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C’est lui surtout qui exclame le plus violemment. Il flanque, tout en vitupérant, des monstres torgnoles à Berthe, laquelle se rebiffe. Béru proteste. Il veut protéger Bobonne. Quant à m’sieur Félix, mochement ennuyé par l’échauffourée, il risque des paroles apaisantes auxquelles nul n’accorde le moindre crédit.

Ma venue correspondant à l’essoufflement général, je bénéficie presque immédiatement d’une ère de silence houleux.

— Eh bien ! Eh bien ! les enfants, qu’est-ce qui vous prend ? leur demandé-je sèchement. Avez-vous décidé de foutre la merde dans ce bateau pendant toute la croisière ? Et vous, Alfred, que faites-vous sur le Mer d’Alors ?

Il est violacé, le pommadin. Ça se remarque particulièrement par-dessus sa blouse blanche.

— Je fais un remplacement, halète-t-il. Le gérant du salon de coiffure du bord a pris ses vacances !

— Et ce fumier qui nous a prétendu aller chez son vieux père malade ! jette Berthaga. Ton remplacement, c’est prétexte à venir faire le joli cœur sur un bateau, hein, grand dégoûtant !

— Tu peux causer, hé, morue avariée !

— Alfred ! intervient Béru. Je te prierai d’être corrèque avec Berthy.

— Correct ! Non, mais tu l’as vue, ta rombière, Alexandre-Benoît, dans quelle tenue je l’ai trouvée avec le macaque ici présent !

— Ben quoi ! On se changeait ! glapit la Bérurière. M’sieur Félix a été très malade. Je l’ai soigné et ensuite y a bien fallu s’approprier !

— Drôle de manière de se changer, repart d’urgence le merlan. Elle chevauchait ce vieux crabe, oui !

— Moi ! ! ! ! ! exclamationne la Grosse.

— Toi, oui, ma pute ! Je venais d’apprendre votre présence à bord. Je laisse tout pour accourir vous faire la bise, commente Alfred à l’intention exclusive de Béru. J’entre en criant « Coucou ! » et qu’est-ce que je vois : cette peau de radasse en train de se farcir monsieur !

— T’es sûr ? murmure Béru.

— Je te le jure sur notre vieille amitié ! certifie le coiffeur.

Le Mastar se renfrogne.

— Jure pas, tu me laisses perplexe ! dit-il sombrement.

— Tu ne vas pas croire les ragots d’un individu qui joue les coiffeurs de l’élitre sur un paquebot après avoir décliné notre campinge sous prétexte qu’il allait chez son père malade ! explose la Baleine.

— C’est vrai, ça, Alfred, se raccroche le Gros. T’es un fieffé menteur !

— Ben quoi, plaide l’autre, je bosse pendant les vacances parce que les affaires vont pas tellement bien. Si je vous ai raconté l’histoire de mon Vieux, c’est pour que vous insistiez pas trop ; pour couper court aux tentations. Vu notre amitié, j’aurais fini par céder. C’eût été la débâcle pour moi, la faillite. C’est de ma faute si la TVA je m’en remets pas ? C’est moi qui l’ai promulgué ce nouveau train d’impôts qui nous fait toucher les deux épaules, dis, Béru ? J’y peux quèque chose si à présent les gonzesses ne vont plus au coiffeur qu’une fois par mois pour se comprimer le budget ? C’est mézigue qui conseille aux parents de couper eux-mêmes les crins de leurs mômes au lieu de me les espédier le jeudi ? Je suis fautif que les hommes se rasent personnellement ? Alors pour essayer de lutter jusqu’au bout, de grappiller trois pions pour mon percepteur intraitable, je me farcis un extra sur un bateau en guise de joyeuses vacances, et c’est pour en arriver à quoi ? A surprendre la femme légitime de mon meilleur ami en train de s’embourber un pékin qu’a un goumi gros comme une bitte d’amarrage. A se demander s’y faut des démonte-pneus pour lui héberger le zeppelin.

La rogne lui fournit des arguments perfides, à Alfred. Il brave les lois de l’amitié. S’en gausse, s’en torchonne les régions postérieures.

— T’iras te la pratiquer, la Berthe, après des opérations pareilles ! T’auras le bonjour ! Faudra te déguiser en spéléologue, mon pote ! Lui faire prendre des bains de siège au jus de citron ! Et encore je me demande si sans points de suture tu pourras toucher ta ration de tendresse ! Il est hors nature, ce père Nimbus ! C’est un défonce-ménage ! Un ouragan-outan ! Un excavateur pneumatique ! Sa place, elle est pas ici, mais à la Foire du Trône !

Il montre, ce parlant, le poing au Félix, lequel, malgré sa fâcheuse position, conserve un certain maintien. Berthe, les poings aux hanches, déclare tout à coup, très froidement.

— Ecoutez, mais où vous croyez-vous ? Des conversations pareilles, faut pas m’en causer ! Si vous jouez au fote-balle avec la réputation d’une honnête femme, je vous dis bonsoir et je rentre chez nous.

— A la nage ? ironise Alfred.

Le sarcasme fait pencher l’indécision de Bérurier du côté de la sagesse.

— Alfred, dit-il, t’as été victime des appas rances !

— Ah mouais ? ricane le mistifriseur.

— Oui, Alfred. Parce qu’il faut que je te dise une chose : M’sieur Félix, ici présent, c’est pas n’importe qui !

– Ça se voit ! gouaille l’irascible.

— Il est professeur au lycée Babillon ! trémole Bérurier.

Alfred n’est pas le genre d’homme qu’impressionne l’intellectualisme, au contraire. Il se méfie des savants de tous crins, le rase-nuques. Il les trouve inquiétants, un peu anormaux. Pour lui, l’instruction décompose la vie. C’est un truc purulent qui ronge les cervelles.

— M’étonne pas, riposte l’ami outragé. Etre prof et posséder un pareil mandrin, c’est la porte ouverte à toutes les calamités. Bon, je vois que tu tiens à la politique des yeux fermés, Alexandre-Benoît. Toi, t’es cornard comme y’en a qui se font prêtres. J’agirai donc selon ma conscience…

Déjà il est à la porte.

La dernière phrase, sibylline, inquiète Berthe.

— Qu’est-ce tu mijotes, dis, teigneux ? demande-t-elle.

Il se retourne, sourit hargneusement et lui envoie un baiser au vitriol.

— Eh ! arrête tes simagrées, elles prennent pas avec moi, espèce de coupeur de cheveux en huit !

« Dis-le, ce que tu comptes faire si t’es pas un lâche ! »

Alfred n’est pas un lâche.

— Ce que je compte faire ? murmure-t-il d’un ton enjoué. Oh ! pas grand-chose. Simplement raconter à mes clientes de quel gabarit qu’elle est, la tringlette à ton m’sieur Félix. Les bergères sur les bateaux, tu peux pas imaginer combien elles sont salaces. Elles pensent qu’à s’allonger, qu’à faire des expériences nouvelles avec les officiers, les mousses, les vieux beaux. Lorsque ça se saura, le phénoménal chinois de votre prof à la godille, il sera tellement assiégé par ces dames qu’il faudra mettre des chicanes devant sa cabine. Elles voudront toutes en tâter, du Félix. Elles enfonceront la porte au besoin ! T’as pas idée de ce que ça va être, Berthy ! Non, t’as pas idée…

Il sort, abandonnant le trio à une consternation unanime. Béru secoue sa bonne trogne d’homme gavé, troublé en pleine digestion.

— Et voilà, soupire-t-il : la fin d’une belle amitié. C’est pas pour dire, mais vous auriez pu mettre le verrou, bon Dieu, Félix ! Ça urgeait donc si tellement ?

Les musicos, dans le grand salon, usinent un tango célèbre avec des airs de songer à autre chose. Çui de la contrebasse à corde, surtout. Il aurait oublié de fermer le robinet de sa baignoire avant de partir qu’il ne serait pas davantage préoccupé. C’est pourtant bath, la musique, envoûteur. Pourquoi ceux qui l’interprètent ont-ils toujours des airs de se peler la prostate en jouant ? Les grands virtuoses et les chefs d’orchestre exceptés (qui eux, au contraire, arborent des frimes inspirées et gymnastiquent des frénésies), les instrumentistes ont des bouilles d’huissier en train… d’instrumenter.