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— Ce sont des commies, mon lieutenant, ils arrivent droit sur nous.

Schwab rentra en courant dans la chambre de commandement et décrocha le téléphone vert relié à l’appartement de l’amiral Riley. Son cœur faisait des sauts dans sa poitrine. La note confidentielle mettant en garde les officiers et les marins du Coral-Sea contre un attentat possible était affichée devant lui, mais il n’aurait jamais pensé à cela. Et que pouvait faire un ferry contre le plus puissant porte-avions de la 7e flotte ?

Un orage allait éclater et de gros nuages noirs passaient au-dessus de la rade, filant vers la Chine. Un hélicoptère de protection tournait comme un bourdon au-dessus du porte-avions. Invisibles, mais efficaces, les hommes-grenouilles du Coral-Sea glissaient entre deux eaux autour de l’énorme coque grise.

Derrière le lieutenant Schwab, deux officiers de quart se partageaient entre les écrans du sonar et du radar et la lecture du dernier Play-boy.

Il y eut un déclic et la voix de l’amiral Riley demanda :

— Que se passe-t-il ?

Le lieutenant Schwab resta un instant silencieux. Brusquement, il avait honte d’avoir dérangé son amiral parce que des énergumènes brandissaient des drapeaux sur un vieux rafiot.

— Euh, sir, fit-il. Nous avons repéré quelque chose d’étrange. Un ferry vient vers nous avec ce qui semble être des communistes ; ils ont des drapeaux.

— Déclenchez immédiatement l’alerte, fit l’amiral, j’arrive.

Schwab raccrocha et se précipita sur le tableau de commande. Deux secondes plus tard, la sirène d’alarme du Coral-Sea commençait ses jappements sinistres. L’officier courut à la passerelle : le pont du ferry disparaissait maintenant sous les drapeaux rouges. Il se dirigeait droit sur le porte-avions et un panache de fumée noire sortait de sa haute cheminée.

Moins d’un demi-mille le séparait du porte-avions. Il fallait à ce dernier au minimum vingt minutes pour remonter ses ancres et manœuvrer.

— Nom de Dieu de nom de Dieu ! cria Schwab d’une voix hystérique.

Il venait de penser à tous les chasseurs supersoniques aux ailes repliées, rangés dans les grands hangars sous le pont, vulnérables comme des escargots sans coquille. Les énormes ouvertures latérales de la coque destinées au passage des ascenseurs étaient ouvertes. Si le ferry, chargé d’explosifs, s’engouffrait là-dedans, le Coral-Sea serait coupé en deux. Sans parler des réservoirs d’essence supplémentaires rangés au-dessus des avions et des containers à napalm…

Des marins revêtus de gilets de sauvetage orange couraient à travers le pont jusqu’aux deux canons de 127 qui défendaient le flanc gauche du porte-avions. Les deux tubes pivotèrent et se fixèrent sur le ferry.

Le pont disparaissait sous les chasseurs Phantom. Il fallait au moins sauver ceux-là. Schwab appuya sur l’interphone le reliant au carré des pilotes.

— Faites décoller le maximum d’appareils, ordonna-t-il. Catapultes 1, 2, 3 et 4…

Malko se glissa hors de son panneau protecteur et regarda autour de lui. Tous les Chinois se trouvaient à l’avant, et leurs clameurs rythmées étaient assourdissantes et terrifiantes, bien que le vent en emportât une partie. Il se pencha par-dessus bord et regarda vers l’avant : la masse grise du Coral-Sea semblait énorme maintenant. Une fusée rouge partit du gros porte-avions et retomba gracieusement dans la mer.

Malko eut un sourire amer. Malgré lui, il se trouvait au centre de l’attaque-suicide des communistes. Dans quelques minutes le ferry, chargé probablement d’explosifs, allait s’écraser sur le Coral-Sea. Ce serait un beau feu d’artifice dont il serait une des étoiles. Il regarda l’eau grise au-dessous de lui. C’était tentant de sauter. Un dernier réflexe de conscience professionnelle l’en empêcha ; il y avait encore une chance minuscule de détourner le ferry. Il devait la tenter. Ne serait-ce que par panache.

Au ras des flots, un hélicoptère fonça sur le ferry. Au moment de le heurter, il redressa brusquement et resta suspendu au-dessus du pont, comme retenu par un fil invisible. La voix nasillarde et rauque d’un mégaphone couvrit le bruit des clameurs chinoises :

— Stop immediatly or You will be shot at.

Il restait à Malko quelques minutes pour agir. Des voix aiguës de petites Chinoises entonnèrent l’hymne à Mao. La seule chance était de gagner la dunette et tenter de s’emparer de la barre.

Se faufilant entre les plaques d’acier amovibles, il avança vers l’avant. Mais, au moment où il mettait le pied sur la première marche de l’escalier métallique menant au pont supérieur, il entendit un cri derrière lui. Il se retourna : trois Chinois, en salopette, le regardaient. L’un d’eux tendit le doigt vers lui et l’interpella d’un ton menaçant.

Il n’avait pas le temps de grimper l’échelle. Les trois Chinois se lançaient déjà à sa poursuite, hurlant et appelant à l’aide. Heureusement, les clameurs de l’avant couvraient leurs appels.

Les Chinois connaissaient le ferry mieux que Malko. L’un d’eux surgit soudain devant lui, un couteau à la main. Les deux autres étaient derrière, l’un avec une barre de fer.

Ils s’observèrent une seconde puis le Chinois au couteau fonça. La lame rata Malko de justesse. Il pivota, s’accrochant à un des panneaux métalliques mobiles qui servaient, sur certains trajets, à ménager un passage pour les passagers, de chaque côté des voitures. Il sentit le panneau rouler aisément sous ses doigts et comprit instantanément le parti qu’il pouvait en tirer. Les deux autres Chinois arrivaient sur lui. Il les laissa venir, puis, dès qu’ils furent entre les deux panneaux, il s’appuya de toutes ses forces sur le sien.

Il y eut deux cris étranglés. Comme des mouches coincées sous une tapette, les Chinois étaient pris entre les deux parois d’acier. Malko lâcha le panneau, qui revint un peu vers lui. Deux corps glissèrent à terre. L’un des Chinois avait tout le visage écrasé, comme par un marteau-pilon géant. Le nez, la bouche, le menton n’étaient plus qu’une bouillie sanglante. Le second remuait par terre comme un ver coupé en deux : le lourd panneau d’acier lui avait brisé les reins.

Malko n’eut pas le temps de se voter des félicitations. Le Chinois au couteau était sur lui.

La lutte fut très courte. Heureusement, l’autre ne savait pas se battre. Malko parvint à lui immobiliser le poignet avec ses deux mains et commença à le cogner contre le panneau d’acier, à coups redoublés. Contre son visage, le Chinois grimaçait et l’injuriait dans sa langue, mais il ne lâchait pas l’arme. Comme des derviches en folie, les deux hommes tournaient autour du panneau bringuebalant. Enfin, Malko parvint pendant une seconde à tenir le poignet appuyé à l’intérieur du panneau. De tout son corps, il poussa, entraînant son adversaire avec lui. Le Chinois poussa un cri inhumain cherchant à se dégager.

Trop tard.

Un craquement d’os brisés. Le visage du Chinois vira au gris. Malko le sentit devenir tout mou et il le lâcha. L’autre glissa à terre, le visage convulsé de douleur. Son poignet et sa main droite avaient été écrasés comme sous une presse.

Malko courut jusqu’à l’échelle métallique. Aucun adversaire n’était en vue mais le Coral-Sea se trouvait à moins de cinq cents yards. Des flocons blancs apparurent devant le ferry : les canons du porte-avions venaient de tirer la première salve de semonces. Les hurlements des fillettes chinoises se firent plus stridents.

Comme pour saluer le porte-avions, le ferry lâcha trois brefs coups de sirène. Aussitôt, tous les autres ferries de la rade lui répondirent, et les ululements se répercutèrent sur les collines de Kowloon.