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Or donc, la mienne s’écarte et nous découvrons le visage sévère de Ross.

— Peut-être troublé-je un flirt ? dit-il (galamment, car il m’a très bien entendu traiter Camille de pétasse). Mais je suis porteur, hélas, d’une autre mauvaise nouvelle, sir.

Il dégage à nouveau sa glotte proéminente.

J’ai le vif regret de vous apprendre, sir, que monsieur votre cousin est dans le coma.

24

En homme pondéré, Ross a prévenu le médecin du bord avant moi si bien qu’il est déjà au chevet d’Hector au moment où je me pointe dans la cabine d’icelui.

Les événements se précipitent, hein, mes gueux ? Dans quelle direction ? That is the question, comme le disait y a pas si longtemps Lord Rance Olivier dans Toubib or not Toubib, ce vaudeville bien connu de mon regretté camarade William.

— Que lui est-il arrivé ? Un accident ? bredouillé-je (eh oui) en poussant la porte.

Le docteur, c’est un gros, encore jeune ou pas tellement vieux, au choix, avec des cheveux blond-blanc, un teint rose, des joues lisses, et l’œil candide.

— Suicide, me dit-il en me désignant deux bouteilles de Couillagaz au fond de la cabine.

Je n’en crois pas mes oreilles et encore moins mes yeux.

— Un suicide ! Vous plaisantez !

— Jamais pendant le travail, riposte l’homme de l’art (quand il soigne Béru, il devient l’homme de lard).

« Cet imbécile, usant de ses prérogatives de détective du bord, s’est fait apporter deux bouteilles de Couillagaz, il a bloqué le système d’aération de la cabine et les a ouvertes en grand.

« Heureusement, continue le médecin, comme vous le savez sûrement, le Couillagaz est un dérivé du Burnium de Bitembard, par conséquent, il n’est nocif que lorsqu’il est respiré en grosses quantités. Je crois qu’il en réchappera assez facilement.

Que Dieu l’entende ! En tout cas il a pas la fraîcheur de la laitue nouvellement cueillie, Totor ! Sa pâleur serait cireuse si je ne répugnais à user d’épithètes par trop conventionnelles (comme dirait Robespierre). Son souffle est aussi embarrassé qu’un paysan en velours côtelé au foyer de l’Opéra et il a les yeux à moitié fermés (ou à demi ouverts, selon que vous soyez optimiste ou pessimiste).

— Hector, je murmure en me penchant sur sa couche de misère, c’est Antoine, tu m’entends, vieille noix ?

Il gargouille de la trémolette.

— Laissez-le se remettre, que diable, rouspète le docteur. J’attends mon assistant pour lui administrer une piqûre de Zobembranche Vitaminé, je lui ferai également un petit peu de Palpitoche du Père Boulognus pour soutenir son cœur.

Comme il achève ces mots, l’assistant se pointe. C’est un jeune et beau garçon, affublé de lunettes teintées. Il est très brun, très élégant, mais sa démarche le laisse à désirer par les ceuss qui raffolent du minet à bascule. Vous allez dire que ce barlu en est plein, mais je vous parie une pile électrique contre un face à main que cet éphèbe popotine du tralala à ne plus savoir sur quoi s’asseoir. C’est vraiment la grande série qu’on a touchée, pour cette croisière, dites ! Le ministre, les masseurs, et voilà maintenant le mignon assistant…

Pas aimable, il m’écarte du coude, sans un mot.

Pourquoi ai-je l’impression de connaître cézigue ? J’ai dû le rencontrer déjà sur le Mer d’Alors vu que sa dégaine me balbutie quèque chose.

— Vous êtes certain de le tirer de ce mauvais pas, docteur ? insisté-je.

— Pratiquement, oui… Je vais le faire emmener à l’infirmerie et je compléterai mes soins par un traitement au Tayepip fumigène.

Bref, je ne peux provisoirement rien pour Totor. Que lui est-il arrivé, au bon cousin, pour qu’il attente brusquement à ses jours ? Est-ce la faillite de son enquête qui lui a porté le coup de buis fatal ? Je me perds en conjectures, comme disait cette Marie-Couche-Toi-Là lorsque qu’elle s’était retrouvée en sainte.

Là-haut, la sirène hulule joyeusement pour annoncer la décarrade. Y a du grondement dans les entrailles du pas que beau.

J’espère que mon petit peuple est rentré à bord et qu’on n’enregistre aucune nouvelle disparition. Maintenant je commence à me cailler la laitance pour Félicie et pour mes potes. Le Vieux escamoté, vous parlez d’un bigntz ! Moi assommé à terre ! La môme Camille réapparaissant à bord ! Hector qui essaie de se gommer l’extrait de naissance… Ah ! mes amis, on s’en souviendra de la Croisière du Mer d’Alors. Que d’événements ! Que d’action dans cet ouvrage généreux. Que de personnages bizarres ! Vous vous rendez compte du travail que ça représente ? Pour le prix, vous êtes gâtées, mes chattes !

Repassant par ma cabine, je constate que Camille n’a pas attendu mon retour. Je vous parie la vie du Curé d’Ars contre l’avis de votre médecin traitant qu’elle est retournée se mettre sous la protection de Gaumixte.

En attendant de la réalpaguer, je passe voir M’man. Elle est de retour. Je la trouve en train de raconter le Petit Chaperon Rouge à Marie-Marie qui fait semblant de s’y intéresser. Quand on est la nièce de Bérurier, les contes de Pet Rot, vous parlez si on s’en tamponne le coccyx avec une cuiller de bois.

— Ah ! te voilà, mon chéri, s’exclame M’man, où étais-tu passé, on ne t’a plus revu à la corrida…

— J’ai raccompagné la jeune femme souffrante à bord, éludé-je.

J’explique à ma chère femme de mother ce qui vient de se passer avec le Boss, puis avec Hector.

— Mon Dieu, Jésus ! s’exclame M’man, pourquoi Hector a-t-il commis cette folie ! Je vais rester à son chevet…

— Exactement ce que je venais te prier de faire, ma vieille chérie, j’aimerais que tu le confesses lorsqu’il retrouvera ses esprits.

— Compte sur moi !

— Autre chose, M’man : je voudrais que tu ailles à l’infirmerie avec Marie-Marie et Mme Pinuche. A partir de maintenant, personne de notre groupe ne doit demeurer seul.

— Tu penses que le danger nous menace aussi ? questionne gravement ma brave daronne.

— La preuve ! Alors pas d’imprudence. On s’encorde, on ne se lâche plus.

Ayant recueilli sa promesse, je fonce chez Béru.

— Alors c’est bien compris ? déclare le Gros. Vous dites au chef de laisser cuire une paire d’heures dans un court-bouillon. Moitié vin blanc sec, moitié flotte. Un filet de vinaigre, du sel, du poivre et un beau chou bien pommé, jockey ?

— Certainement, monsieur, mais je doute que ce soit très bon, répond le maître d’hôtel que le Gros a convoqué dans sa cabine.

— Tes doutes, je me les colle à l’oigne, mon pote, rétorque le Puissant. Et à ce propos, ajoute au chef qu’il flanque justement une grosse poignée d’oignons dans son court-bouillon.

Le maître d’hôtel sort en tenant à distance maximale de ses vêtements deux oreilles et une queue de taureau encore sanguinolentes.

Bérurier se tourne vers nous.

— Franchement, dit-il, je promets pas que ça soye un régal, mais faut en avoir le cœur net, non ? De toute manière, je réponds du bouillon !

L’ayant laissé conclure son chapitre gastronomique, je prends la parole pour faire un nouveau résumé des récents événements. Ces messieurs m’écoutent sans m’interrompre. Mais, lorsque j’en ai terminé, des larmes perlent aux cils de Pinaud et du Gros.