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(Il écarte son veston et soulève le devant de sa chemise.)

— C’est pas beau, ça ? En comparaison, la chapelle Sixtine, c’est de la chose en bâton !

(Se laissant tomber dans un fauteuil.)

— Mais maintenant ça va changer, hélas. Lui aussi va péricliter ! O, mon ventre que j’aimais si fraternellement ! Mon compagnon de tous les bons instants ! C’est fini… Regarde !

(Il désigne le cadavre du Sud-Américain à son nombril.)

— Notre avenir gît là. Il va falloir faire faillite et perdre du poids !

Il se prend la tête à deux mains. Il serait bouddha, il se la prendrait à six mains tant est immense son accablement.

J’attire le Vieux dans le fond de la pièce.

— Dites, Patron…

— Oui, murmure le Vioque, je sais à quoi vous pensez : au chèque de Bérurier, n’est-ce pas ?

— En effet. Avant sa mort, le gros Argentin a cru acheter le navire et il l’a payé.

— Seulement la vente ne tient pas puisqu’il l’a acheté à un monsieur auquel le Mer d’Alors n’appartenait pas. Il s’agit d’une escroquerie aux yeux de la loi. Officiellement on enverrait Bérurier en prison et le marché serait déclaré caduc.

— Seulement comme l’acheteur est mort, il ne pourrait re signer un nouvel acte d’acquisition, non plus qu’un nouveau chèque.

L’arrivée de Béru et Pinaud met provisoirement un terme à nos divagations. Les joyeux compères coltinent une gigantesque malle dont le couvercle leur arrive à la poitrine.

— Vide, elle pèse déjà une tonne, gémit la Vieillasse. Il faudra que tu nous aides, San-A.

— Où avez-vous trouvé ce monument ?

— Dans une réserve, derrière la salle de cinéma.

L’union faisant la force, comme le disait si pertinemment quelqu’un dont je n’ai pas très bien retenu le nom, nous chargeons le cadavre d’A.B.E.P.A. dans la malle, puis celui de la belle hindoue. Ces funèbres opérations accomplies, nous nous rendons alors compte qu’il est impossible de transporter ce fardeau de coursive en coursive jusqu’à la morgue.

— Il faudrait un diable ! dit le Boss. Pourriez-vous nous en procurer un, Oscar ?

— Où voulez-vous que je le prenne ! Je ne suis pas porteur à la gare du Nord !

— Bougez pas, j’ai notre affaire, déclare aimablement Béru.

On dira ce qu’on voudra de lui, mais il est ingénieux par moments, le Balourd. En moins de deux (de deux quoi ? je me le suis toujours demandé), il a sorti de leur rail les portes coulissantes de la penderie. Ce sont de forts panneaux massifs munis de roulettes à leur partie supérieure.

— Aidez-moi à basculer la malle !

On suit les directives du contremaître. Bricoleur-né, la Gonfle a tôt fait de visser quatre roulettes à chaque angle de son immense coffiot.

— Et maintenant en route, décide-t-il.

Nous quittons les lieux du drame.

Les roulettes caoutchoutées ne grincent pas. On va poussivement le long des coursives. De temps à autre on croise des touristes qui se plaquent aux cloisons pour nous laisser passer.

— Je peux vous aider, messieurs ? s’inquiète un steward.

— Surtout pas, rebuffe le Gros, c’est ma collection de verre filé, je préfère la casser moi-même.

J’ai bien renouché le parcours avant de m’embarquer. Il existe un trajet discret qui nous permet d’accéder à un monte-charge réservé au service. Le hic, c’est que la cage d’icelui est juste aux dimensions de la malle. Nous devons donc fourrer cette dernière dans la cabine et descendre les quatre étages de ponts par l’escalier pour actionner l’appareil.

Naturellement, ma vélocité me permet d’arriver au pont-batterie le premier et j’ai le privilège d’appuyer sur le bouton d’appel.

A ma grande surprise, les voyants lumineux indiquant la position de l’ascenseur ne s’éclairent pas. Aurions-nous mal refermé la porte du monte-charge ? Furax, j’appuie violemment sur la pastille noire. Enfin les petits rectangles de verre s’éclairent l’un après l’autre, nous rendant compte de l’approche de notre colis. Un zonzonnement de mécanique bien stylée retentit. Boum ! La porte s’ouvre automatiquement.

— Et deux viandes froides, deux ! s’écrie Béru paré pour la réception.

Il demeure les bras ballants en voyant un gros costaud de Noir, vêtu d’un maillot cerclé, sortir de la cabine. L’homme coltine une caisse de bouteilles vides. Il est athlétique, luisant, tout en sourire.

— Hé dites, bredouille Pinaud, vous n’auriez pas aperçu une malle ?

— Excusez-moi ? lui demande le Noir.

— Une malle ! clame Bérurier, tu capito ? Undestand well ? Pigé, yes, mon pote ? Malle ! Bigouze malloche, grande commak ! Peinte en rouge ! Rosso, red ? Tu mords ce que je cause ! Même chose une caisse mon z’ami ! Y’a bon, grande caisse, Coffiot ! With roulettes ! Une box very mahousse ? Vu ? It is allritche ?

— De grâce, ne vous mettez pas dans un état pareil, monsieur, déclare le Noir, s’il s’agit de la forte malle qui encombrait le monte-charge, rassurez-vous, elle n’est pas perdue. Ignorant ce qu’elle faisait là, je l’ai tout bonnement retirée de la cabine et l’ai poussée contre le mur.

Il s’incline et s’éloigne sans s’être départi de son beau sourire.

— Bon, faut que je regrimpe charger ces messieurs-dames, lamente le Gros en gravissant l’escalier.

— Je vais t’aider, renchérit Pinaud en empruntant l’ascenseur, car il a l’esprit beaucoup plus vif que son ex-collègue.

— Y seront bien, ici, déclare Bérurier en essuyant le ruban intérieur de son chapeau ; si tu voudras mon avis, la morgue est plus confortable que le dortoir où qu’on nous a mis dormir.

Effectivement, l’endroit offre l’agrément d’une fraîcheur appréciable en cette matinée d’été méditerranéen.

Le Gravos montre les quatre immense bacs réfrigérés montés sur rail.

— C’est bien, mais ils sont pas outillés pour les épidémies. Encore deux meurtres et on affiche complet, faudra ensuite se rabattre sur le congélateur des cuisines.

Pinuche s’affaire sur les rabats de la malle qui semblent s’être coincés. Mais, patient comme un cruciverbiste ou comme une tricoteuse qui élèverait des petits chats, il vient à bout des deux ferrures. Il soulève le couvercle, émet un léger cri de poulet assommé et tombe assis simultanément sur le parquet et sur ses fesses en gousses d’ail.

— Ben, qu’est-ce qui t’arrive, César ! m’exclamé-je.

Sa moustache mitée ressemble à deux pinceaux qu’on aurait oublié de nettoyer à l’essence de térébenthine : elle est pleine de vilains grumeaux et de poils indisciplinés.

Pinaud émet une plainte d’oiseau nocturne.

— Yzi, yzi, yzi, yzi… couine-t-il lamentablement.

— Ben reste avec nous, Pépère ! lui lance Béru ; t’es en pleine méno, mon pote !

— Yzi, yzi, y z’y sont plus ! articule enfin la Viocharde.

On se regarde, Alexandre-Benoît et moi, comme vous regardez votre sœur lorsque votre beau-frère se met brusquement à uriner dans le piano.