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Elle prend de l’élan pour la gifler. La gosse se baisse, c’est le vieillard qui dérouille la tarte. Juste au moment qu’il becquetait sa dernière bouchée de sole. Pas de fion ! La fourchette se plante dans sa gencive. Il en glaviote son râtelier dans un flot de sang. Sa bonne femme se croit à Dallas. Elle pousse des cris ! Elle fait appel au F. B. I., à la Navy, au Stratégie Air Command ! Elle croit qu’un nouveau Perle à rebours se déclenche. Elle exige leur rapatriement immédiat. Elle entonne la Bannière Etoilée. C’est la confusion extrême. On transbahute l’Américain flageolant vers les infirmeries. Un murmure réprobateur conspue la Berthe. D’autant qu’elle fait payer son erreur de balistique à Marie-Marie en lui filant une fessée fracassante, culotte tombée et jupe retroussée. Y a des vieux salingues qui matent en bavant sur leur ris de veau forestière. Ils s’allument au spectacle ! Ils reluisent comme des 200 watts. Marie-Marie hurle qu’elle n’est pas coupable. C’est le garçon qui a commencé, qui lui a refusé une troisième ration de mousse au chocolat en la traitant de gourmande. Elle peut pas supporter les impertinences. Surtout que les autres mômes se foutaient d’elle. Comme tante Berthe continue la frottée, elle cesse de plaider pour réclamer du secours ! Elle m’implore d’intervenir. Ce que je finis par faire, sévère :

— Berthe, grondé-je, n’avez-vous pas honte de molester cette petite et de vous donner ainsi en spectacle ?

Une Berthy en renaud, faut des moyens plus puissants que mes reproches pour lui enrayer l’ouragan. Elle me dit qu’elle est tutrice ; elle a une éducation à mener à bien ! C’est pas mézigue qui lui apprendrai les bonnes manières à Marie-Marie, qui en ferai une jeune fille accomplie, mais elle ! Alors que je m’écrase. Quant aux gens qui la regardent, elle les a dans son slip, ce qui n’est vraiment pas l’endroit où passer l’été. Faut que ça soye Béru qui, à son cœur défendant, s’en mêle. On vient de servir le foie gras et il était en train de le manger en tartine, sur des tranches de ballottine. Il mastique encore. Il a la serviette nouée autour du cou.

— Va t’asseoir, Berthy ! enjoint-il, je m’occuperai de cette question moi-même personnellement !

Sa bonbonne l’envoie au bain. Elle a droit de fessée, c’est SA nièce, à elle !

Béru n’a pas le temps de tergiverser. Il sait que le repas s’élabore dans l’antre miraculeux des cuistots. C’est comme une chaîne de montage où le temps perdu est irrattrapable. Qu’on prenne du retard et ça déconfiture dans les frichtis, les sauces « attachent », les bidoches perdent leur saignant, les légumes se déshydratent.

— Berthe, si tu n’iras pas t’asseoir immédiatly, t’as ma main sur la gueule, d’une part, et d’aut’part je te clape ta part de foie gras !

L’argument (je parle du dernier) est de poids. L’ogresse cesse de battre. Elle remise ses loloches dans leur hamac à double carburateur et retourne à table.

— Quant à toi, fait Béru à la môme, va prendre l’air sur le pont, on en recausera après la digestion !

Tout va rentrer dans l’ordre, croyez-vous ? Que non point ! C’est au moment du gratin de fruits de mer que le deuxième épisode éclate. Moins bruyant, mais tout aussi dramatique. M’sieur Félix se met à dé-manger à tout va autour de soi. Son silence, son air buté, ça lui venait du mal de mer, au cher homme ! Il s’en gaffait même pas, vu qu’on nous a prévenus que le Mer d’Alors est pourvu de stabilisateurs antiroulis. Il couvait sa nausée en silence. Chiquait les rêveurs, les contrariés. Il attendait que ça se passe, seulement ça ne se passe pas comme il l’espérait. Une première bordée lui vient, pile comme le pingouin nous présente le sublime gratin dans son plat de cuivre rouge bien fourbi. Flaouff ! comme on dirait dans une bande dessinée ! Un geyser, mes drôles ! Tu parles d’une pression, mon neveu ! Il doit avoir un sacré gisement dans les profondeurs, Félix, pour que ça déménage avec une telle intensité !

Broumf ! Deuxième service ! Y en a partout. (Si des lecteurs — ou trices — prennent mal au cœur à mon réalisme, qu’ils courent à la pharmacie du coin s’acheter un bouquin de Mauriac, avec une bonne camomille, y a rien de tel !)

Le gratin est plus visible, le plastron du loufiat non plus. On ose plus regarder dans le décolleté de Berthe ; maintenant il est garni à bloc, on refuse du monde ! Ça déferle de m’sieur Félix comme d’un Etna mécontent. Ça dévale, faudrait appeler Haroun Tazieff, mon contre-lecteur, pour jauger l’étendue de la manifestation, préconiser les mesures. La marée noire ? Une tache d’encre à côté ! Il a l’air chétif, le Prof, mais il ignore les demi-mesures.

Son dégueulage est à l’échelle de sa membrane aérostable. C’est grand, c’est généreux. Ça recouvre comme un crépuscule.

— Le chéri ! Il est malade ! déplore Berthe. Venez vite, mon Félix, que je vous soignasse ! Enfin, allez le premier, je vous rejoindrai sitôt que j’aurai terminé mon repas !

Félix voudrait présenter des excuses, ne le peut ! Des salves de plus en plus accablantes lui partent. Bdjaouff ! Vuuuuzpf ! Rôgtz !

Il se lève, il s’éloigne. Il dégueule sur lui, par terre, partout. S’arrête aux tables, s’y appuie pour refiler dans les plats. Il dénougâte aussi dans les chevelures des dames ! Il marque des temps, étourdi par l’intensité du flux. Ça lui panique l'entraille. Il ne sait plus par où se vider pour que ça aille plus vite. Le v’là qui s’accroche à une dame comme à une bouée !

Malédiction ! Fatalitas ! Sort funeste ! C’est ni plus ni moins que l’épouse du ministre ! Elle morfle des rafales féroces sur les épaules, se retourne pour glapir, cueille le reste en pleine poire. Ça tombe bien car elle a déjà une tronche à ch… contre, cette personne. L’a de la santé, le Vieux, pour s’enamourer devant une chouette pareille ! Nez crochu, peau fripée, œil torve, bouche sans lèvres, cheveux rouges ! Sourcils peints ! Un remède ! Une abomination ! Un cauchemar oublié par l’aurore ! Un peu déhanchée, ce qui ne gâte rien ! Une voix plus acide qu’un citron vert ! La hideur Carabosse faite femme ! Le bout de la nuit, de l’ennui !

De découvrir cette horreur outrancière, ça l’achève, Félix. Le dernier étage de sa fusée se détache ! Il a été traumatisé par la langouste de tout à l’heure. Il ne peut plus se poursuivre. Il déclare forfait ! C’est l’abdication du corps ! La carcasse éperdue réclame son anéantissement. Il prend Mistress la ministresse par le cou pour ne pas choir en plein. Il s’accroupit ! Il déféque, là, sur place, en geignant à travers d’ultimes bourrasques.

L’apothéose ! On a franchi les limites du supportable. On a enjambé le cadre du miroir pour s’élancer dans la quatrième dimension. Il s’est jeté en travers des genoux de Mme du Gazon-sur-le-Bide. Il l’appelle Maman ! Il pleure pour dire de ne pas laisser des presque-orifices sans rien faire. Il pourrait vomir des oreilles, il se hâterait ! Du nez, en tout cas, il y va aussi. A profusion, il y fait passer le plus fluide. Il a besoin de tout son réseau évacuateur, Félix. Il voudrait se percer des trous supplémentaires pour que ça s’en aille plus rapidement, cette marée. Se découvrir une trappe de vidange inconnue, que la nature lui aurait gentiment ménagée en prévision de ce jourd’hui ! La dame Excellentielle veut se débarrasser de lui, le mettre bas. Elle se dresse ! Malheureusement il cramponnait trop fort sa jupe. Elle flanche des agrafes, la jupe ! Félix tombe avec cette maquette de parachute. La chouette nous découvre des cuisses flétries sur lesquelles la peau fait des vagues. On a vue directe sur une culotte de messaline dessalée qu’elle doit réserver pour les croisières et pour les chasses à courre. Bleu-vert, avec des fleurettes rose praline et de la dentelle blanche vachement froufroute ! De la culotte comme on n’en trouve qu’à Montmartre, dans des magasins de lingeries spécialisés dans le touriste.