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— Vous savez que tu es très beau ? me bégaie l’Excellence. Vos yeux, surtout !

Je me mets les doigts de pied en vermicelle dans mes pompes pour me retenir de pouffer. Je m’enfonce les ongles dans la chair : le serrement de main du Jeu de paume.

— Excusez-moi, Mau-mau ! Je suis fidèle à mon ami ! minaudé-je.

— Mon bébé, voyons ! implore du Gazon-sur-le-Bide.

— Pardon, balbutié-je, mais voyez-vous, je suis l’homme d’un seul homme ! Ça doit sembler un peu bête, ce romantisme, très désuet, même… Je n’y peux rien, Mau-mau. J’suis d’une nature farouche ! Exclusive ! Et tellement jalouse ! Si je vous disais que je griffe !

Il se verse un demi-glass de pastoche.

— Je ne voudrais pas vous faire de peine, mon poussin, mais je ne crois pas que votre fidélité soit payée de retour !

Je chique les catastrophés.

— Quoi ! glapis-je. Mau-mau, vous êtes méchante d’insinuer ces vilaines choses !

— Je n’insinue rien, assure mon interlocuteur, pendant tout le déjeuner, votre ami n’a pas cessé de faire une cour effrénée à mon épouse.

Il me fournit l’occase rêvée d’une sortie. Je porte la main à mon cœur, dans l’envolée Rodriguienne : « Percé jusque z’au fond du cœur d’une atteinte imprévue aussi bien que mortelle… »

— Mau-mau, vous m’assassinez, geins-je en mettant seize « s » à assassiné et en me dirigeant vers la porte.

Je sors comme un homme foudroyé par les entourloupes du destin.

Ouf !

En parvenant au tournant de la coursive, je me casse le nez sur le Vieux. Il semble fatigué, mais serein.

Il me virgule un clin d’œil polisson.

— Eh bien, pour une fois, San-Antonio, c’est moi qui ai suivi vos instructions, dit-il gaillardement.

Puis, baissant le ton :

— C’est fait !

Je croasse trois fois à vide avant de demander, avide :

— Avec, avec la mère du Gazon, Boss ?

— Oui, mon petit vieux. Il m’a fallu certes beaucoup de… d’absence d’esprit, mais je crois que le résultat fut valable et que cette personne n’aura pas une trop mauvaise opinion de moi. Mais qu’avez-vous ?

Impossible de lui répondre. Vautré sur la moquette de la coursive, je me tords de rire.

Je vais vous dire : l’inconvénient sur les bateaux, c’est qu’on se désintéresse tout de suite de la mer. Pour bien la savourer, la grande bleue, faut rester à terre. Une fois qu’on est parti à voguer dessus, on l’oublie, bercé par sa monotonie. Une vague après l’autre, comme la vie jour après jour, on en a vite quine de lui mater l’horizon… Elle a pas de futur, la mer, c’est ça la chiasse. Elle se rappelle à votre bon souvenir seulement en se foutant en pétard de temps en temps. Quand elle fait le gros dos, que ses creux sont bien tobogganesques, que son écume vous monte à l’assaut, là, oui, on y fait gaffe. On la redécouvre pour la craindre, lui appréhender le courroux, chialer dans le giron de Neptune histoire de lui supplier la clémence.

Le pont, c’est seulement pour le foutinge. La vérité vraie c’est qu’il n’y aurait pas besoin de bastingage. Une fois remisés les mouchoirs de l’adieu, personne s’y appuie plus. Terminé : le spectacle est à l’intérieur !

Et puis, les barlus, à part biberonner et gambiller, le soir venu ; à part la bouffe et la partie de gringue aux voyageuses solitaires ou en impuissance de cocu, c’est tartant rapidos. On en a vite fait le tour, aussi vastes soient-ils. Ils paraissent grands à la première visite, mais à l’usage ils se révèlent exigus comme une H. L. M.

On bute partout dans les mêmes coins, les mêmes gens. Y a les points de rencontre immuables, aux ascenseurs, au bar, dans le grand salon où un pianiste désenchanté fait dégouliner Chopin le long de ses doigts comme si ça lui poissait les paluches. Sur la plage arrière, les transats sont alignés dans la formation des sardines en boîte. Les Anglaises farouches y persistent sous des couvrantes par mauvais temps, toujours stoïques d’apparence comme tous les animaux à sang froid. Par les soleils dardants, les jeunes femmes s’y font bronzer dans des poses de chattes heureuses.

On vient justement de profiter d’une réapparition du beau temps pour prendre un petit bain de chaleur, m’man et moi.

Pourtant, le soleil, ce serait pas tellement son genre à ma Félicie. Elle est d’une époque où les petites filles allaient à la messe, l’été, sous des ombrelles. Sa maman lui a surtout enseigné à se servir de l’ombre. En ce temps-là, on prônait la peau blanche, on avait le goût du blafard. On jugeait la pâleur aristocratique.

— Je crois que je vais aller rejoindre Mme Pinaud, mon Grand.

Elle se crée des obligations, Félicie. Toujours se consacrer à des gentillesses pour autrui.

— Te casse pas, M’man, laisse-la vivre sa vie.

— C’est une personne très bien, réservée. On sent la bonne éducation à la base, vante ma brave femme de mère.

Ses fiches signalétiques sont traditionnellement dans les tons pastels, à M’man. Son prochain, elle le voit avec des apothéoses de vitrail.

— Tu t’embêtes pas sur ce rafiot ? je demande.

— Tu plaisantes, Antoine ! Un rêve ! Si je m’attendais à une aventure pareille. Il est vraiment charmant, ton directeur, de nous faire profiter de ses relations pour…

— Une crème, ricané-je.

Nous moulons le parking à viandes chaudes pour pénétrer dans les profondeurs. C’est l’heure mélancolique du début d’après-midi. Y a pas chouchouille de peuple en déplacement. Les vioques font la sieste, les jeunes limaillent, les mouflets sont au cinoche où l’on projette une vraie féerie sur la vie sexuelle des abeilles. Le personnel est peu nombreux. Le bateau ressemble à un lendemain de réveillon. On y décèle une apathie et des relents de gueule de bois.

Comme nous débouchons au pont « U » où nous créchons (croyez pas qu’il y en ait 18, U veut dire Up, c’est-à-dire supérieur), nous sommes alertés par un concours de peuple plus ou moins cloaqueux qui se pressé dans la coursive pour prêter l’oreille à un concert de vociférations.

Ce ramdam, j’ai pas besoin de me passer un rince-bouteille dans les manches à air pour l’identifier. Il est encore signé Béru.

Ça chauffe mochement, je vous l’annonce. On entend glapir et trépigner. Des bris de verre ! Des chocs ! Des plaintes ! Des injures principalement. Elles s’entrecroisent ! Un tir de barrage ! Un double feu roulant ! « Salope ! J’t’emm… ! Morue ! Pétasse ! De quoi je me mêle, eh merlan ! Cocu ! T’en es un autre ! Poufiasse ! Marlou ! Ecrasez ou je vous sonne tous ! De grâce, de grâce, mes amis ! »

C’est terrible ! Le bateau en frémit. C’est tellement véhément que, de temps à autre, sous l’effet du séisme, l’hélice du Mer d’Alors sort de l’eau pour ronfler à vide ! Je me fraie un passage jusqu’à la cabine de Berthe et de Félix, épicentre de ce tremblement de mer. C’est de plus en plus dur d’avancer, étant donné la foule qui s’agglutine. Y a des stewards, des dames âgées, des gus en slip ; d’autres en peignoir de bath. Ils s’interrogent du regard : en anglais, en espagnol, en allemand et en français, sans se fournir de réponses.

Ça fracasse de plus en plus fort dans la cabine 69.

On y devine des soubresauts titanesques. Les injures se transforment en cris.

Je parviens à entrouvrir la porte, à me couler dans la fournaise ! Je suinte au cœur du charivari, m’efforce de le concevoir. Quatre personnes émulsionnent dans l’étroit local. Il y a Berthe, à poil complètement, d’une nudité tellement poilue, tellement bourrelée qu’elle en paraît un peu vêtue, car la vraie nudité est glabre. Il y a M’sieur Félix, en costar d’Adam, qui essaie de se masquer zézette à l’aide de son oreiller, mais elle dépasse. Il y a Béru, en maillot marin et short imboutonnable du haut. Et puis un quatrième personnage vêtu d’une blouse blanche, en qui, avec stupéfaction, je reconnais Alfred, le coiffeur ami du couple béruréen.