Il arrache un coussin du sofa, s’en tamponne la sueur frontale et le plaque contre son ventre épanoui.
— Je ne peux plus vous la dissimuler plus longtemps, messieurs. Le bonheur, ça se montre ! Ça se met en vitrine sous rampes de néon. Venez !
Il nous fait lever du geste. Nous guide dans son dédale de glaces et de raretés. On passe dans la chambre, une pièce immense qui mesure soixante centimètres de plus que la largeur du bateau, ce qui vous explique ce léger renflement, cette géométrique protubérance à tribord.
Il chuchote, attendri.
— L’amour, la royale, la folie, la rose ! Elle s’ablutionne ! Avez-vous déjà vu une nymphe, messieurs ? Une sirène à jambes ? Une déesse ? Savez-vous ce que c’est qu’une femme ? Non ? Alors venez voir, messieurs. Discrètement. Pillez mon trésor d’un coup d’œil, sans le souiller d’un regard. Admirez ma joie charnelle sur pied ! Constatez mes transports ! Comprenez mon lyrisme.
Ces banalités étant dites, il ouvre légèrement la porte. Je ne vous redécris pas la salle de bains, l’ayant sommairement brossée (je n’avais pas d’éponge sous la main) à quelques pages de là, laissez-moi simplement préciser qu’une fille s’y trouve. Nue, ce qui n’est pas gênant puisqu’elle est ravissante. Or, cette fille, tenez-vous bien, et, au besoin, retenez-moi, n’est autre que Camille. Vous savez ? La petite pétroleuse au magnétophone que j’ai déguisée en Belle-au-Bois-dormant dans l’auberge de mon pote Narcisse.
22
Prenez un permis de chasse et chassez le Naturel, mes drôles. Vous pourrez constater qu’en effet il revient au galop.
Ainsi, je prends le cousin Hector. Sous ses nouvelles mines d’affranchi, ses airs d’énervé, son petit côté casseur d’assiette habillé par Cardin, il est resté pudibond dans ses intimes profondeurs. Sa période de fonctionnariat l’a tout de même marqué. C’est indélébile comme du crayon à bille sur le pelage d’un toutou blanc, ces choses-là. Trop d’années de brimades, d’échine arquée, de tisanes mal sucrées, de craintes professionnelles, de costars râpés, de virginité mal contrôlée, de petites jalousies, de gouttes nasales, d’acquiescements inconsidérés, de regards torves, de lustrine, de cocottes en papier bristol, d’onction, de notions et d’espoir de promotion. On ne fait pas pendant des lustres l’amour avec Cadum ou Monsavon sans conserver des stigmates, des effarouchements.
Quand il aperçoit miss Camille en train de s’arrimer un soutien-loloches noir (elle n’a qu’un sein d’enfourné, ça la fait ressembler à l’amoché d’Ayan) il tourne bride, le cousin. Aussi sec. A bout de tolérance vis-à-vis de l’olibrius qui l’a engagé et lui impose ses turpitudes. Il fait « Ooooh ! » et il se casse d’un élan fougueux, renversant même une chaise Directoire dans sa retraite indignée.
Tout à son extase, Gaumixte ne s’en rend seulement pas compte.
— Hein ? Hein ? il me trépigne après avoir relourdé. C’est pas du sujet surchoix, mirifique ? Vous la reconnaissez ? La nièce de mon bon, de mon cher, de mon estimé Achille ! Une saveur, un velouté, une science intuitive de l’amour. L’électricité déguisée en femme ! Je l’aime ! Je la vénère ! Je me prosterne à ses pieds ! Je baise ses ongles laqués. Je lèche ses chevilles, ses mollets, ses genoux… Ah la vertigineuse ascension ! L’éblouissement de mes jours ! Le grand soleil de ma vie, sa fontaine lumineuse, son Versailles, son gaullisme, sa saveur ! Son spasme ! Je veux demander sa main à Achille ! Lui annoncer que déjà j’ai mis le pied dans sa famille ! J’ai hâte de le serrer dans mes bras, de l’appeler Tonton ! Vous avez vu, ce corps, dites ? Ces cuisses, ces seins, ces hanches ! Vous voulez regarder encore ? Juste un petit coup, à la voyouse, à la voyeuse ?
— Pas la peine, coupé-je froidement, je connais déjà, je me la suis cognée bien avant vous, mon bon Gaumixte, et le soi-disant oncle Achille bien avant moi.
— Menteur ! Gredin ! Crapaud baveur ! Fiente putride ! hurle l’armateur, vous serez châtié ! Je vous traduirai devant les tribunaux pour diffamation. Comment osez-vous !
Ses éclats attirent la môme qui passe une tête inquiète dans l’encadrement de la lourde, m’avise et rugit.
— Ah te voilà, toi, mon salaud !
Elle bondit, en soutien-chplotz, mais sans culotte, pour me gifler.
— Tu me la copieras, espèce de butor ! Sagouin ! Partir sans me réveiller ! J’ai dû prendre un avion pour rattraper le bateau à l’escale de Malaga. Tu m’avais administré un somnifère, je parie ! Je n’ai pas l’habitude de pioncer comme douze gendarmes, moi ! Tu me le rembourseras, mon billet, sale mufle !
J’ai paré la tarte d’une légère manchette. Ecartée la panthère et je fais front à Oscar.
— Alors ? lui dis-je en goguenardant.
Il connaît ses classiques, le baladeur de feignasses. Le voici qui recule d’un pas, qui porte la main droite à sa poitrine :
— Percé jusque z’au fond du cœur d’une atteinte imprévue aussi bien que mortelle, attaque-t-il.
Il s’arrête, ses yeux s’arrondissent, s’affûtent, me dardent.
— Et Achille aussi ? demande Gaumixte.
— Achille aussi ! Mademoiselle joue de l’homme comme d’autres du xylophone.
— Son oncle ! Elle fornique avec ce vilain bouc sans poils ! Elle pratique l’inceste sous ce chauve sénile ? Elle : se livre aux bas instincts de ce dindon redondant ? Elle s’abandonne aux fausses ardeurs de ce hardeur ? Elle se soumet, le cher ange, aux salacités de ce quasi-vieillard ? Elle subit les charges dérisoires de cet imberbe ? Elle se laisse profaner par cet hérétique ? Elle accepte les souillures de ce goret faisandé ? Elle héberge les lamentables attributs de ce chef flic ? Elle consent aux attouchements de ce taste-chair ? Elle ne s’insurge pas contre les abominables connections, les dépravations et les déprédations de ce vieux misérable en transe, contre ses chaleurs de refroidi, contre ses entreprises flasques ? Elle peut tolérer le gluant et le rance, belle comme je la vois là ? Elle joue les tantes avec son oncle, cette illumination de l’aube ? Cette floraison du printemps ? Cette source murmurante à laquelle j’abreuve ma quarantaine passée ? Cette eau miraculeuse dans laquelle je deviens pareil à une lame de Tolède ? Cette princesse que sa nudité habille mieux que l’hermine ? Non, non ! Mille, cent mille, trois cents milliards de millions de fois non ! Je ne veux pas ! Je refuse ! Je tuerai le malpropre ! L’émasculerai d’un coup de hachoir ! Lui ferai bouffer ses génitoires. Rayerai sa qualité de masculin sur ses papiers.