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— Et Marie-Marie ?

Dans l’effervescence des catastrophes et du départ on l’avait oublié, le moustique.

— Je l’ai envoyée à l’avance des Pinaud, raconte Berthe. Elle s’ennuyait avec nous sous la tente, les conversations des grandes personnes, les enfants, ça les fait bâiller.

— Les Pinaud ? tressaille le Dabe, voyant poindre déjà un nouvel arrivage de troupes fraîches à embarquer sur le Mer d’Alors. Ils doivent venir ici ?

— Pas au camp, rectifie Béru, car euss, ils ont une caravane. De ce fait, ils ont retenu un emplacement à la « Caravanerie », de l’autre côté du pays, près de la fabrique d’engrais.

— J’ignorais qu’ils possédassent une caravane, dis-je.

— Pinuche a pris la bougeote, commente le Gros. Il a vendu sa campagne de Magny-en-Vexin pour se payer une roulotte ultra-luxe qu’à côté de laquelle celle de M’sieur Bamum aurait l’air d’un rouleau compresseur !

— Eh bien, décide le Patron, avec un enjouement qui en dit long sur l’excellence de son humeur, partons également à leur rencontre, ainsi nous ramasserons Marie-Marie et aurons l’occasion de serrer la main à ce cher Pinuche.

Parce qu’il est ainsi, Pépère : dégoulinant de « mon cher », de « mon bon », de « mon petit » lorsqu’on cède à ses caprices, mais mauvais comme un contractuel souffrant de gastro-entérite si on a le malheur de renâcler.

On rabat sur la Rolls. Le chauffeur rosbif monte une faction de horse-guard près du monument. Plus immobile que le bouchon de radiateur chromé, il oppose son impassibilité aux lazzi qu’on continue de balancer à distance.

— C’est votre calèche, m’sieur le directeur ? bée Béru.

Les bras lui en tombent, ainsi que ses valises. Il s’approche de la voiture à pas prudents, comme un artificier qui va désamorcer une bombe. Il est troublé, ému, fasciné. Il ose pas toucher. Il se rince l’œil avant de regarder pour éviter la moindre souillure à cette vénérable chose.

— Mais c’est une Rolls ! s’écrie-t-il, parvenu à l’avant du monstre. Et Royce encore ! La vache !

Bien que se demandant si cette dernière épithète s’adresse à lui ou seulement à son automobile, le Vieux garde bon visage.

— Ross, chargez les bagages de Monsieur ! ordonne-t-il.

Le driver considère avec effarement le cageot éventré, ravaudé avec du fil de fer, ainsi que l’énorme valise de carton maintenue fermée au moyen de bretelles hors d’usage, qui constituent les « bagages » des Bérurier. Mais un chauffeur anglais, c’est un peu comme un doberman : il connaît que son maître.

— Certainement, sir, dit-il en empoignant cette cargaison de poubelles.

— Montez, Bérurier, montez, mon bon ami.

— Je risque pas de salir ? bredouille notre vaillant camarade.

— Ah ça, vous plaisantez, mon garçon ! Allons, allons, ne faites pas de manières.

Sollicitée, Berthe s’est déjà récusée. Elle préfère voyager dans la voiture du professeur. Nous quittons donc cahin-caha le camping de la Méduse enchantée.

— C’est les Pinaud qui vont en pousser une bouille quand ils sauront qu’on part en croisière, murmure le Gravos auquel la caravane de son collègue est restée sur l’estomac.

Il engage son poignet dans la boucle capitonnée du repose-bras.

— Je crois que je vais changer de voiture, déclare-t-il. J’ai dit à la patronne de l’Office de mettre la mienne en vente. A cinq cent mille francs, je la laisserai partir ! Y’aura sûrement des amateurs, vu que des 15 citron, on n’en trouve plus !

A peine avons-nous parcouru une trois centaines de mètres que la route nous est interrompue par un encombrement. Les bagnoles sont stoppées à la queue leu leu, portières ouvertes. Leurs conducteurs se pressent vers un gigantesque amas de tôles qu’on voit moutonner, là-bas, au mitan de la chaussée.

— De quoi s’agit-il, Ross ? demande le Vieux.

— Il apparaîtrait qu’il s’agit d’un accident, sir.

— Mon Dieu, bondit brusquement Béru, et Marie-Marie qu’était seule à vadrouiller sur la route ! Ah ! misère, pourvu qu’elle soye pas dans ce bigntz !

Il ouvre la portière en trombe, avec une telle sauvagerie que le battant métallique percute une vieille dauphine rangée à notre droite. Pour la première fois de sa déjà longue existence, Ross perd son flegme.

— Oh, le con ! s’écrie-t-il.

— Ross ! aboie le Vieux, mais vous parlez français ! ! ! !

— Juste un minimum sir, s’excuse le vieillard en réintégrant sa dignité.

Le Gros fonce sur la route transformée en champ de foire. Ses grosses cuisses tremblent comme de la gelée de coing.

— Excusez-moi, murmuré-je à l’adresse du Boss, j’y vais également, j’ai comme un pressentiment.

— Allons, bon ! grommelle le Vieux qui voit vaciller son château de cartes.

Me fous de ses égoïstes inquiétudes. Une brusque angoisse m’a assailli. Ça vous saute sur le paletot sans prévenir, l’angoisse. Un grappin lancé par l’au-delà, et qui vous harponne ferme, d’un coup. De même qu’on pressent la gravité de certaines maladies alors qu’elles sont encore bénignes d’apparence, on identifie des catastrophes avant que l’annonce nous en soit faite.

Je pique un quelques cents mètres d’une allure olympique, rattrape Béru, le dépasse, le tire.

La cohorte des tomobilistes, se fait plus dense. Je la bouscule, ce qui m’attire des maugréations sévères : « Non, mais qu’est-ce qu’y se croit, nous aussi, on veut voir ! »

A mesure que je me projette sur les lieux de l’accident, j’en définis la nature. Une voiture traînant une caravane a été télescopée par un camion-citerne.

Ça cause un formidable enchevêtrement.

— C’est Pinaud ! C’est Pinaud ! halète Bérurier avec déjà des cascades de sanglots dans le gosier. Regarde ce sang ! Tout ce sang ! Malheur ! Marie-Marie !

Il s’arrête à l’orée du drame, tombe à genoux, se tord les poignets, hurle, gémit, cogne du front l’asphalte où ruisselle un liquide vermeil.

— Eh, dis, fais pas le c… m’n’onc ! lance une voix familière, t’as pas honte de te donner en spectac’ !

Miss Tresses ! Marie-Marie ! Là, bien vivante, avec ses dents manquantes, ses deux couettes raides de part et d’autre de la tête, sa jupe-culotte bleu ciel et son maillot à rayures rouges et blanches qui la tricolorent !

— Rrraôuhouhmphh ! fait approximativement le Gros en se jetant sur sa nièce comme un dingue.

Il la saisit à pleins bras et se met à cavaler en rase campagne avec son précieux fardeau. La môme regimbe, le crible de coups de pied et de coups de poing. A la fin, la réaction s’opère et Béru retrouve une tension plus hospitalière.

— J’ai eu si peur ! bavoche-t-il. Oh ! que j’ai eu peur, que j’ai eu peur ! C’est pourtant bien l’auto à Pinaud ?

— Ouais, admet la gosse.

— Alors, ils sont tués, les malheureux, repleurniche la Gonfle dont c’est le jour des misères, tout ce sang…

— Ils ont rien, ni personne, et pis d’abord c’est pas du sang, c’est du vin !

— Ah bon, du vin ?

La gamine hausse les épaules.

— T’es là, t’es là à te monter en mayonnaise, Tonton ! A gueuler comme toute une ménagerie ! Dis donc, ça te réussit pas les vacances, à tézigue !

Tandis que s’échangent ces libres propos entre nièce et oncle, j’accède au premier rang des spectateurs.

Le spectacle est assez déprimant. La belle caravane des Pinaud n’est plus qu’une chose informe ressemblant plus à un char romain hors d’usage qu’à un pulmann routier, pour la simple raison qu’un camion de vingt tonnes y a pénétré un peu plus loin qu’en son milieu.