Je retarde au maxi le moment des effusions. Je les déteste rapides. J’sus Chinois en volupté, mézigue. Pas maoïste : mandarineur plutôt.
Oh pardon ! Les mandarins-cul-rassis, en vlà qui savaient se faire étinceler. Leurs parties de jambons, c’était chaque fois plus grandiose, plus sublime que le Te deum de la Libération à Notre-Dame. Et ces astuces pour feu-d’artificier le plaisir ! Ce déploiement d’inventions, de recettes millénaires (quand on cause de trucs chinois faut toujours y fout’du millénaire car c’est un patelin qu’a l’air beaucoup plus vieux que les autres). Ces méchantes combines pour exacerber la volupté, pour placer Popaul sur une orbite d’attente pendant le débarquement lunaire !
Je me mets à en causer à Camille, des mandarins-cuirassés. Je lui explique comme quoi le plaisir c’est de la patience en musique. Elle est intéressée. Dans le fond, si elle dagadague vite-fait, généralement, c’est par pure gentillesse. Elle croit humain d’éponger ses potes à la rapide, pour plus vite les délivrer du tourment charnel.
Dans ma jolie tronche je fais un calcul pernicieux. Je me dis qu’il est minuit. Dans une plombe il sera temps de l’embarquer sur le terrain de manœuvre, la fausse nièce à Pépère. Ajoutons une autre plombe de frénésie, ça nous mènera à deux heures du mat’. Je lui offrirai alors le dernier godet en prenant bien soin d’y coller une bonne rasade de sirop de sommeil. J’ai un produit efficace dont les effets durent une dizaine d’heures. Or, à midi, il aura levé l’ancre, le Mer d’Alors. Bye-bye, chérie ! Elle pourra plus que courir sur la jetée en agitant son mouchoir vers l’horizon, Camille, à l’image des petites Bretonnes d’antan prenant congé de leurs pêcheurs de morues avant d’aller se faire besogner la bigouden par le gardien de phare unijambiste.
Vous m’objecterez que le coup du barbiturique c’est un peu lâche comme procédé. Il ne m’enchante guère. Mais une mission de confiance c’est une mission de confiance et seuls comptent les résultats.
Notre quille de champ’torpillée, on décide de s’en aller.
Je reprends ma décapotable au parkinge. Le clair de nuit est féerique. Vous verriez cette lune, juste au bout de Cap d’Antibes, ça vous ferait frissonner de la tête au radada, mes gamines ! On dirait qu’elle fait des écailles d’argent, la mer, comme un gros poisson.
Camille a la tête sur mon épaule. A cause de la danse elle sent bon la femme.
— Où m’emmenez-vous ? chuchote-t-elle.
Marrant, j’étais en train de me poser la question à moi-même. Because ma Félicie, il n’est pas question de l’embarquer à la maison. Elle, elle crèche dans une pension mimosas et partage sa piaule avec une copine…
Je décide de la driver chez mon copain Narcisse, qui tient une petite boîte sur la route de Grasse. Il fait restaurant-dancing, Narcisse. Mais il a toujours une piaule disponible pour les amoureux en transe.
Il est en train de mettre les chaises sur les tables quand on se pointe. Je lui fais part discrètement de mes projets et il opine.
— Tu nous monteras une bouteille de Dom Pérignon, ajouté-je. Moi, je me taillerai tout de suite après la cérémonie de clôture, mais il est probable que ma petite camarade piquera un solide roupillon jusqu’à une heure avancée de la journée de demain, tu serais gentil de la laisser ronfler. Il est probable aussi qu’elle fera un foin du diable en constatant mon départ et l’heure qu’il sera, tu serais également gentil de la laisser gueuler et de lui appeler un taxi.
Je fourre une pincée de biftons dans la main préhensile de Narcisse. Il a un acquiescement muet qui fait trembloter sa gapette de lad sur le sommet de sa tête.
Il s’étonne jamais de rien, mon pote. Un blasé. Son passé ressemble un peu à un mur de gogues, ce qui lui donne toutes les indulgences pour le présent.
On peut pas dire que la piaule soit luxueuse, mais y’a un lit et de quoi se rafraîchir Pétrus. Comme on ne vient ici ni pour enfiler des perles de culture ni pour y passer nos vacances, on s’en contente.
Tout se déroule selon mes prévisions, sauf qu’au lieu de l’entreprendre avec le « gant Ukrainien », je modifie mon plan d’attaque en lui faisant « le pivert en folie ». Ma franchise proverbiale m’oblige de même à préciser que je lui remplace « la tyrolienne fourrée » par « l’olifant insonorisé », ce qui, me direz-vous, ne constitue pas un changement « fondamental » mais convient mieux au tempérament fougueux de Camille. Mon cours sur le mandarinat n’a pas porté ses fruits car elle est d’une nature trop spontanée pour jamais adhérer à des débordements élaborés. C’est une buteuse, quoi ! P’t’être qu’avec l’âge elle s’arrangera. Elle est déformée par les parties trop alcoolisées. Faudrait qu’elle se refasse un palais, comme les tastevins après une angine.
Quand on a exécuté la figure 12 de « Poussez plus c’est complet ! », deux coups tombent du carillon Westminster des Narcisse et la mégère de mon copain dans la chambre contiguë, rouscaille à cause de nos bruyances qui l’empêchent de dormir. Elle envoie des vannes perfides à son homme, comme quoi il pourrait s’inspirer au moins de la fantasia pour se mettre à l’unisson ; mais il est pas partant pour les délicatesses matrimoniales, Narcisse. Il grogne qu’en saison il peut pas se permettre des nuits vénitiennes. A quatre plombes, faudra qu’il se farcisse le marché de Nice pour assurer la bouffe ! Il est resté sur ses échasses pendant vingt heures d’affilées, le taulier. A engueuler le personnel, tenir le bar, vider les jeunots turbulents, gazouiller du piano à bretelle pour faire gambiller une horde de désœuvrés. Alors la séance de billard japonais en guise de dorme, merci bien. Faut qu’il se prolonge jusqu’au premier septembre. Bobonne, elle doit se fourvoyer le baigneur sur la voie de garage, en attendant, trouver d’autres extases, prendre son panard avec le tiroir-caisse florissant, si elle veut. Ou alors s’embourber le plongeur, qu’est célibataire, Arabe et pas regardant sur la matière première.
Ça tourne à la crise aiguë, leur foyer, aux Narcisse. On leur a chancetiqué la fatigue. Ils ont même plus la jouissance de leur épuisement.
Camille se poire comme une folle, depuis derrière le paravent où ce qu’elle se distribue des fraîcheurs à travers les bielles pendant que son valeureux partenaire lui sert une coupe de champagne pas piqué des charançons.
La dose mahousse, je lui vote. Il sera content, le boss. Grâce à ce gentil remède, elle se réveillera p’t’être pas avant le retour de la croisière. On va pouvoir appareiller tranquille. M’sieur le directeur embarquera la tête haute avec ses troupes de choc.
— A nos amours, ma poule ! lui dis-je en lui présentant la coupe façon roi de Thulé.
Elle lève son glass.
— A nos amours, chéri, c’était sensationnel !
— Merci ! Allez, cul-sec ! j’ajoute, bien qu’après l’exercice auquel elle vient de se livrer de l’autre côté du paravent, ce ne soit pas exactement de circonstance.
On liche notre champ’ !
— Encore, s’écrie-t-elle.
J’ai un poil d’inquiétude.