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— Ah bien, acquiesce-t-il. Déjà un jour de passé et pas la moindre indication, donc, il y a de l’espoir…

Il se renverse sur la table en exhalant un soupir d’aise.

Je commence à me sentir de trop, aussi prends-je congé… Je garde de ma visite un curieux sentiment d’insatisfaction. Notez qu’il est fort possible que mon équipe de masseu (r) ses ait dit la vérité. Il a d’autres trucs en tête que des noms de ministres, Crins-Gris. Lorsque Mme Burton, par exemple, prend rendez-vous chez le pédicure, ce dernier n’est pas forcé de conclure qu’il s’agit de Liz Taylor. Alors la mère du Gazon se serait décommandée ? Pourtant, sa femme de chambre a dit au camarade Archimède qu’elle était partie « au masseur »…

Et puis il y a autre chose, mes chéries. Boff, un détail, mais qui ajoute à ma perplexité. Sur la page d’hier, les rendez-vous ont été notés à l’encre noire. Ceux d’aujourd’hui le sont au crayon bille vert. Vous me suivez ? Or, le nom de madame la ministresse a été biffé au crayon vert. Ça ne veut peut-être rien dire…

Mais ça veut peut-être dire qu’on ne l’a rayé de la liste que ce matin seulement.

— Je vais te dire, Alexandre-Benoît, je vais te dire bien honnêtement ce que je pense : ta voracité te perdra !

Ainsi s’exprime Pinaud lorsque je les rejoins dans ma cabine.

Le Mastar sifflote en regardant par le hublot, ce qui signifie « merde », comme chacun sait.

— Tu sembles en gros renaud, César ? remarqué-je.

La Vieillasse branle son chef vétuste.

— Il y a de quoi ! Ce goinfre a mangé mes empreintes !

Ça paraît sibyllin de prime abord, aussi sollicité-je un complément d’informations. Celles-ci fournies, il appert que Pinaud a relevé les empreintes dans l’appartement de l’Argentin à l’aide d’une pâte composée de farine et d’eau. Tandis que cette mixture séchait, Bérurier l’a mangée. Il s’en explique :

— J’pouvais-t-il savoir de quoi t’est-ce il s’agissait ? J’ai cru qu’on préparait des beignets ou quèque chose d’assimilaire.

— Et alors ! s’insurge le Débris, on les mange crus, les beignets ?

— On peut, la preuve ! déclare le Placide sans se retourner.

— Bref, tu es obligé de tout recommencer ? je demande au Bêlant.

— Impossible ! Cette farine sur les murs, sur les meubles, fallait bien que je l’essuie.

— Si bien que tu as effacé également les empreintes. Beau travail en effet !

Mais le Gros ne s’émeut pas.

On arrive à Malaga, répond-il. J’ai hâte de goûter le pinard qu’on cause tant. D’accord, il est sucré, mais justement : le vin sucré donne soif ! C’est tout bénéfice.

Puis, se retournant :

— Vous cassez donc pas le tronc pour vos conneries d’empreintes qu’elles eussent seulement servi à rien. Je vais te vous le démasquer, moi, le meurtrier-assassin, et avant ce soir, encore !

Comme nous nous exclamons, il sourit.

— Vous pensez pas qu’une fois promulgué grand Dirlo de cette compagnie, je vais tolérer des tueurs criminels à mon bord ? Laissez un peu que j’aie les pleins pouvoirs, mes mecs, et vous verrez du jamais vu.

17

Du jamais vu. De l’époustouflant. De la graine d’incrédulité, de la semence de doute, du pittoresque, c’est la cabine du chef masseur, mes amis. Hanne, qu’il s’appelle, l’homme aux cheveux gris. Vous allez dire que je m’acharne bien vite sur pas grand-chose, ce à quoi je vous répondrai poliment que dans notre situation impensable, on se fait les ratiches sur le premier os venu, en espérant y trouver de la moelle.

Est-ce que, malgré ses mines évaporées, son rouge à lèvres, ses faux cils et sa grosse Raymonde ce serait un Barbe-Bleue, le masseur Hanne, par hasard ? Toujours est-il que je me suis documenté sur le numéro de sa cabine et que m’y voici introduit en loucedé pendant que toute la gent passagère se masse sur le pont pour assister à l’inoubliable arrivée dans le port de Malaga.

Donc, la cabine de mon masseur Hanne relève du surréalisme le plus frénétique, le plus ésotérique, le plus impensable. Thème général ? La mythologie, comme en bas, dans le box de massage. Les murs sont entièrement tapissées de gravures représentant les multiples héros grecs campés dans les postures légendaires de leurs plus fameux exploits : Cronos dévorant ses enfants ; Prométhée se faisant traiter ses insuffisances hépatiques par son vautour ; Eurydice mordue par une vipère… etc. Et il n’y a pas que les gravures, mes choutes. C’est truffé de statues de toutes tailles. On en voit plein sur les meubles et par terre. Des grandes, des petites, des minuscules… Y a des bouquins aussi dans les penderies. Des piles entières. Il navigue avec sa documentation complète, le mythologue-embrocateur. Il sait tout sur l’enlèvement de Cerbère aux enfers, sur les amours d’Agamemnon et de Clytemnestre, sur le coup fourré du bourrin de Troie. Incollable, il a dû devenir, en mythologie. Tu lui cries Dionysos, il te répond Bacchus. Bellemare et sa bague se l’arracheraient pour une émission télochée. C’est une aubaine, un frère pareil, de nos jours où la science devient numéro de music-hall. On le retrouvera un jour sur la scène de l’Olympia (et pour cause) en vedette amerlock. Hanne dans son numéro mythologique.

Je furète, je musarde, j’explore et je tombe sur un carton bourré de photographies miraculeuses. Oh, mince, elles sont trop chouettes, faut qu’Albert Dubout me fasse un dessin de la chose. Ce sera bien plus mieux éloquent qu’une photo, une illustration, hein, Albert ? Je décris la plus croustillante pour fournir la matière première à mon illustre illustrateur. Ça représente Hanne en Dieu Mars, coiffé d’un casque pareil à un autobus anglishe. Ma grand-mère avait beau me seriner qu’en mars et en avril faut pas se défaire d’un fil, il est à poil complet, Hanne. Son bitos excepté, il n’a pour tout vêtement, et encore faut y regarder à deux fois, qu’un morceau de sparadrap pour colmater un bouton à la fesse. Il est à dada sur devinez quoi donc ? Un centaure, mes amis ! Un authentique, en chair et en os, même que c’est Raymond qui compose la partie antérieure de l’animal, coiffé d’un bonnet d’âne et les bras emprisonnés sous un collant. Un troisième monsieur que j’ai pas l’honneur de connaître fait la partie postérieure.

D’ailleurs, sauf s’il s’agissait de m’sieur Félix, on pourrait pas le reconnaître puisqu’on ne lui voit pas la tête, mais seulement le dargibus, les sœurs siamoises et le balancier perpétuel. On l’a doté d’une queue de cheval pour qu’il ait l’air plus authentique, le camarade aux masseurs-mythologues. C’est sûrement pas la première qu’on lui met au train s’il fait partie de l’intimité de ces messieurs-dames.

Non, mais vous mordez le topo ? Dubout vous représentera p’t-être pas l’intégralité de la chose pour pas qu’on soye censurés, mais vous n’aurez qu’à l’imaginer, la replacer dans son contexte initial, comme dit tout le monde à propos de n’importe quoi.

Il a la Légion d’honneur, Dubout. Il est dans le dictionnaire, y a des trucs qu’il peut plus se permettre. Notez qu’on ne fait pas de mal ! On ne pernice pas. Nos zœuvres ne reniflent pas l’alcôve mal aérée. On est Gaulois, simplement. Français, en somme. On traditionne pour lutter contre le vice et la vie chère. On carabine ! On troisorfèvre ! C’est pas toujours très saint, mais ça reste sain. Y a de la terre labourée dans ce qu’on fait. De la bonne gaudriole forte en cuisses ! La petite masturbe qui aboutit à un duvet, on ignore. C’est pas notre genre ; on aime trop le jambon de pays, Dubout et moi. On est trop de notre province. La preuve : Dubout il se paie le luxe d’avoir encore l’accent du Midi ! On préfère la Tour de Nesle aux ténébreux boudoirs de la Montespan. Marguerite de Bourgogne, c’est davantage notre genre, hein, Albert ? Surtout qu’on sait nager ! Et qu’on a plus d’une tour de Nesle dans notre sac !