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Une seconde avant l’explosion, il s’était enfui, jetant son arme à la tête d’un courageux garçon qui avait voulu le poursuivre. Les policiers se passaient le pistolet avec un respect mêlé de crainte. Malko jeta un coup d’œil par-dessus l’épaule d’un petit Chinois.

C’était une arme étrange : un gros pistolet à deux canons joints un peu comme un fusil de chasse. Il y avait deux culasses et deux chargeurs. Une arme fabriquée en Chine populaire à destination des maquis étrangers.

Il n’y avait pas plus à en savoir. Le Coral-Sea arriverait le lendemain matin à Hong-Kong et personne ne savait encore ce qui se tramait contre lui.

L’enjeu n’avait pas de prix. La liste des cadavres qui s’allongeait le montrait assez.

CHAPITRE XVI

Au milieu de l’immense baie de Kowloon, le Coral-Sea, arrivé durant la nuit, avait l’air d’un gadget chétif.

Un soleil radieux se reflétait sur la coque de métal gris. Les avions aux ailes repliées, rangés sur le pont, ressemblaient à des jouets. Le porte-avions était pourtant le fer de lance de la 7e flotte : trois cent dix mètres de long, quatre-vingt-dix avions, dont vingt-cinq chasseurs-bombardiers Phantom IV, volant à plus de deux mille quatre cents kilomètres à l’heure, et, bien entendu, des bombes atomiques, en tout plus de puissance de destruction que tout ce qui avait été dépensé durant la Seconde Guerre mondiale par tous les belligérants !

Autour du Coral-Sea, trois destroyers et un navire-radar hérissé d’antennes montaient une garde vigilante. Sur le pont de soixante-dix-sept mètres, un gros hélicoptère jaune décolla lentement et resta suspendu au-dessus de l’énorme navire, comme une mouche attachée à un fil.

Malko laissa retomber le rideau de sa chambre. Il se sentait faible et découragé après une nuit au Bela-Vista. Il avait pris le premier hydroglisseur pour rentrer de Macao. Et maintenant, il n’était pas plus avancé qu’une semaine plus tôt.

Le secret gisait à la morgue de Macao avec le corps déchiqueté de Mina.

Le Coral-Sea était là pour huit jours. C’était amplement suffisant pour permettre tous les attentats du monde. Mais Malko avait beau se creuser le cerveau, il ne voyait pas comment les Chinois pouvaient s’attaquer à ce mastodonte. La Chine communiste n’oserait pas utiliser du matériel de guerre.

Il restait les attentats individuels contre les marins et les pilotes. Certes, cela serait fâcheux, mais pas suffisant pour entamer la puissance de feu du porte-avions. Et pourtant, il y avait quelque chose. Assez grave pour que ceux qui avaient mis sur pied un plan aient impitoyablement supprimé tous ceux qui en savaient trop.

Malko ne comprenait pas une chose : à Macao, on aurait pu l’abattre dix fois après le meurtre de la Chinoise. Personne ne s’était manifesté. La police l’avait laissé partir sans trop de questions. Donc, Malko n’intéressait plus ses adversaires. Il ne savait rien, il ne pouvait rien, à quoi bon le liquider. C’était à la fois rassurant et humiliant. Et pourtant, quatre jours plus tôt, on avait tenté de se débarrasser de lui. Alors qu’il en savait plutôt moins.

Le téléphone sonna : c’était Dick Ryan, déjà au courant de l’attentat au casino de Macao. Le nom de Mina n’avait pas été révélé encore mais il s’était douté qu’il pouvait s’agir d’elle. Nerveux et de mauvaise humeur, il demanda les dernières nouvelles.

Malko raconta son équipée à Macao. L’Américain jurait à voix basse. Ils étaient dans l’impasse.

— J’ai une conférence avec l’amiral Riley, à midi à mon bureau du consulat, dit Ryan. Vous viendrez lui expliquer toutes ces bonnes nouvelles.

Après avoir pris sa douche, Malko avala son thé et descendit dans le hall.

On se serait cru sur le pont du Coral-Sea. Les fauteuils et les canapés disparaissaient sous des grappes de pilotes américains de l’aéronavale, croulant sous des monceaux de bagages, les yeux exorbités devant les jupes fendues des hôtesses chinoises qui les dévisageaient avec un mépris poli. L’un d’eux était tellement estomaqué que, à quatre pattes sur le tapis, il photographia les jambes gainées de résille noire d’une des serveuses du bar.

Décidément, la guerre au Viêt-nam, cela avait du bon. Après deux mois sur un porte-avions, le spectacle des jeunes Chinoises les transformait en singes en rut. La plupart étaient trop stupéfaits pour faire autre chose que s’asseoir sur leurs paquetages et saliver devant les filles souples et parfumées qui les frôlaient, hautaines et indifférentes.

Malko avait deux heures à perdre. La petite idée qui trottait dans sa tête au sujet de Holy Tong méritait d’être vérifiée. Il monta dans sa Volkswagen et prit le chemin de Victoria Peak.

La villa de Holy Tong était close. Malko laissa son doigt sur la sonnette près d’une minute, puis colla son oreille au battant de bois.

Aucun bruit.

Il recommença avec la sonnette, puis se mit à tambouriner sur la porte. Décidé à se faire ouvrir à tout prix. Ce n’était pas le moment que Tong lui glissât entre les doigts. C’est quand même lui qui l’avait envoyé à Macao.

Il pensait sérieusement à escalader la grille quand il entendit des pas sur le gravier de l’autre côté. Le vantail s’ouvrit aussitôt sur la face lunaire de Tuan :

— Mister Tong ? demanda Malko.

Le Chinois secoua la tête et repoussa la porte. Malko glissa son pied rapidement :

— Miste’ Tong, pas là.

Autant d’expression qu’un menhir.

— Où est-il ?

— Miste’ Tong dit jamais quand il pa’t, miste’.

Il découvrit ses dents gâtées en un sourire trop angélique. Malko l’aurait tué. Malheureusement il ne pouvait pas violer l’intimité d’un citoyen chinois sous prétexte que son domestique lui mentait. À moins que Tong ne soit réellement parti. À regret, il ôta son pied de la porte. Aussitôt Tuan referma. Malko entendit claquer le verrou et les pas s’éloigner.

Derrière les rideaux de son bureau, Holy Tong regarda la petite voiture faire demi-tour, avec un soulagement indicible. Il ignorait encore que Mina était morte, mais Mme Yao lui avait téléphoné à l’aube pour l’avertir que s’il avait le moindre contact avec Malko dans les prochaines quarante-huit heures, il était mort… par contre, s’il était sage, ils passeraient tout le week-end ensemble.

Pourvu que rien ne se passe d’ici là… il avait décidé de se cloîtrer pendant deux jours afin de ne prendre aucun risque. Pour se remonter, il prit dans sa bibliothèque l’édition, abondamment illustrée, d’un album érotique japonais et se plongea dedans.

L’amiral John Riley était un homme d’une cinquantaine d’années, aux yeux très bleus et au crâne rasé comme une boule de billard, dont il avait d’ailleurs l’expression affable. Dire que les nouvelles que lui apprenait Dick Ryan lui faisaient plaisir eût été mentir.

Malko se faisait tout petit dans un coin. Après tout, c’était une histoire entre Ryan et Riley. Il avait fait ce qu’il avait pu. Le soleil entrait à flot par les deux grandes baies vitrées et un boy silencieux renouvelait régulièrement les tasses de thé. La conférence durait depuis une heure. Sans aucun résultat pratique d’ailleurs.