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Au printemps 2000, Denis Sassou Nguesso, après avoir négocié des accords de paix avec plusieurs factions rebelles, reprend le contrôle total de la situation. Il demande alors officiellement l’assistance militaire de la France pour l’aider à sécuriser son pays. À Brazzaville, la présence des mercenaires d’EHC, contrôlée depuis le début de manière discrète, est désormais jugée embarrassante par Paris. Ils sont priés de quitter la scène, au profit d’une coopération militaire plus visible.

Les mercenaires de Chirac doivent se trouver d’autres missions. En 2000, certains d’entre eux, par l’intermédiaire de l’inusable général Jeannou Lacaze, vont protéger le président ivoirien Robert Guéï. Puis quelques-uns tentent vainement une opération à Madagascar en 2002[377], avant de se recycler du côté de l’Afghanistan ou de l’Irak, là où les sociétés militaires privées anglo-saxonnes embauchent à tour de bras.

La galaxie Denard disparaît progressivement des radars. Ses derniers membres se dispersent. En France, une loi prohibant le mercenariat est votée en 2003. Elle tourne la page de quatre décennies de pratiques controversées, orchestrées clandestinement depuis l’Élysée.

13.

Notre guerre secrète contre Ben Laden

Dès le 11 septembre 2001, le responsable des attentats qui viennent de frapper les États-Unis sur leur sol est formellement désigné : pour la Maison-Blanche comme pour l’Élysée, il s’agit d’Oussama Ben Laden, le chef d’Al-Qaïda.

Depuis plusieurs mois, les services de renseignement occidentaux redoutaient une attaque majeure de cette nébuleuse djihadiste contre des intérêts américains. Le 25 janvier 2001, l’un des coordinateurs de la lutte antiterroriste à la Maison-Blanche, Richard Clarke, a rédigé une note circonstanciée sur la stratégie de terreur d’Al-Qaïda, recommandant, en vain, des actions clandestines plus offensives, et même des frappes préventives de drones contre Ben Laden[378]. Les mois suivants, la CIA et le FBI ont alerté la Maison-Blanche sur des risques d’attaque au camion suicide à Washington, de détournement d’avion ou d’attentat à New York, Boston et Londres.

Entre mai et juillet, la NSA a intercepté plus d’une trentaine de messages indiquant l’imminence d’une opération — une information confirmée par Oussama Ben Laden lui-même, début juin, dans un entretien avec Bakr Atiani, journaliste d’une télévision saoudienne, près de la frontière pakistano-afghane. Prévenu de ces menaces, le président George W. Bush a confié à ses conseillers quelques jours plus tard : « D’une manière ou d’une autre, je veux abattre ce Ben Laden. » Le 10 juillet, le chef du Centre antiterroriste de la CIA, Cofer Black, a évoqué devant le président l’éventualité d’une prochaine frappe « spectaculaire ». Le 6 août, alors qu’il se trouvait en vacances dans son ranch de Crawford, au Texas, George Bush a de nouveau reçu une note de la CIA titrée : « Ben Laden déterminé à frapper aux États-Unis[379] ».

De leur côté, durant l’été, les services secrets français — la DGSE et la DST — ont averti leurs homologues américains que, d’après les confessions de Djamel Beghal, un Franco-Algérien interpellé à Dubaï le 28 juillet, un attentat majeur était en préparation, probablement contre l’ambassade des États-Unis à Paris. Fin août, la DST les a informés que Zacarias Moussaoui, un Franco-Marocain qui avait été interpellé le 16 août aux États-Unis pour un simple problème de visa alors qu’il était en train de prendre des cours de pilotage, était lié à Al-Qaïda.

En dépit de tous ces signaux d’alerte, les États-Unis n’ont pas pu empêcher que des attentats frappent leur territoire.

« Je veux la tête de Ben Laden dans une boîte ! »

Touchée en plein cœur le 11 septembre, l’Amérique déclare aussitôt la guerre au terrorisme. La Maison-Blanche hésite entre porter le fer en Irak ou en Afghanistan. Elle se décide finalement pour le second, fief des Talibans et d’Oussama Ben Laden. Les états-majors militaires préparent les plans de l’opération Enduring Freedom (Liberté immuable). L’intervention en Afghanistan débutera le dimanche 7 octobre par des frappes aériennes. Parallèlement, une guérilla clandestine s’engage contre les leaders d’Al-Qaïda. Dès le 13 septembre, un plan d’actions secrètes est approuvé à la Maison-Blanche, visant à « punir » les présumés coupables. George Bush le peaufine deux jours plus tard dans sa résidence présidentielle de Camp David. « Les règles ont changé[380] », écrit à ses agents George Tenet, le patron de la CIA, qui, deux semaines plus tard, envoie en Afghanistan sa première équipe paramilitaire, baptisée Jawbreaker. Pour la diriger sur place, la centrale américaine rappelle un fin connaisseur de la région proche de la retraite, Gary Schroen. Partisan de la manière forte, Cofer Black lui donne ses consignes : « Vous avez une mission : trouver les membres d’Al-Qaïda et les tuer. Nous voulons les éliminer. Cherchez Ben Laden, trouvez-le. Je veux sa tête dans une boîte. Je veux l’avoir en main pour la montrer au président[381]. »

Aux patrons du renseignement britannique, qui sont venus à Washington prendre le pouls de la guerre qui s’annonce en Afghanistan et qui recommandent de ne pas intervenir en Irak, le même Cofer Black explique que son « seul souci, c’est de tuer des terroristes[382] », sans s’éterniser sur les dommages collatéraux. L’affront subi impose, aux yeux de George Bush, des rétorsions sanglantes contre ces ennemis invisibles qui se cachent quelque part dans les montagnes afghanes, protégés par le régime du mollah Omar.

L’interdiction officielle faite à la CIA, depuis 1976, de pratiquer les assassinats ciblés est levée par une directive présidentielle. George Bush donne aussi l’ordre secret de capturer, détenir sans jugement et interroger des suspects dans le monde entier, y compris en utilisant la torture s’il le faut. La traque de Ben Laden a commencé.

Chirac agacé par l’affaire de son « compte japonais »

À Paris, la volonté américaine de représailles est parfaitement admise. Dès l’après-midi du 11 septembre, les responsables des services français de renseignement, réunis à Matignon autour de Louis Gautier, le conseiller Défense du Premier ministre, Lionel Jospin, estiment qu’Al-Qaïda est bien derrière les attentats. Lors d’un Conseil restreint de défense tenu en fin de journée à l’Élysée, Jacques Chirac s’interroge, avec Lionel Jospin et les ministres concernés, sur l’aide qui pourrait être apportée aux Américains. Il recommande de leur transmettre tous les renseignements possibles. Des émissaires sont envoyés à Washington pour étudier les futurs dispositifs militaires du Pentagone — au sujet desquels les Américains seront finalement assez peu enclins à la coopération, considérant qu’il s’agit d’abord de « leur » guerre. Le 12 septembre, l’ambassadeur de France à l’ONU, Jean-David Levitte, fait adopter au Conseil de sécurité la résolution 1368, qui assimile les actes de terrorisme à des actes de guerre, justifiant la légitime défense et une réplique unilatérale.

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377

Marc Garibaldi sera impliqué, avec une douzaine d’autres mercenaires, dans cette tentative avortée de coup d’État à Madagascar en juin 2002. Fin 2003, il créera la société américaine EHC LLC, basée dans le Delaware et recrutant pour des missions en Irak et en Afghanistan. En juin 2004, il sera victime d’un accident de la route qui ralentira ses activités.

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378

« Presidential Policy Initiative/Review — The Al-Qaida Network », mémorandum du coordinateur de la lutte antiterroriste Richard Clarke à Condoleezza Rice, Conseil de sécurité nationale, 25 janvier 2001. Voir aussi Richard Clarke, Against All Enemies. Inside America’s War on Terror, The Free Press, 2004.

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379

Voir Steve Coll, Ghost Wars, Penguin Books, 2004, p. 566–567.

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380

George Tenet, At the Center of the Storm. The CIA during America’s Time of Crisis, Harper Perennial, 2008, p. 175 sq.

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381

Rapporté dans Bob Woodward, Bush s’en va-t-en guerre, Denoël, 2003, rééd. Gallimard, coll. « Folio », 2004, p. 228–229. Voir aussi Gary Schroen, First In, Presidio Press, 2007.

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382

Cité dans Tyler Drumheller, On the Brink. An Insider’s Account of How the White House Compromised American Intelligence, Carrol & Graf, 2006, p. 36 ; et entretien avec l’auteur de Tyler Drumheller, ancien chef des opérations pour l’Europe de la CIA, mars 2012.