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Fin 1975, après une prise d’otages spectaculaire de ministres de l’OPEP réunis à Vienne, Carlos se réfugie à Alger, où il fréquente le cabaret Dar Salem, protégé par les services algériens. Un commando du SA est dépêché sur place. Il est piloté par un jeune officier saint-cyrien à l’allure de pasteur impassible, le futur général Philippe Rondot, alias « Max », spécialiste des pays arabes et fils d’une ancienne grande figure du renseignement français au Moyen-Orient.

L’équipe du SA n’arrive pas à ses fins. Un kidnapping sur le territoire de l’Algérie pourrait provoquer des tensions diplomatiques avec ce pays. De plus, le temps d’imaginer un moyen pour « neutraliser » Carlos tandis qu’il boit quelques verres, ce dernier, sans doute prévenu, a pris la poudre d’escampette. « Nous avions ordre d’abattre Carlos. Nous l’avons localisé plusieurs fois, dont une à Alger. Nous sommes allés voir, mais nous avons fait chou blanc[83] », confessera Alexandre de Marenches, alors patron du SDECE. Quelques mois plus tard, Philippe Rondot se rend à Malte, où le terroriste vient régulièrement se détendre à l’hôtel Eden Beach entre deux séjours en Libye. Les agents français identifient leur cible, mais doivent annuler l’opération, car ils se savent surveillés sur place par les services algériens et israéliens.

Début 1977, les hommes du SA, dont Philippe Rondot et son ami Ivan de Lignières, essaient à nouveau de piéger Carlos du côté de San Cristobal, au Venezuela, son pays natal. En se faisant passer pour des cyclotouristes, les deux agents s’infiltrent dans l’entourage du père du terroriste, José Ramírez, richissime avocat et homme d’affaires procommuniste qui vit dans une propriété proche de la frontière colombienne. Une des options étudiées consiste à lui faire avaler un concentré de virus de l’hépatite A afin de le rendre malade et d’attirer ainsi son fils à son chevet pour l’enlever, un peu comme l’ont fait les services secrets israéliens en 1960 avec le criminel nazi Adolf Eichmann, caché en Argentine.

Après des mois de préparatifs, tout est prêt. Postés en Colombie, à une vingtaine de kilomètres de la frontière vénézuélienne, Rondot et Lignières attendent l’ultime feu vert de Paris. Mais c’est un feu rouge qui arrive, quelques heures avant le déclenchement de l’opération[84]. Les hommes du SA repartent, frustrés de n’avoir pu capturer leur proie. Ils ont aussi repéré un agent du Mossad dans les parages. « Le feu était toujours rouge pour Carlos à cause des Israéliens, expliquera Ivan de Lignières. Ces derniers semblaient le protéger. Carlos avait été le type rêvé pour discréditer les Arabes et donner du poids aux thèses d’Israël. Chaque fois qu’il était serré, on les voyait traîner dans le coin[85]. »

Sans doute Valéry Giscard d’Estaing craint-il aussi, à ce moment précis, les retombées négatives que l’enlèvement, voire l’élimination, de Carlos pourrait avoir sur les intérêts de la France dans le monde arabe, où le terroriste dispose de précieux soutiens. En revanche, il n’aura pas de scrupules à envisager, à la fin de son mandat, la liquidation du leader libyen, Mouammar Kadhafi, considéré comme un gêneur patenté. De plus, la montée en puissance du terrorisme venu de cette région autorise, selon lui, l’emploi de méthodes peu orthodoxes. Après le détournement par des terroristes palestiniens, en juin 1976, d’un avion d’Air France parti de Tel-Aviv, qui s’est terminé quelques jours plus tard par un raid israélien pour libérer les otages sur l’aéroport ougandais d’Entebbe, Giscard fait savoir à plusieurs de ses interlocuteurs étrangers qu’il n’hésitera pas, la prochaine fois, à employer la manière forte. « Je peux vous dire qu’en matière de terrorisme notre attitude sera très dure[86] », déclare-t-il au vice-président américain, Walter Mondale, lors d’une rencontre début 1977. À ses yeux, la rétorsion est légitime et tous les coups sont permis.

Guérillas sanglantes en Angola

Naturellement, c’est en Afrique qu’ont lieu les manœuvres les plus sérieuses. Dans la guerre froide qui se prolonge, le continent noir est, aux yeux de Giscard, une priorité. Mais il ne peut revendiquer publiquement une guérilla contre l’URSS. Ses services secrets lui servent de paravent. Fin 1975, l’accession à l’indépendance de l’Angola, ancienne colonie portugaise, provoque un conflit dérivé de l’affrontement Est-Ouest. Ce pays pétrolier est gouverné par un régime d’inspiration communiste dirigé par Agostinho Neto, lequel fait massivement appel à l’aide soviétique. Par ailleurs, des dizaines de milliers de soldats cubains sont chargés d’assurer sa sécurité. Face à lui, une rébellion pro-occidentale s’organise : au nord autour du FNLA, mené par Holden Roberto, proche de Mobutu, soutenu un temps par la CIA, puis par des mercenaires anglo-saxons ; au sud autour de l’UNITA, un mouvement piloté par le bouillant Jonas Savimbi, surtout aidé par les Sud-Africains.

Grâce à ces appuis militaires étrangers, le FNLA et l’UNITA livrent contre le régime de Luanda une offensive militaire qui les conduit, à la fin de l’année 1975, aux portes de la capitale angolaise. Une équipe française du SDECE, menée par Ivan de Lignières, accompagne leur avancée. Mais le Congrès américain, sourcilleux sur les interventions à l’étranger, suspend soudainement l’aide militaire, ce qui oblige Jonas Savimbi à se replier.

Soutenu par Giscard, Alexandre de Marenches, le directeur du SDECE, farouche anticommuniste, poursuit l’action clandestine contre le régime angolais prosoviétique. Sous la houlette du chef du SA, Alain de Gaigneron de Marolles, véritable homme-orchestre du SDECE qui bénéficie d’une grande marge de manœuvre, des équipes sont envoyées dans la région, notamment à Kinshasa, afin de mener des opérations éclairs en Angola. Sabotages de voies ferrées, attaques de trains, attentat dans un hôtel de Luanda hébergeant des conseillers militaires des pays de l’Est : cette guerre qui ne dit pas son nom est meurtrière. Lors d’une rencontre secrète à Paris en novembre 1977, Jonas Savimbi et Alexandre de Marenches s’accordent sur le renforcement de leur coopération[87]. « Savimbi faisait feu de tout bois pour être armé et financé par plusieurs pays, explique un ancien du SDECE. Il était le fer de lance de l’anticommunisme en Afrique. Nous étions fermement à ses côtés, sur ordre de Giscard[88]. »

Une vingtaine de mercenaires de la bande de Bob Denard, payés par la CIA via une banque de Bongo et surveillés par le SDECE, donnent également des coups de main dans le cadre d’une opération baptisée Unhood[89]. Ainsi, fin 1976, René Dulac, bras droit de Denard, s’active, en compagnie d’une dizaine d’hommes, auprès d’une rébellion séparatiste dans l’enclave angolaise du Cabinda, avec l’aide des Zaïrois, sans grand succès. « Nous avons eu des accrochages très sérieux, se souvient-il. Un jour, nous sommes tombés dans une embuscade et nous avons eu quatre-vingts morts et deux cents blessés en trois heures. Un vrai carnage[90]. » Dulac rejoint ensuite les équipes de Denard, qui épaulent pendant quelque temps l’UNITA de Savimbi, multipliant les actions contre les unités angolaises et leurs alliés cubains.

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83

Roger Faligot et Pascal Krop, La Piscine, op. cit., p. 328. Voir aussi John Follain, Jackal. The Complete Story of the Legendary Terrorist, Carlos the Jackal, Arcade Publishing, 1998, p. 159.

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84

Voir notamment Charles Villeneuve et Jean-Pierre Péret, Histoire secrète du terrorisme. Les juges de l’impossible, Plon, 1987, p. 62–64, et Roger Faligot, Jean Guisnel et Rémi Kauffer, Histoire politique des services secrets français, op. cit., p. 356–358.

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85

Rapporté dans Roger Faligot et Pascal Krop, DST, police secrète, Flammarion, 1999, p. 306.

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86

Entretien de Walter Mondale avec Valéry Giscard d’Estaing, 29 janvier 1977, archives de la présidence de la République, Archives nationales, 5AG3-984.

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87

Voir notamment Roger Faligot et Jean Guisnel (dir.), Histoire secrète de la Ve République, op. cit., p. 156–157, et Roger Faligot, Jean Guisnel et Rémi Kauffer, Histoire politique des services secrets français, op. cit., p. 339–342.

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88

Entretien avec l’auteur, juillet 2013.

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89

Pierre Lunel, Bob Denard, op. cit., p. 447 sq. Et Pierre Péan, Affaires africaines, op. cit., p. 170–171.

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90

Entretien avec l’auteur, juin 2013.