abri sûr. Très vite. Avant l’aube elle serait traquée. Aussi était-elle passée au Kim Hall uniquement dans l’espoir d’y rencontrer Holy Tong, qui en était habitué, avant de se résigner à aller le trouver chez lui en plein milieu de la nuit. Peureux comme il l’était, il risquait de ne jamais ouvrir.
Elle était passée volontairement devant le box où il se trouvait avec une fille beaucoup moins belle qu’elle. Évidemment, il l’avait appelée. Elle lui avait laissé entendre que s’il voulait l’utiliser ce soir-là, elle ne comptabiliserait pas toutes ses faveurs… Par pure gentillesse.
Il l’avait crue. Depuis, elle attendait qu’il lui dise la phrase qu’il venait justement de prononcer.
— Pourquoi n’allons-nous pas chez moi ?
C’était un des seuls endroits de Hong-Kong où elle serait en sécurité pour cette nuit. En même temps, elle pourrait parler à Tong.
Elle fit semblant d’hésiter. Les filles avaient l’interdiction formelle de suivre les clients. Le Kim Hall aurait fait faillite.
— Je vais dire que je suis malade, que je dois rentrer, dit-elle enfin devant son air désolé. Pars le premier.
Elle se moquait bien de la mama-san, en ce moment. Si son plan se réalisait, elle ne remettrait jamais les pieds au Kim Hall. En plus de sa peur, elle ressentait une exaltation grisante. Pour la première fois depuis qu’elle était née, elle devait sa puissance à autre chose que ses jolies fesses rondes. De tuer la Chinoise l’avait libérée de son humilité apparente et de ses craintes secrètes. Elle se sentait invulnérable.