Un seul homme pouvait l’aider : le colonel Whitcomb. Tant pis pour ce que penserait Dick Ryan.
Il composa le 999, numéro de Police-secours et, dès qu’il eut une opératrice en ligne, annonça :
— Je veux parler au colonel Whitcomb. De la part du prince Malko Linge. C’est extrêmement urgent et important.
Trois minutes plus tard, il avait l’Anglais au bout du fil.
— Que se passe-t-il, monsieur Linge ? demanda-t-il. Est-il arrivé malheur à un autre de vos amis ?
— Trêve de plaisanterie, colonel, coupa Malko. Vous savez aussi bien que moi que nous exerçons le même métier, presque du même côté de la barrière. J’ai besoin de vous.
— Ah !
La voix de l’Anglais était chargée d’un Himalaya de méfiance.
— Retrouvez une fillette de quatorze ans qui se nomme Po-yick. Elle est en danger de mort. Elle est au courant de ce qui se trame contre le Coral-Sea. Je pense que cela vous intéresse.
Il donna au colonel Whitcomb tous les détails dont il disposait. Ce dernier tint à le prévenir.
— Cela peut prendre deux heures ou deux mois.
— Elle a quitté cette chambre il y a une demi-heure, dit Malko. Cela vous donne une première piste.
— Dans ce cas ce sera plus facile, concéda le colonel, sans autre commentaire.
Malko, qui ne fumait jamais, alluma, après avoir raccroché, une des cigarettes qu’on lui apportait avec la bouteille de Moët et Chandon. Il mit la TV mais ne put arriver à s’intéresser au programme inepte. Où était Po-yick ?
En attendant, il avait du pain sur la planche : retrouver ceux qui l’écoutaient.
CHAPITRE XVII
Malko remit le micro en place, de l’eau dans le seau et la bouteille dedans. Puis il sonna.
Le garçon chinois frappa à la porte quelques minutes plus tard.
— Vous pouvez ôter le champagne, fit Malko.
Ostensiblement, il tenait sa clé à la main et sortit tout de suite après le garçon pour s’arrêter devant les ascenseurs. Dès que ce dernier fut passé, il courut jusqu’à sa chambre, rouvrit sa porte et alla se dissimuler dans la grande penderie.
Au bout d’une dizaine de minutes, on frappa à la porte. Puis, presque aussitôt, Malko l’entendit s’ouvrir et se refermer. Quelqu’un était entré. Il retint son souffle. À travers la porte de la penderie entrouverte il entendit des frôlements légers, des heurts, le bruit de ses pas étant étouffé par l’épaisse moquette, il sortit tout doucement.
Le garçon d’étage était à quatre pattes devant le divan, tournant le dos à Malko. Celui-ci s’approcha et envoya un robuste coup de pied dans les reins offerts.
L’autre s’aplatit avec un cri de douleur. Déjà Malko le relevait par le col de sa veste. Sans lui laisser le temps de respirer, il lui asséna deux manchettes sur les carotides.
Le Chinois eut un hoquet et s’affala dans le fauteuil. Pour éviter une feinte, Malko lui envoya encore un coup dans le plexus solaire. Il avait appris le close-combat à l’école très spéciale de San Antonio, au Texas, mais s’en servait rarement, abhorrant la violence.
Une minute plus tard, le Chinois entrouvrit les yeux et voulut se lever. Malko lui mit le micro sous le nez :
— C’est ça que vous cherchiez ? Le Chinois bredouilla :
— Je ne comprends pas, sir. Pourquoi m’avez-vous frappé ? Je me plaindrai à la direction…
Sa voix n’était pas très assurée. Malko le gifla deux fois. Il voulut se lever mais Malko, déchaîné, le prit à la gorge :
— Qui vous a dit de mettre ce micro ?
Il se recroquevilla, mais ne répondit pas.
La tête baissée, les yeux à demi fermés, le Chinois se transformait en minéral. Malko lâcha son cou et lui asséna deux nouvelles manchettes.
— Qui vous a donné ce micro ? Le Chinois secoua la tête :
— Je ne sais pas ce que vous voulez dire, Sir. Je me plaindrai. Laissez-moi partir.
Il mentait si visiblement que Malko vit rouge. Par lui, il y avait une chance de remonter jusqu’à ceux qui avaient accompli tous les derniers meurtres et menaçaient Po-yick.
— On va voir si vous allez continuer à mentir, fit Malko.
Bloquant le bras droit du Chinois par un arm-lock, il le fit traverser la chambre. D’une manchette à la nuque, il l’étourdit quelques instants, le temps d’ouvrir la fenêtre. Un air frais balaya la chambre. En face se dressait la masse imposante et grise, hérissée de barbelés, de la Bank of China.
Vingt-deux étages plus bas, les voitures sur Connaught Road semblaient minuscules. La paroi lisse du building donnait le vertige.
Saisissant le Chinois par les cheveux, Malko le releva, et, le traînant à la fenêtre, fit basculer son corps dans le vide jusqu’à la taille, une main accrochée à la ceinture de son pantalon pour le retenir. Le garçon reprit instantanément conscience et hurla devant le vide. La tête en bas, il tentait désespérément de se rattraper à la paroi lisse du building.
Malko appuya sur la nuque du Chinois.
— Qui vous donne les ordres ? cria-t-il. Pas de réponse.
Sa main lâcha la nuque et le garçon plongea de quelques centimètres dans le vide. Sa vie était suspendue à la ceinture de son pantalon.
Cette fois son hurlement retentit jusqu’au terrain de cricket, quatre-vingts mètres plus bas, et quelques joueurs levèrent la tête. Mais il en fallait plus pour déranger une partie de cricket.
— I talk, I talk, glapit le Chinois.
Malko le remonta un peu, pas assez cependant pour qu’il puisse s’appuyer au rebord de la fenêtre. Le visage congestionné, il reprit son souffle, et bredouilla :
— Je ne sais rien, la police, call the police…
— La police c’est moi, fit Malko. Quand elle viendra vous serez déjà mort en bas.
Lentement, il le laissa glisser à l’extérieur. Le Chinois poussait des cris insupportablement aigus, mais ne se débattait presque pas, sentant que la ceinture de son pantalon pourrait lâcher.
Malko était à la limite de ses forces, se retenant d’une main à la fenêtre. La sueur dégoulinait dans ses yeux, il n’allait plus pouvoir le retenir longtemps. Au même moment, le pantalon craqua.
Le Chinois poussa un cri insoutenable. C’était maintenant une question de millimètres.
— I talk, I talk, hurla le garçon.
L’intonation de sa voix était bien différente. Mais Malko se méfiait.
— Parlez d’abord.
— Remontez-moi, supplia le garçon.
Malko abandonna un millimètre et il y eut un nouveau craquement. Le Chinois hurla :
— C’est Wong-lu, de la réception.
— Qu’est-ce qu’il a fait ?
— Il m’a dit de mettre le champagne tous les jours avec l’objet noir.
Soudain, Malko eut une inspiration.
— Et la fille, celle qui est venue tout à l’heure ?
— La fille, répéta Malko.
— Ils m’ont forcé ! hurla le Chinois. Remontez-moi, je vous en supplie, remontez-moi.
Malko avait une crampe dans le bras gauche et ne savait même pas s’il allait pouvoir remonter le Chinois. Ce dernier dut le sentir, car il glapit :
— Vite, vite, je vais tomber. Vite…
Malko ne l’entendait plus. Brusquement il se sentait affreusement vide et froid. Ainsi Po-yick… Son pressentiment était justifié.
Le Chinois se débattait comme un chat électrocuté, sans souci de sa vie, griffant le mur, se cognant le visage. En bas, un groupe de gens s’était rassemblé et montrait la fenêtre du doigt. L’homme suspendu dans le vide hurlait comme une sirène, fou de peur.