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— Ce clown. Si vous comptez sur lui. Il ne pense qu’à baiser.

— Justement, remarqua Malko. Il connaît peut-être Mina. C’est bien le genre de fille qu’il doit fréquenter. Sinon, il n’y a plus qu’à mettre une petite annonce pour la retrouver.

— Allez-y si vous voulez, soupira Ryan. Au point où nous en sommes…

Malko se leva.

— De toute façon, je devais le voir ce matin pour mon traitement. Je vais aller le surprendre chez lui. Il n’a peut-être pas encore appris la seconde mort de son ami Cheng Chang…

* * *

Lorsque Tuan annonça à Holy Tong qu’un Blanc avec d’extraordinaires yeux jaunes le demandait, il pensa sincèrement à sauter par la fenêtre.

Après s’être recoiffé, il tenta de redonner à son visage rondelet une expression détendue, mais le cœur n’y était pas.

— Fais-le entrer, dit-il au boy.

Malko s’excusa de venir le déranger à domicile. Mais il avait vu la nouvelle de la mort de Cheng Chang dans les journaux et, n’est-ce pas…

Le Chinois n’eut pas à feindre d’être bouleversé. Ses bajoues en tremblaient. Il désigna les journaux épars sur le bureau.

— Je savais déjà ; c’est une histoire absolument horrible. Je comprends de moins en moins. Pourquoi ne m’a-t-il pas donné signe de vie ? Je l’aurais aidé…

— Oui, pourquoi ? fit Malko, songeur.

Un ange passa et s’enfuit absolument horrifié. Holy n’était décidément pas un saint bon teint.

Malko rangea soigneusement une petite idée dans ses circonvolutions cérébrales et continua :

— C’est d’ailleurs beaucoup plus affreux que vous ne le pensez, mon cher Tong. Car votre ami a été tué par une personne que vous connaissez peut-être, une femme…

Il commença à raconter le rôle de Mina. Cette fois, Holy Tong eut du mal à ne pas se glisser sous le canapé. La Chinoise ne lui avait pas dit que Malko avait pratiquement assisté au meurtre. De mieux en mieux… Il était tellement décomposé quand Malko interrompit son récit :

— Qu’avez-vous ? vous connaissez cette femme ? C’est en cette seconde que Holy perdit définitivement son auréole de saint. Mais c’est difficile d’être vraiment saint à Hong-Kong, en 1968. Il ne voulait pas, à son âge, abandonner son confort et son bien-être. Le plan qui venait de germer dans son esprit était tortueux, mais c’était le seul pour éviter de se plier aux exigences de Mina.

— Elle a passé la nuit ici, avoua Holy Tong. Elle est partie ce matin pour Macao. C’est une prostituée qui travaille au Kim Hall. J’y étais hier soir et je l’ai ramenée. Maintenant je réalise qu’elle était très nerveuse. Ce matin, tôt, elle a demandé à mon boy de la conduire jusqu’au ferry de Macao.

Tout cela tenait très bien. Malko examinait le Chinois. Son bouleversement s’expliquait assez bien, pourtant quelque chose le gênait. Malheureusement, il n’avait pas le temps d’approfondir. Avant tout, retrouver Mina.

— Il n’y aura pas d’acupuncture ce matin, annonça-t-il, mais je vous remercie infiniment. C’est de la chance que cette fille soit justement venue passer la nuit avec vous.

— C’est de la chance, fit en écho Holy Tong. On ne savait pas encore pour qui.

Malko prit congé rapidement. Dans la rue déserte, il regarda autour de lui. Personne. Et pourtant, tout lui disait qu’il était sous surveillance constante.

Sinon, M. Cheng Chang n’aurait pas été assassiné pour la seconde fois.

Derrière sa fenêtre, Holy Tong regarda démarrer la voiture de Malko. Ses mains tremblaient. Après le coup de téléphone qu’il allait donner, il ne pourrait plus jamais se regarder dans une glace sans avoir un haut-le-cœur. Gênant pour sa coquetterie. Mais, au fond de son âme pure, il préférait être une ordure vivante qu’un saint mort.

Dick Ryan sirotait un Coca-Cola à la cafétéria du Hilton en lorgnant la plus jolie des serveuses, qui alliait un visage lunaire à une croupe callipyge, détail rare chez une Asiatique.

Son visage s’éclaira au récit de Malko puis se rembrunit.

— Macao ! grogna-t-il. Comment voulez-vous retrouver une fille là-bas en deux jours ?

— Mais les Portugais ?

L’Américain siffla de joie devant une telle naïveté.

— Les Portugais crèvent de peur devant les Chinois. Ils ne lèveront pas le petit doigt, même si les autres vous les coupent et vous les font manger…

C’est beau, la solidarité occidentale.

— Je peux essayer tout seul, suggéra Malko, héroïque. Ryan secoua la tête, pas convaincu.

— Ça peut vous prendre un an, et le Coral-Sea arrive après-demain. Il y a un moyen, mais il me déplaît souverainement. Nous avons un agent à Macao. Un type étonnant, qui n’appartient pas à la Division des Plans, un « agent dormeur ». Il a été mis en place il y a plusieurs années et je ne l’ai jamais utilisé, sur ordre de Washington. J’avais même l’interdiction d’entrer en contact avec lui. Ils le gardaient pour une circonstance grave. Si on se faisait tous virer d’ici, par exemple…

« Tant pis, vous allez l’utiliser, même si cela doit le griller. Je sais qu’il a d’excellents contacts avec Macao. Il pourra vous aider.

— Comment s’appelle-t-il ? L’Américain sourit :

— Vous ne me croirez peut-être pas, mais j’ignore son vrai nom. Je ne suis même pas sûr qu’il soit Américain. Il tient une boutique de marchand de timbres, Avenida de Almeida-Riveiro. Cela doit être facile à trouver.

Il faut dire que Macao est à peine plus grand que la Place de la Concorde.

— Comment me reconnaîtra-t-il ? demanda Malko.

— Je vais vous donner l’objet de reconnaissance, répondit l’Américain. Une pièce de un dollar en argent daté de 1902. On n’en a pas frappé cette année-là, en réalité. Astucieux, non ?

— Il y a encore un petit problème si je retrouve la fille, souligna Malko. Le passeport.

Ryan s’arracha au moins la moitié de ses derniers cheveux :

— Vous croyez que je peux donner des passeports comme ça. Si le Département d’État apprend cela, ils vont me faire envoyer à Sing-Sing. Vous me signerez une décharge et une déclaration sur l’honneur certifiant que l’intérêt vital du pays est en jeu. J’espère que cela passera. Sinon, il faudra le rendre, ce foutu passeport. Ou jurer qu’on l’a perdu…

Courteline à la CIA. Même à Hong-Kong, la sacro-sainte administration ne perdait pas ses droits.

— Je signerai tout ce que vous voulez, assura Malko. L’Américain se leva :

— Bon, allons à mon bureau, je vais vous donner tout cela. Il y a des hydrofoils toutes les deux heures pour Macao.

CHAPITRE XV

Les pensées de Mao étaient partout. Sur de grandes affiches en caractères rouges, collées sur les arbres et sur les murs ; peintes à même la chaussée de l’Avenida Salazar, en petits tracts distribués par des gamins nu-pieds. Comme si cela ne suffisait pas, les haut-parleurs installés pour le Grand Prix de Macao du dimanche suivant diffusaient, entre deux airs de musique aigrelette, les plus récents aphorismes du génial Mao Tsé-toung.

Malko, cahoté dans son taxi sans amortisseurs, aperçut la carcasse inachevée d’un énorme building surmontant la baie de Praia Grande : un casino qui ne serait jamais terminé. Le moteur du taxi hoquetait en grimpant la côte de l’Avenida Salazar. À Macao, même l’essence était fatiguée.

Une mélancolie pathétique montait de cette petite ville vieillotte aux maisons pastel qui était en train de s’éteindre tout doucement sous la férule communiste. Où était le temps où les riches compradores – les Chinois qui commerçaient avec l’étranger – avaient fait de cette petite ville de province portugaise l’enfer du jeu ?