Toutefois, l’essentiel du coup de pouce donné par la France à son favori doit demeurer invisible. Les mercenaires sont là pour cela. Fin août 1997, deux dizaines d’anciens fidèles de Bob Denard sont recrutés pour cette nouvelle mission, officiellement par des proches de Denis Sassou Nguesso. « Nous sommes arrivés au Congo, via le Gabon, d’abord à Oyo, la ville natale de Sassou, avant d’être envoyés à Brazzaville, se souvient un ancien baroudeur ayant participé aux opérations. Nous avons eu pour objectif de reprendre le contrôle des faubourgs nord de la capitale, qui étaient encore tenus par des partisans de Lissouba. Nous avons mené des offensives, notamment pour contrôler les ponts et l’aéroport, afin de faciliter l’arrivée, fin septembre, des forces angolaises qui sont venues soutenir Sassou[370]. »
Parallèlement, toujours afin de sécuriser l’avancée des soldats angolais, Pierre Oba, proche de Sassou et futur ministre de l’Intérieur, appelle à la rescousse un autre ancien officier français, Jean-Renaud F., un saint-cyrien reconnu pour son expertise et tout juste rentré des maquis karens de Birmanie. Durant l’été, s’infiltrant à pied depuis l’enclave angolaise du Cabinda en se faisant passer pour un journaliste, Jean-Renaud F. rejoint les maquisards pro-Sassou à Pointe-Noire et sabote avec eux la petite flotte d’avions et d’hélicoptères encore entre les mains des partisans de Lissouba.
Denis Sassou Nguesso remporte la guerre en octobre 1997. Proclamé président du Congo-Brazzaville, il continue pendant quelques mois d’utiliser les mercenaires français pour achever la mise en place de son pouvoir et encadrer sa nouvelle garde présidentielle. « C’est toujours l’équipe Denard qui menait la danse, en se présentant comme des défenseurs des intérêts français. Il s’agissait surtout de mener des opérations de police ici et là[371] », se rappelle un mercenaire présent sur place.
À Paris, le retour au pouvoir de Denis Sassou Nguesso par la manière forte réjouit l’Élysée. L’aide clandestine française, par l’intermédiaire des réseaux Foccart-Denard, a sans doute été décisive.
Cependant, le Congo-Brazzaville n’est pas encore totalement « pacifié ». Fin 1998, des troubles renaissent dans le pays, attisés par d’anciens partisans de Lissouba et des miliciens Ninjas soutenant un ancien Premier ministre et n’ayant pas complètement renoncé aux armes. Ces derniers harcèlent les troupes loyalistes de Sassou dans la région du Pool, près de la capitale, et attaquent régulièrement la ligne de chemin de fer reliant Brazzaville à Pointe-Noire. À Paris, l’inquiétude se répand dans les palais du pouvoir. Une fois de plus, il faut voler discrètement au secours de Sassou.
Un mercenaire trentenaire, Marc Garibaldi, alias Bruno, qui a participé aux opérations au Zaïre en 1996 et au Congo-Brazzaville en 1997, prépare cette deuxième mission congolaise au printemps 1999. Ancien soldat de l’armée française, il a connu Bob Denard durant son enfance en Afrique et lui voue une fidélité à toute épreuve. Son idée : monter une véritable entreprise de mercenariat, qui pourrait réunir les anciens membres dispersés des équipes Denard, afin de lutter à armes égales avec les sociétés anglo-saxonnes de ce secteur en plein essor. Marc Garibaldi parle de son plan à ses mentors, Bob Denard, Maurice Robert et le général Jeannou Lacaze. « Denard lui a conseillé d’aller voir Maurice Robert, se souvient un des mercenaires proches de Garibaldi. Il lui a dit que celui-ci l’aiderait comme il l’avait aidé, lui, et cela s’est bien passé. Marc a aussi pris le pouls de la DGSE, à qui il rendait compte de toutes ses missions. Comme à son habitude dans ce genre d’affaires, la DGSE n’a pas mis de feu rouge, avalisant ainsi implicitement cette initiative. Mieux, elle a donné un coup de pouce financier d’environ 20 000 francs [3 000 euros] pour créer la société[372]. »
En mai 1999, soutenu par la DGSE, Marc Garibaldi crée avec deux associés la société EHC, domiciliée au Luxembourg. Son premier contrat porte sur le recrutement de mercenaires pour aider Sassou Nguesso. Des contacts sont établis avec le ministère congolais de la Défense et le chef d’état-major de l’armée, le général Okoï. Un homme d’affaires français, Jacques L., franc-maçon très introduit à Brazzaville et à Luanda, lié aux réseaux Foccart autant qu’à la DGSE et à la DST, sert d’intermédiaire. C’est par la FIBA, la banque gabonaise d’Omar Bongo, allié de Sassou Nguesso (en même temps que son gendre), que transitent les premiers fonds. Le montant du contrat avoisine les 40 millions de francs, soit quelque 6 millions d’euros.
La France soutient discrètement tout ce qui peut conforter son ami Sassou, en dépit de ses méthodes controversées. Au printemps 1999, sur les rives du fleuve Congo, un flot de réfugiés qui avaient fui les combats reviennent dans leur pays, accostant grâce aux navettes fluviales sur les quais, encadrés par des militaires congolais. Soupçonnant la présence de rebelles parmi eux, les soldats font du « tri », conduisant certains réfugiés dans des zones isolées où ils « disparaissent ». « Lorsque nous sommes arrivés à quelques mètres des lieux, j’ai constaté la présence de corps empilés et de brasiers qui servaient à incinérer de nombreux corps, témoignera un officier congolais qui s’inquiétait alors des disparitions. J’estime qu’il y avait plus d’une centaine de corps. Il y avait des groupes de militaires de la garde présidentielle sur les lieux[373]. » Plusieurs rescapés et témoins des massacres accuseront les proches de Sassou Nguesso d’avoir planifié et exécuté ces tueries, qui auraient coûté la vie à plus de trois cent cinquante personnes entre avril et juin 1999. Le président congolais a simplement reconnu des exactions dues, selon lui, à des règlements de compte entre ethnies. L’enquête, après la plainte déposée en France par des victimes et des ONG, subira de nombreuses entraves[374].
Une chose est sûre : rien de ce qui se passe d’important au Congo-Brazzaville à cette époque n’échappe aux autorités françaises. Le président Sassou est constamment entouré de plusieurs soldats français des forces spéciales. La quarantaine de mercenaires engagés par EHC arrivent à Brazzaville à partir de début juin 1999. Placés sous la tutelle du général Okoï, ils s’installent dans les bâtiments de l’académie militaire Marien Ngouabi, à une quinzaine de kilomètres au nord de la ville. Leur mission, baptisée opération Ades — pour Assistance à la défense et à la sécurité —, est connue des autorités françaises. Elle dure de juin 1999 à mai 2000. Marc Garibaldi rend compte régulièrement de ce que fait son équipe à l’attaché militaire de l’ambassade de France, ainsi qu’à la DGSE.
Outre des missions de renseignement et de surveillance de l’opposition, les baroudeurs d’EHC servent d’abord à former le « bataillon de choc Marien Ngouabi », composé de neuf cents soldats congolais. Puis ils aident ces commandos à réduire les ultimes poches de rebelles Ninjas, principalement dans la région du Pool, où le pasteur Ntumi, chef spirituel et militaire, anime la résistance. Des combats violents se déroulent durant l’été et l’automne 1999. « C’était chaud, raconte un membre de la mission Ades. Nous cassions les lignes de ravitaillement des Ninjas et nous les attaquions. Parfois, nous réussissions à les convaincre de faire défection. En quelques mois, la guérilla a cessé. Nous prenions garde de ne pas commettre de dérapages et de traiter les prisonniers correctement[375]. » D’autres témoins évoquent cependant des exactions commises par les forces congolaises dans leur reconquête du Pool. « Cette prétendue pacification a été rude, commente ainsi un ancien officier français qui a opéré au Congo-Brazzaville. À Paris, l’Élysée et la DGSE ont fermé les yeux sur ces opérations de nettoyage[376]. »
370
Entretien avec l’auteur, juillet 2014. Voir aussi François-Xavier Sidos,
373
Audition de X. par la section de recherches de Paris de la gendarmerie nationale, juillet 2002, dans le cadre de l’instruction ouverte au tribunal de grande instance de Meaux par le juge Gerville.
374
Un jugement a été rendu en 2005 au Congo-Brazzaville, condamnant des officiers mis en cause, mais les dispensant de peine. Une plainte pour crimes contre l’humanité déposée en France en décembre 2001 par deux survivants a été instruite d’abord à Meaux, puis à Paris. La Ligue des droits de l’homme et la Fédération internationale des droits de l’homme, parties civiles dans cette affaire dite des « disparus du Beach », se sont émues des ingérences politiques répétées dans l’instruction, à ce jour toujours ouverte. Voir aussi Patrice Yengo,
376
Entretien avec l’auteur, octobre 2013. Voir aussi le récit des opérations menées dans le Pool dans Franck Hugo et Philippe Lobjois,