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Avec un cri glaçant, Berthe lui bondit sur le poil. Elle connaît l’homme de bas en haut, Berthe. Elle sait toutes ses failles, tous ses points faibles. Cinq traînées sanguinolentes labourent le visage du routier. Il fait front. Lors, la matronne porte avec impudeur la main dans un endroit de l’hémisphère sud du gars et y exerce une torsion ravageuse dont l’intéressé se plaint beaucoup. Il tombe à genoux. Elle n’est pas satisfaite pour autant. Récupérant la cage, elle la propulse dans la vitrine du convoyeur qui ne convoie ni ne voit plus rien. Out aussi ! Il a la bouche béante sur un râle. Mais le râle gargouille vilain vu que le vin coulant à flot de la citerne crevée lui cascade sur la figure. Il déglutit aussi vite qu’il peut. Nouvelle suffocation à laquelle je le soustrais.

Le double K. O. des combattants ramène une période de calme dans ce coin de planète perturbée. Justement, deux motards radinent, l’air bougon.

Quelqu’un leur part au-devant, qui montre sa carte : le Vieux ! Les motards se fichent au garde-à-vous.

— Messieurs, leur dit le Boss, j’ai tout vu. La responsabilité de cet individu est totale. De plus, il s’est rendu coupable de voies de fait sur la personne d’un officier de police !

« Collez-le en prison. Prise de sang, naturellement, car je suis certain qu’il est plein de vin ! Retrait définitif du permis de conduire, cela va sans dire ! Poursuites judiciaires, bien entendu ! Je veux que la victime de l’accident, l’officier de police Pinaud, ici présent, soit intégralement remboursé. Vous ferez déblayer la route, évidemment, et demanderez qu’on emmène l’automobile et les décombres de la caravane dans un garage de Cannes. Nous sommes sur une affaire urgente et avons assez perdu de temps avec cet énergumène.

— A vos ordres, monsieur le directeur ! fait le motard chef en inscrivant des choses sur son carnet.

Il se penche vers le Vieux.

— Une fois au poste de police, est-ce que ça vous ferait plaisir qu’on le…

Là, sa voix devient un murmure. Le Vieux hausse les épaules.

— Mon ami, dit-il, agissez selon votre inspiration. Ce que vous ferez sera bien fait. Rappelez-moi votre nom afin que je parle de vous en haut lieu.

Le motard en rougit de partout ; même sa tenue de cuir noir prend des reflets roux.

— Vincent Timaitrecube, monsieur le directeur !

— Notez-moi cela, mon petit San-Antonio, me déclare le Vioque. Quand on rencontre des éléments d’élite, il convient de ne pas les oublier.

Là-dessus il se tourne vers les Pinaud.

— Mes très chers, leur dit-il, puisque la Providence m’a mis sur votre route, essayez de dénicher vos valises et prenez place dans ma voiture.

Toujours un peu commotionné, le malheureux couple récupère tant bien que mal des bagages meurtris et nous emboîte le pas. Béru suit en clopinant. Il a un bras au cou de Berthe, un autre à celui de M’sieur Félix. Il fredonne les matelassiers car il s’est gorgé de picrate. Marie-Marie les précède en jouant à la marelle avec un enjoliveur.

— Quelle aventure ! bavoche le pauvre Pinaud. Quelle aventure ! Une caravane neuve ! Toutes nos économies. Notre capital ! Notre maison de retraite, pour ainsi dire ! Où est-ce qu’on finira nos vieux jours désormais ?

— Allons, allons, s’impatiente le Dirlo. Ces camionneurs ont de solides assurances et je veillerai à ce que vous soyez intégralement remboursé.

— Mais, bégaie soudain la Vieillasse, éperdue, mais…

— Mais quoi, Pinaud ?

— Le routier… C’était pas de sa faute ! Je suis le seul responsable, monsieur le directeur. Figurez-vous qu’au moment où je le doublais, la petite Marie-Marie s’est jetée au-devant de ma voiture pour nous faire signe de stopper. J’ai freiné pile afin de ne pas l’écraser et le camion m’a percuté, c’était inévitable ! I-né-vi-table, monsieur le directeur ! Ce pauvre garçon…

Le Dabuche fait avec la bouche un bruit d’agacement.

— Je vous en prie, Pinaud ! grince-t-il, ne mettez pas en cause une innocente petite fille pour atténuer l’énorme responsabilité d’un chauffard ! Nous tous ici présents, serons les témoins de ce stupide accident. Vous n’y êtes pour rien, un point c’est tout !

— Puisque Monsieur te dit que ça n’est pas ta faute ! murmure la voix onctueuse de la révérende Mme Pinaud.

A peu près vaincu par ce début de certitude, le Chétif fait mettre les pouces à sa conscience.

— Ah bon, du moment que vous avez été témoins…

Le Vieux sourit à des pensées intimes.

— Je n’ai pas dit que nous avons été témoins, j’ai dit que nous le serons !

Mais Pinaud est trop déboulonné pour déguster ce genre de nuance.

— En tout cas, lance-t-il à sa moitié, nos vacances sont bel et bien finies !

Le Vieux le prend par le bras.

Non, mon cher Pinaud, lui dit-il. Au contraire : elles commencent !

3

Dans la touffeur capitonnée d’un petit salon Louis XV-hôtelier, on se tient la grande réunion préliminaire avant le départ de demain matin.

Y assistent : Le Vioque, Mézigue, Béru, Pinuche et… M. Félix dont la culture très vaste et l’intelligence raisonnable ont produit sur notre big chief une forte impression. D’autre part, les activités pédagogiques de l’homme-boutoir le rendent mieux qu’un autre apte à seconder des limiers dont la communauté est réduite aux aguets. Il faut en effet posséder tous les méandres de la psychologie enfantine pour faire un bon policier car si les hommes sont éternellement des enfants, les criminels, eux, sont des enfants particulièrement vicieux.

Je viens de faire un résumé maginiquement succinct des malheurs de la compagnie Pacqsif. J’ai relaté chacune des mystérieuses disparitions, en fournissant tous les détails que je possède sur les disparus et les circonstances de leurs escamotages.

Un silence suit, pesant de réflexion. Ces messieurs méditent mes révélations tels des cruciverbistes se fissurant la gamberge sur une définition trop absconse.

Mais le Vénérable déteste les temps morts. Il part du principe que la méditation est l’apanage du chef comme l’action est le devoir du subordonné.

— Mes amis, dit-il, je vous écoute.

Béru se ramone les muqueuses devant sa main en cornet, essuie des expectorations sur la jambe de son pantalon de flanelle et après avoir imité avec la bouche un bruit que les gens de peu d’éducation font plus volontiers avec l’anus, laisse tomber d’un ton pénétré :

— Eh ben ma vache !

Encore que laconique, la phrase n’est pas dépourvue d’une certaine éloquence et exprime assez bien l’opinion générale. Pourtant, elle est loin de satisfaire le Vieux qui laisse tomber avec dédain :

— C’est tout, Bérurier ?

Le Gros hoche la tête d’une manière évasivo-néga-tive.

— Faut voir, ajoute-t-il, ce qui n’est pas rigoureusement positif, mais implique cependant une idée de promesse…

Pinuche, dont les déboires caravanesques ont été colmatés à grandes rasades de muscadet, croise les bras dans l’attitude du martyr altier.

— Crimes ou suicides ? lance-t-il en saupoudrant de sous-entendus.

Un haussement d’épaules du Vieux lui décroise les brandillons. Dès lors, M. Félix abandonne son siège et se met à parler en arpentant la pièce de long en large, à petits pas vifs et saccadés. Ainsi doit-il faire ses cours au lycée Babillon.

Dans l’enseignement, c’est comme dans la magistrature : y’a les « assis » et les « debout ». Ceux qui professent en parlant, et ceux qui professent en marchant. Les premiers travaillent de l’inflexion et les seconds du geste. Les uns lancent leur savoir à travers les bouilles de l’auditoire, alors que les autres sèment le leur.