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Sur le port, une horloge espagnole égrène cinq coups. Tiens : elle n’est pas d’accord avec ma montre.

Je me mets à gamberger sérieusement, mes agnelles. Un vrai jeu de construction s’élabore, sous ma coiffe. Un de ces édifices fragiles qu’on ne peut pas achever si on ne se retient pas de respirer.

Je pense à l’impression bizarroïde que j’ai éprouvée tout à l’heure, en reprenant conscience. Le sentiment curieux d’avoir fait un long rêve mais de ne plus me rappeler ce à quoi je venais de rêver…

– Ça n’a pas l’air d’aller très fort ? observe Métis dont les talons clapotent près de moi sur les pavés disjoints du port.

Au contraire, mon amour, le jour se lève dans ma belle tête d’intellectuel.

20

L’image de la poule ayant couvé des œufs de cane, elle restera valable encore un bout de temps, les gars ! Côté métaphores, on renouvelle pas souvent le cheptel chez les littératés. On prend les mêmes et on continue. Ils se sont accaparé une bonne chiée d’expressions frappantes, les ont gravées dans le marbre et s’en servent plus souvent que de leurs épouses. Y se cassent pas, les littératons ; font leur nid dans la prose des grands devanciers en se contentant de cacater autour leur petite sauce à grumeaux. Leur Littré-rature, c’est une béchamelle plâtreuse sur des beaux restes refroidis. Un salmigondis d’adjectifs et de verbes hachés menus, bien concordants pour être plus digestes. Du rata raté, du taratata, du cocorico cacateux. C’est bien simple, j’arrive plus à lire. Même moi, je m’insupporte, je reste trop docile, trop freiné, trop soumis, mes griffes passent chez la manucure et mes ailes au massicot. Mes écrits, à force, ne sont que le squelette bossu de mes pensées. Je me fais honte de mal oser. J’ai bon fond, notez, seulement, je ne suis pas une fréquentation pour moi. Un jour je crèverai sur le monceau de fœtus de mes belles intentions et nous pourrirons ensemble, elles et moi. On deviendra plus qu’un même fumier. Vivement ! Mon inutilité m’abîme et je m’abîme en elle. A ne pas tout dire on en dit trop ! Si t’élimines toutes les bavures et les baverasseries, y te restera peaudezobe, mon pote, de tes San-Antonios. Si : un peu de vent. Mais quoi, le vent c’est notre père nourricier à tous. Il est plein de graines, c’est ce qui réconforte. Grâce à lui, y a des cocotiers sur les atolls. Que ma semence s’envole donc avec celle des végétaux qui traversent des mers, et des intestins d’oiseaux parfois, pour s’accomplir.

Hector, je vous jure, on dirait franco une poule qui a couvé, etc. Et qui regarde appareiller ses canetons (de Navarone) sur la mare. Il tournique près de la passerelle, les mains aux dos, le nez affligé d’un tic, le regard braisé, s’arrêtant parfois pour regarder quelqu’un sous le pif, crûment, hargneusement. Il mate n’importe qui, le cousin : un mataf, une passagère, un fonctionnaire du port. On dirait qu’il a pris sa température à l’aide d’un cigare allumé et qu’il est en train de se demander comment il va faire pour s’asseoir dorénavant.

Je m’annonce derrière lui et tapote son épaule. Sa volte est fulgurante.

— Oh, ciel merci, c’est toi ! Je t’attendais…

— C’est gentil de me le dire avec tant de fougue, Totor.

— Ne ris pas, c’est grave.

J’adresse un geste d’excuse à la bioutifoule rouquinette et je cède au désir d’aparté de mon parent et presque confrère.

— Regarde, fait Hector en me présentant une feuille de papier à en-tête de la compagnie Pacqsif.

Quelques lignes y sont tracées.

— Tu reconnais l’écriture ?

— Tu parles, comme s’il s’agissait de la mienne, c’est celle du Vieux.

— Lis !

L’invite survient trop tard, mon œil de faucon a déjà parcouru le message. Je vous le livre in extenso, puisque vous lisez le latin :

Venez immédiatement me rejoindre dans ma cabine, j’ai DU NOUVEAU[19].

— Alors ? m’enquiers-je.

— Ecoute-moi, Antoine, écoute-moi bien, chaque syllabe a son importance. Je me trouvais ici, à contrôler le va-et-vient sur la passerelle lorsqu’un mousse m’a apporté ce poulet. Immédiatement je me suis rendu à la cabine de ton directeur. Celle-ci était vide. J’ai attendu un peu, puis, ne le voyant pas revenir je me suis lancé à sa recherche.

Je l’arrête de la main et de la voix.

— Ne me dis pas qu’il a disparu, lui aussi !

— Si. Antoine, si : il a disparu.

La première réaction de l’homme à l’annonce d’une catastrophe, c’est l’incrédulité. Son instinct le pousse à refuser ce qui lui est désagréable. Sa seconde réaction, c’est l’oubli. Lorsque l’homme s’est rendu à l’évidence, bien persuadé de la réalité de ses déboires, il entreprend de les oublier. Entre les deux se situe une période plutôt stagnante, contemplative même, au cours de laquelle, mine de rien, il s’organise.

Ainsi le gars mézigue, en apprenant cette nouvelle, que fait-il ? Il va s’accouder au bastingage et il regarde le port coloré. Il hume les senteurs opiacées qui lui chancetiquent l’olfactif. Il se dit que c’est beau, Malaga, avec ses ruines mauresques, ses bateaux de couleur, son soleil…

— Je ne sais pas si tu m’as bien entendu, s’effare Hector.

— Mais oui, Hector, je t’ai parfaitement entendu : le grand patron de la police parisienne a disparu à bord du Mer d’Alors !

— Insensé, non ? Stupéfiant !

— Pas plus insensé, ni davantage stupéfiant que les autres disparitions. Achille est un homme comme les autres, Hector : à preuve !

— Tu as une façon de prendre les choses, toi ! grommelle le directeur de la Pinaudaire Agency, on dirait que tu t’en fous !

— Je ne m’en fous pas, je tente seulement de rester centralisé. Dans ces cas-là, il ne faut absolument pas se disperser.

— Y aurait pourtant de quoi partir en lambeaux, se déguiser en nuage radioactif, non ?

Je lui écrabouillé le lyrisme d’un brutal : « La ferme ! » qui ferait se claquemurer une huître.

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19

Du nouveau est écrit en majuscules sur l’original.