Выбрать главу

D’autres mercenaires et des matériels débarquent sur le tarmac de N’Djamena. Installé dans le camp militaire de Dubut, le groupe Saxo, composé d’une trentaine d’hommes, est entraîné par quelques agents du SA au maniement des missiles anti-chars Milan. L’équipe de la DGSE, baptisée force Oméga, se déploie avec des instructeurs qui vont soutenir discrètement l’armée tchadienne, à l’instar de la CIA.

« Nous avons pulvérisé des Libyens »

Quelques jours plus tard, le 18 juillet, Hissène Habré commence son offensive en remontant vers le nord. Ses soldats, essentiellement des nomades du désert, les Goranes, sont juchés sur leurs pick-up, armés de mitrailleuses, et foncent droit devant, sans hésiter. Les mercenaires français les accompagnent, équipés de canons, de fusils d’assaut et d’une trentaine de missiles. Très vite, ils tombent nez à nez avec les chars libyens. René Dulac se souvient : « Les Goranes menaient des assauts en entourant rapidement les chars avec six ou sept voitures et en flinguant leurs équipages. Nous, nous étions redoutables avec nos Milan. Nous tirions directement sur les tanks en les pulvérisant. Nous en avons “traité” plusieurs de cette façon. Les Libyens étaient terrorisés. Nous avons réussi à reprendre Faya-Largeau en quelques jours. Je n’ai rendu compte à Paris du succès de la mission qu’une fois arrivé sur place. On m’a répondu que j’avais bien fait. » À l’Élysée et à la DGSE, on respire. Les têtes brûlées de l’équipe Saxo exécutent sans anicroche la mission secrète qui leur a été confiée.

Mais la bataille n’est pas terminée. Les Libyens, qui ont dû battre en retraite, commencent à bombarder méthodiquement Faya-Largeau, qu’ils ont dû quitter le 30 juillet. Dulac raconte : « La pression s’est accentuée sur nous. J’ai dit à Hissène Habré qu’il fallait défendre la ville en se positionnant plus au nord. Il ne m’a pas écouté. Ses troupes étaient excellentes dans l’assaut, mais moins bonnes pour tenir des positions. Et Habré a quitté la ville sans même me prévenir. » Le SA, alerté, envoie sur place quelques hommes armés de missiles américains sol-air afin de détruire les Mig et autres Soukhoï qui pilonnent la ville. « Nous ne nous mélangions pas avec eux, se rappelle le mercenaire. Mais ils n’ont pas tiré un seul missile. » La situation devient intenable. « Nous avons dû décrocher complètement de Faya-Largeau début août, après une grosse attaque libyenne. J’ai laissé les Tchadiens reculer et je suis rentré à N’Djamena[199]. »

À Paris, l’opération clandestine est considérée comme un succès, bien que Faya-Largeau ait été reprise. Elle a ralenti l’avancée des Libyens et de Goukouni Oueddei, qui ne s’attendaient pas à une telle contre-attaque. Plusieurs de leurs chars ont été détruits. L’intervention des mercenaires de la DGSE a permis de gagner au moins quinze jours. Et elle a servi d’avertissement. Après de nombreuses hésitations et de nouvelles pressions américaines, Mitterrand donne son feu vert à l’opération Manta, qui débute officiellement le 9 août 1983 avec le débarquement de détachements sur l’aéroport de N’Djamena. Composée de près de trois mille soldats, Manta a pour but d’aider Hissène Habré à préserver son régime et de rassurer les chefs d’État africains. Les forces de Manta n’interviendront qu’en cas de franchissement par les Libyens d’une « ligne rouge » fixée sur le 15parallèle. La reconquête complète du nord du Tchad, souhaitée par Hissène Habré, est en revanche exclue.

Consignés aux abords du camp Dubut durant tout le mois d’août, les mercenaires de Dulac voient se déployer l’armée française, qui les ignore superbement. René Dulac conclut : « Nous avions fait le job pour eux, à trente-cinq. J’ai rendu les missiles Milan non utilisés. Mais les militaires nous évitaient. Nous étions mal vus. Cela sentait la fin de notre mission. Nous sommes rentrés, petit à petit, au bout de trois mois. Mais nous avons bien été payés pour nos six mois. » La République est généreuse avec ses « Affreux ».

Le passage mystérieux de ces sulfureux « coopérants » au Tchad ne sera ébruité dans la presse que quelques mois plus tard.

8.

Le retour des commandos du 11e Choc

« À ma profonde stupéfaction, j’ai découvert une véritable opération maligne de déstabilisation de nos services secrets. J’ai aussi trouvé des gens qu’il fallait sanctionner. J’ai coupé les branches pourries. Maintenant, j’ai autour de moi une équipe soudée avec laquelle je vais aller de l’avant, car il est impensable que notre pays, qui est une des cinq grandes puissances nucléaires du monde, soit privé de services secrets qui lui sont absolument nécessaires si notre pays veut garder sa place dans le monde. Là, je suis clair et net, et je vous le dis tout de suite : j’ai verrouillé ce service […] et je serai le rempart de ce service[200] […]. »

Invité à la télévision — fait exceptionnel — le 27 septembre 1985, le nouveau directeur de la DGSE, le général René Imbot, ne mâche pas ses mots. Visage carré, cheveux ras, uniforme strict bardé de décorations : l’ancien chef d’état-major de l’armée de terre à la réputation de bouledogue force le trait. Nommé en catastrophe en Conseil des ministres le 25 septembre, il prend la tête d’une maison qui fait naufrage. Le scandale du Rainbow Warrior, le navire de Greenpeace saboté par la DGSE dans le port d’Auckland, a tout emporté sur son passage, braquant les projecteurs sur les ratés des services secrets français.

Le 10 juillet, le Rainbow Warrior, bateau phare de l’organisation écologiste, qui mène campagne contre les essais nucléaires français dans le Pacifique, est endommagé en pleine nuit par une première explosion. Un photographe, Fernando Pereira, revient à bord et décède dans l’explosion de la deuxième charge. La nuit du drame, un camping-car suspect est repéré par un habitant aux abords d’une plage, près d’Auckland. Le lendemain, un canot pneumatique et une bouteille de plongée sont retrouvés près d’une digue. Deux « touristes », Alain et Sophie Turenge, sont interpellés par la police néo-zélandaise alors qu’ils se rendent à l’agence où ils ont loué leur camping-car. Leurs passeports suisses se révèlent de faux documents, et le numéro de téléphone qu’ils ont appelé en France après leur arrestation correspond à une ligne réservée « défense » du fort de Noisy-le-Sec, le quartier général du SA. Des membres d’équipage d’un voilier français, l’Ouvéa, qui faisait escale au nord de la Nouvelle-Zélande apparaissent également comme des suspects. Des poursuites sont engagées contre eux, tandis que les enquêteurs néo-zélandais obtiennent la véritable identité des faux époux Turenge : il s’agit du commandant Alain Mafart, nageur de combat, et du capitaine Dominique Prieur, tous deux membres de la DGSE.

вернуться

199

Dans la nuit du 6 au 7 août, les membres de la force Oméga quittent Faya-Largeau en urgence, avec l’aide d’un pilote civil venu à leur secours. Voir Claude Faure, Aux services de la République, op. cit., p. 603.

вернуться

200

Rapporté notamment dans Claude Faure, Aux Services de la République, op. cit., p. 525.