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Le Boss se penche sur moi.

— Ce bonhomme est complètement fou, murmure-t-il, mais tout ce qu’il vient de dire est éclatant de bon sens. Il va falloir… « se le faire », comme vous diriez, seulement il nous sera très utile. Vous verrez…

L’arrivée inopinée de sa nièce lui vide la frime de sang et d’expression.

Elle est un peu fracassante, l’entrée de la môme Camille ! Et sa mise ne l’est pas moins. Elle porte un ensemble deux pièces (qui appelle l’alcôve) style 1925. La jupe lui arrive vingt centimètres au-dessus des genoux et s’achève par une frange de perles tintinnabulantes. Elle a au cou un sautoir de perlouzes à six rangs qui barricade son généreux décolleté et, dans les cheveux, un large bandeau de velours. Elle balance son sac au bout de son index et esquisse un petit pas de charleston afin, je suppose, de mieux situer sa toilette.

— Ah ben il est là, Tonton ! s’écrie-t-elle en fonçant vers le Vieux. Je commençais à me morfondre, ma Guenille ! ajoute-t-elle en le galochant fougueusement. Voilà une plombe que je poireaute dans le grand salon. Vise un peu comme je me suis faite belle pour toi, Loulou ! Tu vas m’emmener gambiller à la Siesta, j’espère ?

Le Vieux s’arrache à la paralysie qui le gagnait.

— Messieurs, heu, je vous présente ma nièce ! bougonne-t-il.

Un concert suave monte du gosier servile du Gros et de celui de Pinuche.

— J’ignorassais que vous eussiez une nièce aussi tellement ravissante, m’sieur le directeur, dégouline Béru. Tous mes compliments…

– Ça n’est pas moi qui l’ai faite, riposte sèchement mon boss bien-aimé.

Puis, à « sa nièce » :

— Excusez-moi, ma chère, dit-il, mais un rendez-vous urgent, de la plus haute importance, m’empêche de sortir en votre compagnie. Si yous n’y voyez pas d’inconvénient, notre ami San-Antonio sera en l’occurrence votre chevalier servant.

La gosse qui me convoitait d’un œil velouté se distend les orbites.

— Ah ! bon… D’accord, gazouille la douce enfant.

Elle ajoute :

— Et je te retrouve en fin de soirée, dans ta turne, Tonton ?

— Pas ce soir ! tranche l’intéressé.

Elle pince les lèvres.

— T’as pas l’air d’avoir le culte de la famille, ce soir ! laisse-t-elle tomber en se dirigeant vers la porte.

Au moment où je vais lui filer le train, le Vieux m’intercepte.

— Faites-en n’importe quoi, noyez-la dans le port si besoin est, mais je ne veux pas trouver cette petite poufiasse à bord du Mer d’Alors demain, San-Antonio.

— Comptez sur moi, monsieur le directeur.

C’est agréable, la Siesta… Ces lampes, la musique, le presque plein air, avec juste des toits de cannisses… Le grondement de la mer toute proche. Le glouglou des pièces d’eau qu’on peut traverser à gué grâce à des pas d’éléphant… Les filles… On dirait des fleurs vivantes. Elles sentent meilleur que des fleurs, elles possèdent de bien plus beaux pétales.

Tout en gambillant un slow avec Camille, j’échafaude de laborieuses combines pour l’empêcher de prendre le barlu demain. Elles me paraissent toutes plus foireuses l’une que l’autre. Et puis c’est pas fastoche de penser clair lorsqu’une souris aussi capiteuse se plaque plus étroitement à vous qu’une combinaison d’homme-grenouille. Ça vous fait cahoter la gamberge, ce contact. Elle s’incruste, Camille. J’ai toujours une de ses jambes entre les miennes, ses seins contre ma poitrine et son ventre collé au mien comme la ventouse d’un débouche-évier. Elle me parle lèvres à lèvres. J’entends mal ce qu’elle me raconte because le brouhaha de la boîte. La Siesta, pour bien l’apprécier, faut se coller des boules Quiès dans les bafles.

Le morceau fini, je me hâte de l’entraîner en un coin relativement tranquille. Notre bouteille de champ prend son bain de siège dans le seau à glace, sa serviette autour du cou. On s’en lichetronne quelques centilitres après s’être réciproquement porté un toast muet, plein de promesses.

— Ah ! soupire-t-elle, ce que je suis heureuse d’embarquer demain pour cette croisière !

Dites, l’enfant se présente plutôt mal, hein ? Va falloir drôlement déballer de l’éloquence pour arriver à lui faire lâcher cet os !

— Justement, mon chou, il m’est venu une idée, en dansant, lui dis-je.

Elle trempe son doigt dans sa coupe et m’humecte le bas de l’oreille.

– Ça porte bonheur, m’explique-t-elle. C’est quoi, votre idée ?

Une drôle de moche mission qu’il m’a collée là, le Dirlo. C’est extra-professionnel comme turbin. Bientôt il me demandera de cirer ses pompes ou de remplir sa feuille d’impôts.

— Je préfère vous prévenir tout de suite qu’elle est sensationnelle, mon petit ange.

— Je m’en pourléche déjà, glousse ma compagne.

— Laissez-moi ce soin, polissonné-je. Vous savez ce qu’on devrait faire, ma gosse ? Demain, au lieu de grimper à bord de leur rafiot, on se prend la route vous et moi. Direction l’Italie ; mandoline, chianti et lanternes vénitiennes à tous les étages ! Qu’en dites-vous ?

— J’aime pas les nouilles ! riposte-t-elle très sérieusement.

— On mangerait du jambon de Parme ; là-bas, ils le coupent en tranches si minces qu’on voit le soleil à travers.

Elle hausse les épaules.

— C’est ça votre idée lumineuse ?

— J’ai l’impression de faire un bide, me renfrogné-je.

— Et comment ! Pour une fois que j’ai l’occase de me payer une croisière de rêve, je ne vais pas la laisser passer !

Elle me glisse la main sur la jambe et profite de ce que la nappe descend très bas pour la remonter (sa main) très haut. Si tellement haut, même, que je chope des émois dans la péninsule.

— D’autant plus, chuchote-t-elle, qu’à bord on sera libre de faire ce qui nous plaira !

— Avec la bénédiction de mon patron ? grommelé-je.

Elle ricane :

— Puisque c’est mon oncle, quelle importance ? D’ailleurs je ne pense pas qu’il soit d’une jalousie excessive. La preuve : c’est grâce à lui qu’on est ensemble ce soir.

Pas la peine de chambrer cette poulette. Elle démordra pas de sa croisière. Va donc falloir user des moyens illégaux.

Au lieu d’insister, je me rends à ses raisons et me mets à l’entreprendre pour de bon. Les madrigaux, les œillades, les froufrous ne sont qu’amuse-gueules. Le moment vient où une nana de cet acabit a besoin d’autre chose de plus consistant. On ne peut pas la nourrir que de barbe-à-papa.

Moi, le numéro de la séduction, je le connais tellement par cœur qu’il finit par ne plus m’amuser. Surtout qu’en l’occurrence je dois appliquer le plus bête, le plus fruste, le plus routinier. Une gonzesse comme la Camille, avec l’ambiance de la Siesta, y’a pas besoin de sortir major du Casanova’s Institut pour lui faire toucher les deux épaules. Au contraire, faut presque freiner pour garder quelque agrément à la chose. Je la laisserais aller, en moins de cinq minutes je serais en train de lui faire son palmarès sur la plage ou dans ma bagnole. Les filles d’aujourd’hui, je vous jure, elles finissent pas saccager l’amour à force de trop de facilité. Maintenant, on bavouille comme on lancequine. Toc-toc, ça va mieux ton angoisse viscérale, chéri ? On vit dans un monde sans culottes, les gars ! La femelle trop consentante, c’est la mort de l’extase. On va devoir se rabattre sur les prostiputes pour profiter d’un reste de tradition. Y’aura bientôt plus que les périphéripatétitiennes pour préserver un certain standing de l’amour. Elles, au moins, elles s’aspergent le trésor avant et après ; elles se vendent à l’horizontale, sur un matelas. Elle suivent un procésuce. Tandis que les nanas d’à présent, je t’en fous (et je m’en fais foutre), c’est du compostage pur et simple. De la plonge. Je prédis pour bientôt un déferlement d’homosexualité ! Ça me paraît inévitable. Les femmes nous rendront tous sodomistes, les gars, et c’est elles qui l’auront dans le c… ! Mince, je la regrette farouchement, la belle époque des Croisades. Pendant que le Pieux Seigneur allait contracter la peste infidèle, clés en poche, ils devaient drôlement s’exciter le tempérament, les tombeurs du XIIIème à crocheter des serrures interposées. Tu parles d’un braczir qui devait leur monter pendant qu’ils s’acharnaient sur les pênes récalcitrants, les petits audacieux, à une époque où fallait une clé à molette pour se déboulonner la braguette !