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Le 19 décembre 1981, un colis piégé est désamorcé juste à temps, grâce à la vigilance d’un voisin, devant la porte du journal pro-irakien Al-Watan al-Arabi, rue Marbeuf, à Paris. Le 29 mars 1982, une bombe explose dans le Capitole, le train qui relie Paris à Toulouse, tuant cinq personnes. Quelques jours plus tard, le 15 avril, Guy Cavallo, un chiffreur de la DGSE en poste à l’ambassade de France à Beyrouth, est assassiné, en même temps que sa femme Caroline, dans leur appartement. Parallèlement, des bombes de faible puissance explosent à Vienne, en Autriche, devant les locaux d’Air France et l’ambassade de France. Le 22 avril, un engin placé dans une Opel rouge fait des ravages devant le siège parisien d’Al-Watan al-Arabi — encore lui —, tuant une jeune femme et blessant soixante-trois personnes. Les services français avaient été informés d’un attentat imminent contre le journal, qui venait d’accuser la Syrie d’être impliquée dans l’assassinat de Louis Delamare[126].

Mitterrand ordonne des représailles en série

Le doute n’est plus permis. « C’est le gouvernement français qui était visé[127] », déclare le directeur du journal arabe, estimant que l’attentat est une mise en garde contre la France au sujet du Liban. Dans les jours qui suivent, le ministre de l’Intérieur expulse deux diplomates syriens en poste à Paris, l’attaché militaire adjoint et l’attaché culturel de l’ambassade, le second étant suspecté d’être impliqué dans l’affaire du colis piégé de décembre 1981.

La réplique ne s’arrête pas là. Selon l’ancien directeur de cabinet de François Mitterrand, Gilles Ménage, qui s’est occupé des affaires de renseignement à l’Élysée à partir de septembre 1982, des mesures de rétorsion ont été décidées après la mort de l’ambassadeur Delamare : « Pour punir les auteurs de cet assassinat, les services spéciaux français reçurent pour instruction de François Mitterrand d’en éliminer — directement ou indirectement — les auteurs et de faire procéder au plasticage du parti Baas à Beyrouth. Les objectifs furent très largement atteints[128]. » Plusieurs ouvrages ont mis en doute cette version, que Pierre Marion n’a pas confirmée dans ses Mémoires[129].

Alors, où est la vérité ? Le patron du SDECE ne pouvait reconnaître publiquement des opérations relevant, par définition, du secret le plus absolu. Mais, selon des sources concordantes, les remarques de Gilles Ménage sont fondées : des représailles ont bien eu lieu. « Les assassins de Delamare ont été retrouvés et tous les coupables tués[130] », avance un ancien dirigeant de la DGSE. « Nous avons vengé l’ambassadeur, ainsi que le chiffreur de l’ambassade de France et son épouse tués en avril 1982[131] », confirme un ancien officier du SA qui a opéré plusieurs fois au Liban. « Nous avons mené trois ou quatre opérations de représailles pour faire passer des messages à Damas[132] », ajoute un autre cadre de la DGSE qui a travaillé sur ces dossiers.

Concrètement, le 29 novembre 1981, une bombe explose près d’un bâtiment de la présidence du Conseil national syrien, à Damas, faisant une soixantaine de morts et plus de cent blessés. Rien ne prouve que la France soit directement mêlée à cet attentat, que le régime syrien impute aux Frères musulmans. Mais François Mitterrand a aussi parlé de vengeance « indirecte » : les services français ont probablement recruté des hommes de main locaux pour préparer cette action.

Le 27 avril 1982, à Madrid, une fusillade éclate. La personne visée, Hassan Dayoub, un attaché « culturel » syrien en poste dans la capitale espagnole, en réchappe. Cette fois, l’implication du SA ne fait pas de doute : il s’agit bien d’une opération Homo. Dayoub est suspecté d’avoir téléguidé l’équipe qui a commis l’attentat de la rue Marbeuf, cinq jours plus tôt, et d’orchestrer des actions contre des opposants syriens. Autres représailles directes : fin 1982, un commando d’une douzaine d’agents du SA exécute deux des assassins présumés de l’ambassadeur Delamare dans un village de la plaine de la Bekaa[133].

Dernier acte : fin 1983, deux agents du SA tuent un proche des services de sécurité syriens, sans doute l’Iranien Sadek Moussawi, près de Tripoli, au nord du Liban. Sadek Moussawi a été identifié, notamment grâce à l’aide des services de renseignement de l’OLP, comme le chef du commando de Chevaliers rouges ayant assassiné Louis Delamare. Blessé à Tripoli durant l’automne 1983 lors d’affrontements armés avec les forces de l’OLP, ce milicien prosyrien a été transporté dans un hôpital de la région pour y être opéré : des agents français s’y infiltrent et l’éliminent[134].

Des tireurs d’élite à Beyrouth pour sauver Arafat

Cependant, au printemps 1982, les rétorsions françaises ne semblent pas encore très dissuasives. La tension monte même d’un cran. Le 24 mai, un attentat contre l’ambassade de France à Beyrouth tue onze personnes et en blesse vingt-sept. Quelques jours plus tard, l’armée israélienne lance l’opération Paix en Galilée afin de déloger l’OLP du sud du Liban, avant de foncer sur Beyrouth. Prônant le déploiement d’une force multinationale d’interposition et l’arrêt des « occupations » du Liban, François Mitterrand veut aider le leader de l’OLP, Yasser Arafat, à quitter « dans l’honneur » la capitale libanaise avec ses troupes.

Les positions françaises continuent de déranger. Le 9 août, à l’heure du déjeuner, quatre tueurs entrent dans la brasserie Goldenberg, rue des Rosiers, à Paris, et lancent des grenades avant de tirer sur le personnel et les clients. Bilan : six morts et vingt-six blessés. Un carnage. L’émotion est considérable. D’autres attentats à la bombe suivent dans la capitale : le 11 août devant l’ambassade d’Irak à Paris ; le 25 août contre la voiture d’un attaché commercial américain, provoquant la mort de deux démineurs qui tentaient de désamorcer la bombe ; le 17 septembre rue Cardinet, près du lycée Carnot.

Le 17 août 1982, le président de la République prend la parole à la télévision pour dénoncer ce terrorisme venu du Moyen-Orient. Afin de bien marquer les esprits, il annonce la création d’un secrétariat d’État à la Sécurité publique, qu’il confie à l’un de ses proches, Joseph Franceschi, et la naissance d’une Mission de coordination de la lutte contre le terrorisme, placée à l’Élysée sous l’autorité du commandant d’escadron de gendarmerie Christian Prouteau, ancien patron du GIGN et responsable de la sécurité présidentielle.

Toutes ces mesures déplaisent aux experts des services, qui les jugent improvisées et inefficaces. Rattaché au ministère de l’Intérieur, le secrétariat d’État à la Sécurité publique n’aura guère de pouvoir. Quant à la « cellule Prouteau », elle s’illustre rapidement par un dérapage : fin août 1982, elle procède dans des conditions controversées à l’arrestation de trois Irlandais suspectés d’activités terroristes[135].

Au Liban, la Force multinationale, composée de soldats français, américains et italiens, se déploie à la fin du mois d’août. Un détachement de légionnaires du 2REP a été envoyé quelques jours auparavant en éclaireur pour sécuriser l’évacuation des quinze mille combattants palestiniens. Un groupe de tireurs d’élite du GIGN, arrivés par avion spécial via Nicosie, complètent le dispositif. Ils sont notamment chargés de « nettoyer » les abords du port de Beyrouth, devenu un véritable traquenard, avant l’exfiltration de Yasser Arafat, que les Syriens et les Israéliens considèrent comme un ennemi à abattre.

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126

Voir notamment Philippe Boggio, « Objectif France », Le Monde, 14 octobre 1982 ; et Charles Villeneuve et Jean-Pierre Péret, Histoire secrète du terrorisme, op. cit., p. 107 sq.

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127

Propos recueillis par Christiane Chombeau et Laurent Greilsamer, Le Monde, 30 avril 1982.

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128

Gilles Ménage, L’Œil du pouvoir, t. 3 : Face au terrorisme moyen-oriental, Fayard, 2001, p. 75.

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129

Voir notamment Pierre Favier et Michel Martin-Roland, La Décennie Mitterrand, t. 1 : Les ruptures (1981–1984), Seuil, coll. « Points », 1995, p. 348.

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130

Entretien avec l’auteur, avril 2013.

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131

Entretien avec l’auteur, mai 2013.

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132

Entretien avec l’auteur, juin 2013.

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133

Rapporté par deux anciens dirigeants de la DGSE. Voir aussi John Follain, Jackal, op. cit., p. 164 ; Christian Chesnot et Georges Malbrunot, Les Chemins de Damas. Le dossier noir de la relation franco-syrienne, Robert Laffont, 2014, p. 22.

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134

Voir Claude Angeli, « Quand les barbouzes françaises opéraient un terroriste dans un hôpital libanais », Le Canard enchaîné, 20 mai 1987.

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135

Le 28 août 1982, des gendarmes menés par le capitaine Paul Barril, bras droit officieux de Prouteau à l’Élysée, interpellent trois Irlandais soupçonnés d’activités terroristes. Mais la perquisition, effectuée à Vincennes, est entachée d’irrégularités — il se révèle même que des explosifs ont été apportés par les gendarmes. C’est ce qu’on a appelé l’affaire des Irlandais de Vincennes. Au sujet de cette affaire et des autres dérives de la cellule Prouteau, dont les écoutes illégales, voir notamment Edwy Plenel, La Part d’ombre, Gallimard, 1994 ; Jean-Michel Beau, L’Affaire des Irlandais de Vincennes. L’honneur d’un gendarme, Fayard, 2008 ; Gilles Ménage, L’Œil du pouvoir, t. 1 : Les affaires de l’État, 1981–1986, Fayard, 1999 ; et Jean-Marie Pontaut et Jérôme Dupuis, Les Oreilles du président, Fayard, 1996.