Nicolas Sarkozy trouve donc à sa disposition, lorsqu’il arrive à l’Élysée, des soldats du COS rompus aux techniques de guerre semi-clandestines et prêts à intervenir n’importe où dans le monde, pourvu qu’on leur en donne l’ordre.
Justement, des crises ne tardent pas à éclater. En février 2008, les forces spéciales sont dépêchées auprès du président tchadien Idriss Déby, confronté à une offensive armée de rebelles. Un soldat du 1er RPIMa, l’un des viviers du COS, meurt sous les tirs alors qu’il se trouve au Soudan, en route vers le Tchad. Assiégé dans son palais en compagnie d’un officier de la DGSE qui lui sert de conseiller, le président Déby ne doit sa survie qu’à l’intervention de quelques chars de son armée et des commandos français. Il est en contact téléphonique avec Nicolas Sarkozy, qui a suivi l’opération en direct depuis le palais de l’Élysée.
Quelques semaines plus tard, c’est une prise d’otages spectaculaire qui mobilise l’attention. Le 4 avril, le voilier Ponant est attaqué par des pirates au large des côtes somaliennes. Les trente personnes présentes à bord sont retenues prisonnières, tandis que des négociations débutent entre les ravisseurs et l’armateur, le groupe marseillais CMA CGM. Nicolas Sarkozy suit cette crise heure par heure. Il décide aussitôt de lancer l’assaut contre le trois-mâts de croisière.
En coulisses, tous les commandos disponibles se préparent, mais une sourde bataille oppose la DGSE et le COS. La DGSE peut mobiliser les membres du SA : le hasard veut qu’une centaine de ses hommes, dont ses nageurs de combat, viennent d’achever des stages d’entraînement à Djibouti et se trouvent donc dans la région, avec un bateau, des avions et des hélicoptères. « Nous aurions pu intervenir immédiatement, notamment pour entraver le bateau en provoquant une panne, ce qui aurait ensuite permis de négocier rapidement la reddition des pirates[483] », témoigne un membre du SA.
Cependant, les états-majors militaires font savoir à l’Élysée que cette affaire est de leur ressort et doit être traitée par les forces spéciales. En plein débat sur le futur « Livre blanc de la Défense », qui conditionne les attributions budgétaires pour les années à venir, le COS entend bien garder la main. Le patron de la DGSE, Pierre Brochand, ne souhaite pas envenimer les choses. Il finit par lâcher prise.
Nicolas Sarkozy tranche en faveur d’une intervention des forces spéciales, avec l’appui du GIGN. Le groupe d’élite de la gendarmerie, habitué aux prises d’otages, s’est aussi mobilisé pour rester dans la course des opérations à l’étranger. Depuis quelques années, il s’est rapproché de ses homologues étrangers et des forces spéciales, notamment les Delta Forces américaines, afin de s’adapter aux opérations antiterroristes. « Après les attentats du 11 septembre et les prises d’otages massives, comme à Beslan, en Russie, en 2004, nous avons changé de discours pour former nos recrues à tuer, et plus seulement à blesser. Face à des terroristes, il fallait adapter nos entraînements et nos méthodes[484] », se souvient un cadre du GIGN, dirigé de 2002 à 2007 par le colonel Frédéric Gallois, qui a ensuite cédé la place au colonel Denis Favier.
Le 11 avril 2008, après huit jours interminables pour les otages retenus sur le Ponant, Nicolas Sarkozy, depuis l’Élysée, lance l’opération Thalathine. La marine nationale mobilise quelques navires de sa flotte, notamment le Var, le Commandant Bouan, la frégate Jean Bart et le porte-hélicoptères Jeanne d’Arc. Sous le commandement de l’amiral Marin Gillier et du colonel Denis Favier, une trentaine de membres des commandos Hubert et du GIGN sont parachutés en mer pour s’approcher du trois-mâts. Des pourparlers menés par le GIGN avec les pirates aboutissent à la libération des otages, moyennant le versement d’une rançon de plus de 2 millions de dollars. Puis les forces spéciales traquent six des pirates somaliens lorsqu’ils reviennent sur la côte : après avoir stoppé leur véhicule 4 × 4 grâce à un tir de précision effectué depuis un hélicoptère, ils procèdent à leur arrestation sur le sol somalien[485].
Fort de ce résultat, obtenu sans dommages collatéraux, le COS se sent pousser des ailes. Début septembre 2008, Nicolas Sarkozy fait de nouveau appel aux commandos Hubert après une attaque de pirates contre le bateau Carré d’as. L’opération permet la libération du couple de navigateurs français et se solde par la mort d’un assaillant et l’arrestation de six pirates. « Cette opération a été un succès, elle constitue un avertissement pour tous ceux qui se livrent à cette activité criminelle et un appel à la mobilisation de la communauté internationale », commente le président de la République à la télévision. Cependant, en avril 2009, au cours d’une troisième intervention des commandos sur le yacht Tanit, détourné avec cinq passagers au large des côtes somaliennes, un tir français tue accidentellement le capitaine du navire, Florent Lemaçon.
Malgré cet incident, l’Élysée continue de plaider en faveur d’actions « de vive force » lors des prises d’otages à l’étranger. Conseillé à partir de 2010 par son nouveau chef d’état-major particulier, le général Benoît Puga, ancien patron du COS, Nicolas Sarkozy est désormais partisan de l’action violente. Les patientes négociations et les tractations clandestines paraissent dépassées.
Plusieurs événements renforcent encore cette position. Le 19 avril 2010, l’ingénieur Michel Germaneau est enlevé lors d’une mission humanitaire par le groupe d’Abou Zeid, l’un des dirigeants d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Cette fois-ci, l’Élysée tente d’utiliser les commandos du SA : ils semblent le mieux placés pour attaquer le campement d’Abou Zeid, repéré par un avion de la DGSE dans la région malienne de l’Akla, au nord-est de Tombouctou. Le 23 juillet, une trentaine de membres du Centre parachutiste d’instruction spécialisée (CPIS) de Perpignan, le bras armé du SA, lance l’assaut. Six djihadistes sont tués, mais on ne retrouve pas l’otage sur place. Les ravisseurs ont exécuté Michel Germaneau, probablement juste après le raid[486].
Après cette opération, considérée comme un grave échec par le SA et par l’Élysée, Nicolas Sarkozy est tenté de recommencer à faire confiance aux forces spéciales plutôt qu’à la DGSE et au GIGN pour résoudre ce type de crise.
L’une des opérations secrètes révélatrices de cette approche ultra-militarisée se déroule au Niger. Dans la soirée du 7 janvier 2011, alors qu’ils dînent au restaurant Le Toulousain, à Niamey, deux jeunes Français, Antoine de Léocour et Vincent Delory, sont kidnappés par huit hommes liés au groupe de Mokhtar Belmokhtar, un autre leader d’AQMI. Les ravisseurs repartent avec les deux otages dans un véhicule 4 × 4 et foncent, de nuit, vers la zone frontalière avec le Mali. Des patrouilles de l’armée et de la gendarmerie nigériennes les prennent alors en chasse, mais elles tombent dans une embuscade tendue par le commando d’AQMI. L’un des gendarmes est tué.
À Paris, dès l’annonce de l’enlèvement, la cellule de crise de l’Élysée se mobilise. Le général Puga est favorable à une réaction immédiate afin de rattraper les ravisseurs sur la route. Les états-majors militaires et celui du COS sont alertés un peu avant minuit. Aussitôt, des avions Atlantique 2 décollent de Niamey pour localiser le convoi. Le 4 × 4 blanc, repéré à 2 h 54 (heure GMT), est surveillé toute la nuit. Des écoutes permettent de capter une conversation téléphonique entre les ravisseurs et l’un des responsables d’AQMI : « On est poursuivis par l’armée. Il faut se débarrasser de ces chiens. »
485
Ils seront déférés devant la justice française. En juin 2012, quatre d’entre eux seront condamnés à des peines de prison, et deux acquittés.
486
Voir notamment Jean Guisnel, « Les nouvelles guerres de nos services secrets »,