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Le plafond était évidé en ovale. D’autres croupières se tenaient dissimulées, assises sur des chaises basses, avec chacune, un petit panier pendu à une cordelette. On mettait la mise dans le panier qui redescendait avec les jetons en cas de gain.

Malko s’approcha de la table.

Les paniers allaient et venaient. Tout à coup, il aperçut Mina, debout à côté d’une croupière. De grosses poches marquaient ses yeux et elle avait les traits tirés. Les yeux brillants, elle suivait le mouvement des jetons. Son amie croupière travaillait les yeux baissés.

Le cœur de Malko battit plus vite. Il avait réussi la première partie de sa mission grâce au philatéliste, mais le plus dur restait à faire.

Il vint se placer juste en face de Mina, debout, derrière un Chinois au visage grêlé de petite vérole.

En principe, il ne risquait rien dans le casino. Il aurait toujours le temps d’intervenir si on attaquait Mina. Mais cela se gâterait à la sortie. Il n’avait pas la moindre arme.

Mina leva soudain les yeux et le vit. Il fut le seul à remarquer son mouvement de recul. Elle reprit cependant très vite son sang-froid. Mais ses pommettes s’étaient colorées et Malko vit une grosse veine battre sur sa tempe gauche.

Soudain, Mina s’éloigna de la table, tournant le dos à Malko.

Il lui emboîta le pas aussitôt. Sans se retourner, elle disparut à droite dans l’escalier. Il pressa le pas juste à temps pour la voir s’engouffrer dans les lavatories des dames.

Oubliant provisoirement sa bonne éducation, il entra. Mina lui fit face aussitôt :

— Partez, siffla-t-elle. Vous êtes fou d’être venu jusqu’ici. Comment m’avez-vous retrouvée ?

Malko ignora la question. Ses yeux dorés se firent les plus caressants possible.

— Je vous ai retrouvée et c’est le principal. Il faut que vous m’écoutiez. Je suis prêt à vous donner ce que vous voulez. Tenez.

Il sortit de sa poche intérieure le passeport que lui avait remis Dick Ryan.

— Il ne manque que votre signature et votre photo sur ce document, dit Malko. Vous pourrez quitter Hong-Kong avec quand vous voudrez. Enfin dès que nous serons sûr que votre information est exacte. Alors ?

Tous les sentiments passaient sur le visage de la jeune Chinoise. Malko la sentit vaciller. Il avait gardé le passeport à la main, exprès. Puis, brutalement, elle se reprit :

— Vous êtes fou, cracha-t-elle. Fou à lier. C’est ma peau qui est en jeu, si je vous dis ce que je sais. Ils me retrouveront partout, je suis Chinoise, ne l’oubliez pas.

Une femme essaya d’entrer et Malko dut peser de tout son poids sur la porte, sans que Mina s’en aperçoive. Heureusement, l’inconnue n’insista pas.

— De toute façon, vous allez les vendre, ces renseignements, insista-t-il, vous me l’avez dit.

La Chinoise prit l’air infiniment rusé :

— Bien sûr. Mais c’est sans danger. Pas comme avec vous. Maintenant, laissez-moi passer.

Brutalement, elle bouscula Malko. Mais déjà elle était dehors. Il repartit dans la salle de jeu, s’excusant auprès d’une grosse Chinoise qui le foudroya du regard.

La partie de mah-jong continuait. Mina avait repris sa place près de son amie.

Malko se remit en face d’elle. Il fallait qu’elle cédât. Qu’elle ait encore plus peur de lui que des autres. Ostensiblement il appela une changeuse et prit mille dollars de jetons. Il ne connaissait rigoureusement rien au mah-jong, mais la CIA paierait la note de frais. On lui fit place respectueusement, et il commença à lancer ses jetons dans les petits paniers.

Mina le fusillait du regard chaque fois qu’il misait. À un moment, il parvint à se rapprocher d’elle et lui glissa :

— Je vous attendrai jusqu’à ce que le casino ferme. J’ai tout le temps. Vous devriez penser à votre passeport.

À un changement infinitésimal dans l’expression de la Chinoise, il comprit qu’il l’avait touchée. Elle jeta soudain un regard anxieux autour d’elle.

Rien ne se passa pendant près d’une heure. Malko et Mina s’observaient. Un panier plein de jetons lui arriva sans qu’il sache pourquoi.

Puis la Chinoise se rapprocha de lui et lui dit à voix basse :

— J’ai changé d’avis, mais ne restez pas là, c’est dangereux. Allez à l’hôtel, je vous rejoindrai.

Malko n’avait pas envie de bouger. Mina pouvait encore changer d’avis. Ensuite, à son avis, le casino était plus sûr que l’obscurité des rues de Macao.

Perdu dans ses pensées il suivait d’un œil distrait le va-et-vient des petits paniers. C’est son subconscient qui enregistra le premier la chose anormale. Un panier venait d’atterrir sur le feutre vert. Et il avait fait du bruit, un choc sourd comme si c’était un sac de sable. Il regarda et son cœur s’arrêta de battre.

Au milieu des jetons, il y avait une grenade quadrillée dégoupillée. Un léger sifflement s’échappait de la fusée. Il resta une seconde fasciné par l’objet mortel. Puis il hurla :

— Mina, attention !

La Chinoise leva les yeux sur la table et son visage se décomposa. Elle ne cria même pas mais ses longs doigts s’incrustèrent sur le tapis vert comme si c’était le salut.

Malko plongea sous la table. Un dixième de seconde avant l’explosion. Il eut l’impression que son corps était déchiqueté en mille morceaux.

* * *

Un Chinois flegmatique en blouse blanche épongeait une énorme tache de sang sur le plancher de bois. Des débris de la table de jeu avaient volé partout.

Le jeu était arrêté et tous les joueurs retenus par la police s’étaient groupés à quelques mètres des corps étendus.

Les jambes de Mina émergeaient d’un tapis vert, jeté hâtivement sur son corps massacré. Les plus gros éclats de la grenade avaient haché son corps à la hauteur du ventre, la coupant pratiquement en deux. Elle était morte sur le coup. Un autre éclat avait sectionné sa carotide et le sang avait giclé à trois mètres.

Trois autres corps étaient étendus près de Mina, recouverts eux aussi d’un tapis vert : deux joueurs et une autre croupière qui n’avait pas eu le réflexe de se baisser. Malko était le seul à peu près indemne car il avait été le premier à plonger sous la table et les éclats étaient passés au-dessus de lui. Seul le souffle l’avait projeté à plusieurs mètres et étourdi.

Soutenu par deux garçons, il reprenait son souffle. On lui apporta un liquide rouge dans un verre : du vin chinois tiède et écœurant. Il réprima une nausée et se remit sur ses pieds. La cicatrice de son coup de couteau de Bangkok lui faisait mal à la poitrine. S’il avait tourné la tête au moment où la grenade était descendue, il serait lui aussi sous un tapis vert.

Il tomba en arrêt devant un morceau de la table de jeu : quatre longs et fins doigts y étaient restés accrochés, comme coupés par un rasoir. Ceux de Mina. Le passeport le brûlait au fond de sa poche. La jeune Chinoise n’en aurait plus jamais besoin. Pas plus que de quitter Hongkong. Son long voyage s’était terminé presque à son point de départ. Malko eut un goût de cendre dans la bouche, en dépit de la férocité qu’avait montrée Mina lorsqu’elle avait tué Cheng Chang et l’autre Chinoise.

Des policiers en casquette plate, l’air endormi, avaient envahi le casino. On fouillait tout le monde. Malko s’approcha et demanda des explications. Après d’interminables palabres, on le conduisit devant un groupe de Chinois pâles et tremblants : les croupiers du haut. De leurs explications, il ressortait qu’un homme avait posé une grenade dans un des paniers et tenu les croupiers en respect avec un pistolet, pendant que le panier descendait, menaçant de tirer au moindre cri.