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À la mi-décembre, un accord confidentiel se dessine entre Abou Nidal et ses interlocuteurs français : il ne frappera plus les intérêts ni le territoire français, en échange d’une relative immunité. Les discussions se prolongent les mois suivants, avec l’aide de services étrangers. En avril 1983, de hauts responsables de la DST rencontrent des proches d’Abou Nidal à Vienne, en Autriche. L’accord est confirmé. Quelques jours plus tard, le journal arabe Al-Watan al-Arabi écrit, de source bien informée : « À la suite de contacts privés très importants qu’il a eus tout récemment, Abou Nidal a décidé d’épargner à l’avenir le territoire français de toute action violente[151]. » D’autres rencontres auront lieu les années suivantes entre des représentants de la DST et Abou Nidal ou ses émissaires, à Alger, Damas et Vienne.

Parallèlement, l’amiral Pierre Lacoste, néophyte en matière de renseignement, prend ses marques à la DGSE. Il découvre que son prédécesseur, qui multipliait les initiatives désordonnées, a laissé la maison dans un état de désorganisation avancé. Selon lui, les différents services ne cessent de se chamailler, et le SA fonctionne pratiquement de manière autonome, sans forcément rendre compte de tout ce qu’il entreprend. Après un tour de piste interne, il commence à reprendre les choses en main.

Sur le front du terrorisme moyen-oriental, il décide de renouer le fil des négociations avec les Syriens afin de corriger le tir. Il suit en cela les conseils d’un des agents de la DGSE envoyé comme clandestin à Beyrouth, Alain Chouet. Ce dernier se souvient : « En avril 1983, j’ai expliqué à l’amiral Lacoste que la Syrie était bien derrière de nombreux attentats et que les représailles ne seraient pas efficaces. J’ai proposé qu’on aille voir Rifaat el-Assad. » Des rendez-vous sont pris durant l’été 1983, en Suisse, avec le frère du président syrien. Le message est délivré en des termes plus policés que celui émis presque un an plus tôt par Pierre Marion. « Je n’ai pas attaqué bille en tête en parlant de l’ambassadeur Delamare, raconte Lacoste. Marion avait été maladroit. J’ai essayé de nouer des relations plus posées avec les Syriens pour qu’on évite les malentendus[152]. » Au-delà de la diplomatie, cependant, le contenu demeure relativement ferme : « Nous leur avons dit : “Si vous avez des désaccords avec la France, dites-le-nous directement. Sinon, la prochaine fois, nous n’exécuterons plus des sous-fifres, mais des personnes importantes[153].” »

Le message est bien reçu. Les attentats syriens antifrançais finissent par cesser. Une ligne de communication téléphonique directe est installée entre les services secrets syriens et français. Elle fonctionnera sans encombre durant plusieurs décennies. Le président Mitterrand effectuera une visite officielle à Damas en octobre 1984 afin de tenter de tourner la page. À défaut de pouvoir combattre frontalement la Syrie, Paris préfère discuter avec ses dirigeants, si dictatoriaux soient-ils.

Mais d’autres pays, entre-temps, ont pris le relais du terrorisme. Et ils ont décidé de frapper la France.

6.

Le jour où Mitterrand a commandité un attentat

Beyrouth, dimanche 23 octobre 1983. Peu après le lever du jour, à 6 h 17, une puissante déflagration se fait entendre. Un camion Mercedes jaune bourré de six tonnes de TNT vient d’exploser dans l’enceinte du quartier général des Marines américains de la Force multinationale, près de l’aéroport. Trois minutes plus tard, en front de mer, une autre explosion détruit le Drakkar, l’immeuble en cours de rénovation où étaient cantonnés les parachutistes français. Le bilan de ces deux attentats coordonnés est particulièrement lourd : deux cent quarante et un morts parmi les GI’s et cinquante-huit parmi les forces françaises, sans compter la famille libanaise du gardien.

Sur les lieux, les sauveteurs découvrent un spectacle de désolation. Les cadavres et les blessés doivent être extraits des ruines encore fumantes des immeubles effondrés à l’aide de pelles mécaniques. Certains rescapés français émettront des doutes sur la thèse officielle d’un camion suicide qui serait venu s’encastrer dans les sous-sols du Drakkar, aucun débris du véhicule piégé n’ayant été retrouvé. Selon eux, l’immeuble, occupé auparavant par les services secrets syriens, aurait été miné préalablement[154]. Mais les sentinelles qui auraient pu voir le camion arriver de loin sont décédées, et le site n’est plus qu’un amas de décombres difficiles à identifier.

La France et les États-Unis ne sont pas les bienvenus au Liban

À Paris, le président François Mitterrand est immédiatement informé des événements par ses collaborateurs. Aussitôt, il ordonne à son ministre de la Défense, Charles Hernu, de se rendre à Beyrouth, avant de se préparer lui-même à faire ce déplacement, qu’il sait très risqué. « C’est trop dangereux, on essaiera sûrement de le tuer[155] », avertissent le ministre des Relations extérieures, Claude Cheysson, et l’ambassadeur de France au Liban, Fernand Wibaux.

Mais Mitterrand est déterminé. Cet attentat suicide, il le redoutait plus que tout. Depuis des mois, la tension monte au Liban. La France et les États-Unis se sont exposés en intervenant militairement dans ce pays, sous l’égide de l’ONU. L’invasion israélienne du Sud-Liban, déclenchée en juin 1982, a entraîné l’envoi temporaire de neuf cents soldats français et de huit cent cinquante Marines. Après les massacres de septembre 1982 dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila, la Force multinationale de l’ONU a été contrainte de revenir au Liban afin de sécuriser la capitale.

Cette présence militaire franco-américaine déplaît fortement aux Israéliens, et encore plus aux factions libanaises qui se disputent, armes à la main, le contrôle de Beyrouth. Les milices chiites, Amal et Amal islamique, soutenues par les Syriens et les Iraniens, multiplient les accrochages et les attaques. Appuyé par Paris et Washington, le président libanais Amine Gemayel, qui a succédé à son frère Béchir, tué dans un attentat le 14 septembre 1982, n’a pas suffisamment de poids pour maîtriser cette situation chaotique. En avril 1983, un véhicule piégé a explosé dans les sous-sols de l’ambassade américaine, tuant près de soixante personnes. Entre le printemps et la fin de l’été, les services de renseignement américains ont reçu plus d’une centaine de messages d’alerte concernant de possibles attaques à la voiture piégée, mais jamais assez précis[156]. Au lieu de disperser leurs contingents respectifs, les officiers français et américains ont décidé de les regrouper sur des sites uniques, les rendant ainsi plus vulnérables.

En ce 23 octobre, les adversaires des États-Unis et de la France ont décidé de frapper un grand coup. Trois organisations peu connues, dont le Djihad islamique et le Mouvement de la révolution islamique libre, revendiquent ces deux attentats, saluant le sacrifice des deux kamikazes qui les ont perpétrés.

Venger les victimes du Drakkar
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151

Rapporté dans Charles Villeneuve et Jean-Pierre Péret, Histoire secrète du terrorisme, op. cit., p. 178.

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152

Entretien avec l’auteur, octobre 2014. Voir aussi Christian Chesnot et Georges Malbrunot, Les Chemins de Damas, op. cit., p. 25.

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153

Entretien avec l’auteur, juillet 2013.

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154

Voir Benoît Hopquin, « Attentat du Drakkar : qui a tué les paras français de Beyrouth en 1983 ? », Le Monde, 23 octobre 2013.

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155

Gilles Ménage, L’Œil du pouvoir, t. 3, op. cit., p. 200 ; et Jacques Attali, Verbatim, t. 1 : 1981–1986, Fayard, 1993, p. 527.

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156

« Commission Report on Beirut International Airport Terrorist Act of 23 October 1983 », décembre 1983, Reagan Library. Voir aussi « A Provocation Contingency in Lebanon, Intensified Attacks on Marine Positions to Force US Air and Naval Strikes », archives de la CIA, cité dans Vincent Nouzille, Dans le secret des présidents, op. cit., p. 117.