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A force de me détroncher de droite à gauche, je finis par repérer la vieille chignole des Béru. Elle aussi aura sa place au musée. Notez que des 15 traction Citroën on en voit rouler encore quelques-unes. Mais des comme la tuture au Gros, il n’en existe pas deux. On peut pas croire qu’elle fonctionne avec ses emplâtres aux pneus, les cartons servant de pare-brise, les fils de fer aux portières afin de remplacer les poignées disparues, ses ailes absentes, les caisses de bois servant de malle arrière, ses phares pendants comme des yeux de lapin mort par énucléation.

A droite de ce qui fut une auto et qui demeure confusément un véhicule, une tente est dressée. Faut voir comme ! Elle ressemble à un chameau, la tente à Béru. Elle est penchée, elle se tortille comme un éléphant qui va s’asseoir. Des traînées sombres la souillent. Des trous l’aèrent. De la fange, déjà, s’en échappe. Et des plaintes aussi. Je reconnais l’organe grumeleux de Dame Berthe.

— Non ! Pas maintenant ! M’sieur Félix ! M’sieur Félix, voyons, mon époux est dans les parages ! Et si ma jeune nièce arriverait ! Je vous en prie ! Oh ! C’que vous êtes polisson dans votre genre ! On l’dirait pas à vous voir si sérieux, m’sieur Félix !

Un temps, la voix protestataire reprend, plus faible, déjà vaincue, presque soumise !

— Aaah ! C’que vous êtes bien constitué, m’sieur Félix ! Réellement vous trompez vot’monde ! Oh ! Oh la ! M’sieur Ffffféliiix ! Ah tu la voulais, ta grande, hein, cochon, enchaîne l’épouse Bérurier en changeant résolument de registre. Elle vient d’accélérer, Berthaga, de pousser à fond la combustion pour s’arracher à l’attraction terrestre. La v’là partie pour sa virée cosmique ! La tente, ça finit de l’ébranler, si je peux dire, cette séance. Son mât de misaine devient un mât de cocagne. Ma parole, ils y grimpent après pour que ça vertige de la sorte. Y a de la frénésie dans le matériel. Des boursouflures sporadiques ! Des dépressions ! Du roulis ! Des protubérances ! Elle s’affaisse mollement, la tente. Elle est latente, sa chute ! Un rush sur la gauche arrache deux piquets d’un coup. Des amarres craquent. Le bivouac au Béru commence à rouler bord sur bord. Sa cargaison est désarrimée, complètement folingue. Une jambe nue de la Berthy jaillit à l’air libre, se replie sur une forme fantomatique. Ça trémousse éperdument. Ça halète ! Ça crève ! Ça pète ! Elle est à genoux, la guitoune, à présent. Titubante comme un taureau foudroyé. Avec encore des cris et des soupirs. Des conjurations. On dirait que c’est l’édifice de toile qui agonise se démet de ses fonctions protectrices, se soumet aux intempéries à venir, reconnaît sa faiblesse. Le beaupré va égratigner la tente voisine, celle d’un solitaire aux genoux cagneux, porteur d’un collier de barbe style instituteur célibataire. Il fumait son calumet, le campeur contigu. Un sage, ça se reconnaît à la manière qu’il expulse sa fumaga à longs pets souples et précieux. On se croise les regards, il hausse les épaules.

— Une heure que ça dure, leurs conneries, pétouille-t-il sans écarter sa bouffarde. Je me doutais bien que ça allait se terminer comme ça, par un écroulement. D’autant que le gros enflé de mari a monté sa tente comme un con. Elle aurait pas résisté au prochain zéphyr. Vous avez remarqué avec quoi il s’est arrimé aux pieux ? Des lacets, monsieur ! Et usés qui plus est ! Ce qui tuera le camping, ce sont les néophytes. Ils se prennent tous pour des scouts mais ils n’y connaissent rien. La plupart montent leur tente en lisant le prospectus. J’ai honte !

Il fumasse encore, guignant le monstre en sac qui continue de s’ébrouer et d’exclamer ses transes amoureuses.

— Ils prennent la nature pour un paillasson, les brutes, et ils poussent des clameurs éperdues lorsqu’ils s’assoient sur une fourmilière. A la première averse ils ont le cul dans l’eau, monsieur, alors ils incriminent le ciel. Ils s’en prennent à Dieu comme si leur taxe de séjour obligeait le Seigneur à leur garantir du beau temps sec…

Tiens, il s’agit d’un instituteur libre. P’t’être même d’un prêtre en civil et en vacances ?

Berthe a une clameur terrible.

— Arrêtez, M’sieur Félix ! Je suis couchée dans le cassoulet ! Et puis je crois qu’on a un peu culbuté la tente !

Pour l’avoir culbutée, ils l’ont culbutée, les épileptiques de l’amour. Elle a fini de flancher, la crèche d’Alexandre-Benoît, pire que la vertu de sa ménagère. Il a bonne mine, à c’t’heure, le camp du Drap d’or. Il reste juste un bout du mât en saillie. On dirait un cirque en déconfiture après un typhon. C’est le grand foc qui s’obstine, il tangue vachement. Un autre pied se dégage de la toile avachie. D’homme, cette fois. Je découvre un pataugas, avec une chaussette de laine dans les tons beige. Plus haut, une fin de mollet maigrichard, avec des varices pareilles au cours de la Garonne quand elle devient Gironde. Le pied racle le sol comme celui d’un fox-terrier affolé par une chaude piste.

— Aaah ! M’sieur Félix, j’aurais pas cru, j’aurais pas cru que, s’étonne l’admirable Berthe. Chez un intellectuel, c’est rare une ardeur semblable. Quel homme, mine de rien, vous faites ! Vous allez m’tuer, m’sieur Félix. Si brusquement, j’en suis tout étourdie. Dire que ce matin, on se connaissait pas encore ! Et puis voilà ! Attendez que je me pousse un peu, je vous jure qu’on a renversé le cassoulet ! Et la tente, dites, elle s’est décrochée, la tente ! Vous m’aiderez à la remonter avant que mon époux revinsse ?

L’autre, c’est pas un bavard du radada. Et croyez-moi, étant donné les circonstances, faut pas qu’il ait la godanche timide pour continuer son forcinge dans cet entrelacs de ficelles, de bâtons, de toile, de cassoulet et de réchaud. Le camping, c’est Tringlanneau !

Le fumeur de pipe lève vers le ciel imperturbable un œil chargé de résignation difficile.