Выбрать главу

— Eh bien, Bougnazet ! tonne le commissaire.

— C’est la petite fille ! bavoche l’autre pomme dans son gourbi ! Elle m’a branché le plateau « B ».

Il arrête l’émission pour recoller la Marseillaise. Berthe se catapulte afin de récupérer sa diablesse.

Elle lui cloque une mandale si violente que la môme bouscule le plateau « A ». La Marseillaise dégueule net. Le disque est rayé ; il musique sur place.… qu’impur, abreuve nos sillons —… qu’impur, abreuve nos sillons — qu’impur, abreuve nos sillons…

C’est les sillons du disque, m’est avis, qu’ont besoin d’être colmatés. Le Vieux serre la main du ministre dont l’humeur irradie. Les vacances, ça fait des mois qu’il en rêvait, le pauvre. Toujours sur la brèche, avec son ménage à faire à l’Elysée, s’occuper de la chaudière du chauffage central, des commissions chez Fauchon, cirer les pompes (et Dieu sait si elles sont grandes, les tartines, là-bas !), répondre aux journalistes, arroser les pelouses, c’est épuisant à la longue. Il se promet bien du bon temps sur le Mer d’Alors. Surtout pas de tralala, pas d’honneurs. Il est simple touriste. A l’écouter, faudrait lui filer la plus exiguë cabine, la plus humble, celle qui se trouve sous l’arbre d’hélice. Il voudrait voyager dans le cambouis, le ministre. Bouffer de l’haricot pétomane à tous les repas. Se claquemurer hermétique. S’affubler de lunettes noires et d’une fausse barbe pour regarder dans sa glace histoire de ne pas se reconnaître. Il en a sa claque des cérémonies. Il retourne au quidamat. Il veut se changer les idées, les U. D. ; trouver l’oubli salvateur.

Il est prêt à tout pour mériter son anonymat. Il entre dans l’incognito comme dans les ordres. Alors il presse des mains, des mains, des mains. Il bredouille des trucs, des choses, des machins, des bidules tout faits, déjà dits, facile à oublier. On peut pas s’en désempêtrer. Il nous aime d’être les témoins de sa guérison. On va l’aider à se dédépressionner la nervouze. Après les journées de mer, les ciels indigos, les escales brûlantes, il sera redevenu neuf, comme avant son adhésion au nuhénère. On va tous s’y mettre pour lui rendre son pucelage, refaire de lui un homme intact, le radier du syndicat des gens de maison.

Tous, on nous entraîne vers nos cabines. Y’a répétition. A tout Seigneur… le ministre et le Vieux ont des singles. Pour le reste, ça fonctionne par deux, d’où problo chez les Bérurier qui sont trois du fait de Marie-Marie. C’est Berthe qui dégauchit la solution. La petite logera avec son oncle dont les ronflements ne l’empêchent pas de dormir, elle, elle partagera la cambuse de m’sieur Félix.

Le Gravos se renfrogne, objecte que c’est pas normal, ni même correct.

— Tu voudrais peut-être qu’on fasse habiter une gamine avec un monsieur qu’on connaît à peine ? riposte Berthy.

— Non, mais…

— Alors, ça suffit !

— Je pourrais peut-être loger, moi, avec Félix ? suggère l’époux.

— Pour qu’il puisse pas fermer l’œil à cause de ton ram-dam ? Déjà il nous accompagne pour nous faire plaisir ! Non, mais dis donc, Alexandre-Benoît, serais-tu jaloux, par hasard ?

Jaloux ? Béru s’en marre comme citrouille entamée ! Lui, jalmince ? D’un homme qua une infirmité à la place du bec verseur ! Alors là, il est tranquille, il pioncera sur ses deux manettes. Il l’a vu, le bastringue du prof ! Jumbo ! Pour opérer un branchement, faudrait qu’il la passe au laminoir, ce pauvre Félix. Qu’il use d’un entonnoir ! Qu’il la mouline au taille-crayon géant ! La question étant réglée, les Bérurier et Félix adoptent la formation prescrite par Berthaga.

Nous, on s’arrange avec les Pinuche, M’man et moi. Elle co-habitera avec la rombière de mon pote, Félicie, tandis que César occupera le deuxième plumard de mon domaine.

Voilà, c’est en ordre. On n’a plus qu’à s’équiper yachtmen et à attaquer le grand farniente ondulatoire.

Tout en rangeant ses affutiaux dans sa penderie, Pinuche bavasse de sa voix monocorde en se curant de l’ongle le chassieux des yeux. Il cause plus de sa caravane. Cette croisière est une aubaine, somme toute ! Un magnifique lot de consolation. Leur premier voyage en mer avec Mme Pinaud. Un quart de siècle qu’ils en rêvaient, qu’ils pleuraient en lisant les mots « coursive, pont-soleil, steward » sur des prospectus de la Transat ou de la compagnie Paquet.

La Méditerranée, c’est le berceau du monde. La civilisation est sortie de ses eaux bleues comme un coquillage étincelant.

— Je voudrais te faire observer une chose, sans pour autant gâcher ta joie, Pinaud, c’est que nous sommes ici dans un but bien défini : percer le mystère des disparitions.

La Baderne sourit finement.

— Il m’a fait marrer, leur Félix, avec sa démonstration d’hier. Pour qui se prend-il, ce pion ? Tes disparitions, tu veux que je te dise, San-A. ? Tu le veux ?

— Yes, je veux !

Le bêlant met son regard en code.

— Un accident, une fugue et deux suicides ! résume-t-il. La première, l’Anglaise, avait bu au gala du bord. Elle est allée de nuit sur le pont. Le mal de cœur l’a fait se pencher, le roulis l’a fait basculer. Le deuxième, le Français, à terre : il aura gerbé avec une petite Grecque. La troisième, l’Allemande et le quatrième, l’italien, quelles étaient leurs existences ? L’une vivait seule avec une mère gâteuse ; le second était infirme ! Dans la mesure où, justement, la vie du bord est agréable, ils ont mesuré leur situation. Les vacances, c’est quoi, en somme ? Une grande solitude avec beaucoup de monde autour.

A ce stade de la philosophie Pinucienne, on frappe

à la porte. Le garçon de cabine, un joyeux drille rigolard, m’informe que le monsieur de la cabine Fleur de France (celle du Dabe) désire me parler de toute urgence.

J’y vais.

— Entrez !

Je trouve le Dabe en grande tenue de croisière. Il porte un futal de couleur crème, un blazer bleu, un foulard blanc. Assis dans un fauteuil de cuir, il paraît faire de la délectation morose.

— Vous voulez me parler, monsieur le directeur ?…

— Regardez ce que je viens de recevoir !

Il me désigne une magnifique gerbe de roses dans un vase de cristal.

— Délicate attention, approuvé-je, la Compagnie je suppose ?

Il hoche la tête et me tend une enveloppe éventrée d’où dépasse un bristol.

Lisez le mot qui accompagnait l’envoi.

Je lis :

Pauvre Vieux Con,

Si tu t’imagines que tu vas empêcher quoi que ce soit avec tes pieds nickelés, tu te trompes.

— Charmant, n’est-ce pas ? grince le Tondu.

— Intéressant.

— Vous trouvez ?

— Voilà qui nous apporte une certitude, patron. Il y a bel et bien un criminel à bord. Un fou, je suppose. Et il annonce la couleur. Il a eu vent des raisons secrètes de notre embarquement, ça l’émoustille. Il nous brave. C’est bon, cela. Un criminel qui défie la police est un criminel qui prend des risques, qui se découvre… Donc qu’ON découvre !

— En attendant, il me traite de vieux C. O. N et nous promet de nouveaux forfaits ! San-Antonio, semblé-je vraiment si vieux que ça ? s’inquiète le Vénérable.

— Absolument pas ! m’indigné-je. Vieux est bien la dernière épithète qui viendrait à l’esprit pour vous qualifier !

ça le rassérène vaguement.

— Qui vous a apporté ces fleurs, patron ?

— Mon garçon de cabine.

— Et qui les lui a remises ?