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Entre les raids militaires et les négociations secrètes, la France peine à définir une ligne de conduite claire à l’égard d’AQMI et de ses différentes factions alliées, notamment Ansar Dine et le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), qui s’enrichissent grâce à des trafics de toutes sortes. La chute du régime libyen, durant l’été 2011, aggrave la situation. Des centaines de Touaregs qui étaient intégrés dans l’armée libyenne redescendent vers le sud avec un arsenal militaire pillé dans les stocks de Kadhafi. « Ils apportent avec eux des transports de troupes blindés, des 4 × 4, des lance-roquettes de type Katioucha, des missiles sol-air portables, des bulldozers, et même, selon certaines sources, des hélicoptères en pièces détachées[514] », avancent les experts du ministère français de la Défense.

Les leaders d’AQMI et leurs alliés accueillent ces hommes à bras ouverts. Ils en profitent pour passer à l’offensive, prenant, début 2012, le contrôle total du nord du Mali avec les Touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), qui sont rapidement marginalisés. Malgré une assistance française et américaine renforcée depuis 2009, l’armée malienne est en déroute, ce qui révèle l’échec patent de la coopération militaire avec ce pays. À Bamako, le 22 mars 2012, un putsch militaire conduit par le capitaine Amadou Haya Sanogo renverse le président Amadou Toumani Touré, accentuant encore le délitement du pouvoir.

DGSE et forces spéciales obligées de coopérer

À peine installé à l’Élysée, François Hollande se rend compte que le Mali risque de sombrer. Lors d’un premier Conseil restreint de défense, le 31 mai 2012, il prend l’avis de son ministre, Jean-Yves Le Drian. Ce dernier prône une intervention militaire afin de porter un « coup d’arrêt à la progression d’AQMI[515] ». Selon lui, la stratégie visant à isoler AQMI a échoué, la prudence dans les opérations pour libérer les otages ne mène à rien, le Mali est hors de contrôle, et il faut obtenir rapidement l’aval de l’ONU et de l’Europe pour constituer une Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA). Hollande donne son feu vert à ce plan. Mais les palabres diplomatiques prennent de longs mois, alors que la situation ne cesse d’empirer au Mali.

Pendant ce temps, dans le plus grand secret, le contingent des forces spéciales françaises du dispositif Sabre dans la région est renforcé. Les états-majors actualisent le « plan Requin », mis au point dès 2009 pour attaquer le nord du Mali[516]. Les Américains leur font discrètement savoir qu’ils pourront apporter une aide logistique en cas d’intervention militaire directe. Or celle-ci devient vite inévitable. Début décembre 2012, Jean-Yves Le Drian l’annonce de manière à peine voilée : « Plusieurs centaines d’hommes occupent le nord du Mali, sabotent ses institutions et menacent de constituer un sanctuaire terroriste international à mille deux cents kilomètres de la Méditerranée. Cette menace est directe sur nos ressortissants et nos intérêts en Afrique, mais aussi sur le territoire français. Ils prospèrent sur le trafic d’hommes, de drogues, d’armes. Notre parole et nos initiatives sont claires : la France et l’Europe ne laisseront pas faire[517]. »

Jusqu’aux premiers jours de 2013, les autres pays occidentaux restent indécis, alors que les djihadistes lancent, dans la nuit du 9 au 10 janvier, une offensive au sud de la boucle du Niger, avec peut-être en ligne de mire la prise de Bamako. François Hollande, sollicité de manière urgente par le président malien par intérim, est contraint de décider seul, avec un mandat de l’ONU. L’opération Serval, pilotée par le général Grégoire de Saint-Quentin, un ancien des forces spéciales, est déclenchée tambour battant. Plus de cinq mille soldats et un arsenal complet sont mobilisés de manière rapide. Les opérations aéroportées permettent de reprendre le contrôle du nord du pays en quelques semaines.

Pour une fois, la DGSE et les états-majors militaires travaillent de concert pour repousser les djihadistes, détruire leurs bases logistiques et tuer leurs chefs — les High Value Targets, cibles de haute valeur —, tout en essayant de retrouver les otages d’Arlit, selon les consignes édictées par l’Élysée. La guerre au Mali, qui mélange de manière singulière des combats classiques et des opérations de contre-terrorisme semi-clandestines, impose une telle coopération, inédite. Entre les services secrets et les forces spéciales, les relations demeurent souvent tendues, chacun cherchant à préserver jalousement son pré carré, mais l’urgence commande d’échanger des renseignements et de confier aux commandos du COS, déjà déployés, l’essentiel des missions de « neutralisation ».

Ayant installé depuis de longs mois un dispositif d’écoutes au Burkina Faso, la DGSE s’occupe plus particulièrement des otages d’Arlit et renoue des liens avec les Touaregs du MNLA, qui se retournent contre les djihadistes. De leur côté, près de cinq cents membres des forces spéciales de la task force Sabre mènent les opérations les plus pointues, notamment les frappes ciblées et la reprise des villes de Diabali, Konna, Gao, Kidal et Tessalit[518]. Selon un rapport parlementaire, ces forces ont aussi « mis en œuvre leurs savoir-faire pour capturer ou éliminer certaines High Value Targets, c’est-à-dire de hauts responsables des groupes armés djihadistes[519] ».

« Pas question de créer un Guantánamo au Mali »

Malgré la présence sur place de plusieurs centaines de journalistes, les armées prennent soin de ne livrer aux médias aucune image gênante qui pourrait mettre en doute le message d’une opération réussie. « Nous sommes en train de casser les reins d’AQMI », résume le chef d’état-major de l’armée française, l’amiral Édouard Guillaud, le 4 mars 2013 sur Europe 1. « Les états-majors et le ministère ont parfaitement verrouillé la communication en ne montrant aucun combat ni aucun cadavre[520] », constate, presque admiratif, un officier supérieur. Les forces françaises déplorent six morts dans leurs rangs, mais le nombre de victimes dans le camp ennemi n’est pas connu : officiellement, il est question de deux cents morts. Selon le général Bernard Barrera, commandant de la brigade Serval, le bilan officieux est plutôt de six cents à mille morts du côté des rebelles, sur un total estimé de deux mille combattants. Ce chiffre, peut-être sous-évalué, est impossible à vérifier. « Lorsqu’on balance des bombes incendiaires sur des véhicules et que la température monte à deux mille degrés, il est difficile de compter les cadavres, même si nous avons envoyé des équipes sur place pour contrôler après les frappes[521] », explique un ancien haut responsable du ministère de la Défense.

Une chose est sûre : les combats ont été âpres. Des soldats français et leurs alliés tchadiens ont eu la surprise de devoir affronter au corps-à-corps des djihadistes prêts à tout, notamment, à la mi-janvier, à Diabali, et, en février et mars, dans la vallée d’Ametettai, au cœur de l’Adrar des Ifoghas, bastion de pierres naturel au nord du Mali où plusieurs centaines de combattants se sont réfugiés. Les légionnaires du 2REP dépêchés sur place ont vu des rebelles se faire sauter avec des ceintures d’explosifs et se battre jusqu’à la dernière seconde. Globalement, les forces françaises et tchadiennes n’ont pas fait beaucoup de prisonniers dans cette zone. « Beaucoup de djihadistes ont préféré mourir, témoigne un expert militaire français. De toute façon, il n’était pas question de créer un “Guantánamo” au Mali dont nous n’aurions pas su quoi faire[522]. » Les rares prisonniers ont été confiés à l’armée malienne, à charge pour elle de s’en débrouiller.

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514

Mériadec Raffray, « Les rébellions touarègues au Sahel », art. cité.

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515

Voir notamment Romain Rosso, « Comment Paris conduit la guerre », L’Express, 30 janvier 2013.

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516

Voir Isabelle Lasserre et Thierry Oberlé, Notre guerre secrète au Mali. Les nouvelles menaces contre la France, Fayard, 2013.

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517

Propos recueillis par Jean-Louis Tremblais, « Mali : la France ne laissera pas faire », Le Figaro Magazine, 7 décembre 2012.

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518

Voir notamment Jean-Marc Tanguy, « Sabre, le fer de lance de l’opération Serval », Raids, juin 2013.

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519

Christophe Guilloteau et Philippe Nauche, « Mission d’information sur l’opération Serval au Mali », Assemblée nationale, 18 juillet 2013, p. 94. Pour la liste des High Value Targets ciblées au Mali, voir supra, prologue, « La liste de Hollande ».

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520

Entretien avec l’auteur, mars 2013.

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521

Entretien avec l’auteur, octobre 2013.

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522

Entretien avec l’auteur, mai 2013.