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— Occupe-toi de tante Berthe ! enjoins-je à Marie-Marie, guide-la à l’infirmerie !

Je soulève Raymond, saisis sa main de masseur et l’entraîne vers le sauna voisin. Un petit coup d’étuvée achèvera de le mettre à merci.

— Merci, merci, bredouille-t-il, précisément. Ah, heureusement que vous êtes venu. Mais qu’est-ce que vous faites ?

La porte du sauna résiste, bloquée. Je l’enfonce d’un coup d’épaule. Le thermomètre extérieur indique cent dix degrés. Tu parles qu’il s’est déréglé, l’appareil, sous les coups de boutoir de la « Mes dix terres années ».

— Entre !

— Quoi !

Un coup de genou dans les meules le fait simultanément avancer et glousser de plaisir.

— Herrraou, orgasme le masseur.

Aussitôt, il a un autre cri, du genre hurlement démoniaque, si vous voyez ce que je veux dire ? On se croirait dans un film d’épouvante, quand l’héroïne découvre que son mari est un méchant vampire et qu’elle le surprend en train de se préparer un cocktail avec le sang de la femme de chambre.

Alerté, je mate. Et qu’est-ce qu’il aperçoit, votre cher San-Antonio, mes colombes ?

On se le dit ?

Allez, merde : on se le dit !

Le Vieux, mes amis !

Le Vieux ! Encore en personne, mais si peu, car il a perdu connaissance et maigri d’au moins quinze kilogrammes.

Il n’est pas seul à baigner dans sa mare de sueur, Pépère. Le chef masseur, Hanne, est là aussi ; complètement à loilpé, lui, alors que mon vénéré boss est torse nu. Sa chemise et son beau blazer blanc gisent sur le lattage du sauna. Sans doute, aux premières moches atteintes de la fournaise, s’est-il un peu déloqué afin d’avoir moins chaud ?

En voyant son copain raide comme barre, Raymond pousse une clameur atroce.

— Mon aimé ! Mon aimé ! Il vagit en lui sautant dessus.

Je le ramène aux réalités d’un coup de saton dans le prosibus.

— La scène des lamentations, ce sera pour plus tard, mon pote, faut d’abord les évacuer à l’infirmerie. M’est avis qu’ils ont pris un fameux coup de chaleur !

On rameute du personnel. En période de tempête, ça ne court pas les coursives, le personnel de bord, croyez-le. Il se claquemure, mobilise les gogues, accapare les ceintures de sauvetage, en fait des monstres provisions, de quoi se construire des radeaux médusables. Il est plus bonnard pour le service stylé du prospectus, le personnel. Le somptueux pourliche quitte son horizon. Il pense à son salut, pas forcément à l’éternel, mais à l’autre, à l’immédiat, au mesquin, le plus urgent en somme !

A force de carillonner, gueuler, exaspérer, brandir des fourches et des menaces, on finit par mobiliser trois matafs qui draguent dans les pourtours. Tous ensemble, on emmène messieurs les exsudeurs rejoindre Hector à l’infirmerie. D’ici un peu moins de pas longtemps on affichera complet, c’est couru. Le toubib, mandé d’extrême urgence, leur fait de l’oxygène en veux-tu en voilà, aux malheureux. Puis il les oint d’une pommade à base de foutrium pour leur atténuer les brûlures causées par la vapeur. Son diagnostic est réservé.

Il ose pas trop se prononcer, ignorant si les poumons ont cramé ou pas. Des cas aussi rarissimes échappent à sa compétence. C’est la première fois qu’il soigne des gus foudroyés par un excès de sauna.

Vous verriez le Vieux, dans son plumard, la tronche grosse comme un poing, les joues creusées, la peau blette, ça vous rognerait les angles du cœur, mes sagoins. On le croirait de retour de Buchenwald, Achille. Il fait tête de nœud, ainsi. Ça lui a dilué le standinge de maigrir en bloc. Ça l’a racorni, mesquinisé.

Pendant qu’on le traite, j’inventorie la fouille intérieure du blazer. Le chèque s’y trouve, de même que le contrat. Je les empoche. A cet instant, tenez-vous bien : la porte s’ouvre sur l’assistant. Il est tout verdâtre, le mignon. C’est sa première tempête, au chéri. Il en a le palpitant chiffonné, biquet ! Le cheveu collé aux tempes, l’œil évasif.

— Il paraît qu’il y a des nouveaux ? bredouille-t-il en pénétrant.

Il voit Raymond, prostré devant le lit d’Hanne. Un changement s’opère dans sa personne. Le voilà qui se précipite.

Mars ! crie-t-il, Mars ! Mon Dieu !

C’est, pour moi, ce que les spécialistes de la grande, de la belle, de la vraie littérature, couronnée et homologuée, appelleraient « un trait de lumière ».

Ce cri ! Ce nom ! Cet élan !

Je le reconnais, l’assistant. Je sais enfin où on s’est vu.

En effet, y a pas longtemps ; pas longtemps du tout, mes navets creux.

Ce charmant jeune homme, en effet, n’est autre que Métis, la belle rousse qui m’a si habilement « levé » tantôt à la corrida !

29

Écoutez, franchement, y a tellement de rebondissements dans ce livre qu’on le dirait en caoutchouc. Si j’avais les moyens, je l’acheterais pour pouvoir le relire a tête reposée. Vous savez ce que c’est, le métier de sous-auteur ? On tartine, on gribouille, on ne fait pas gaffe ! On accumule les pages ! On compte les signes. On en rajoute pour se mettre bien avec l’éditeur. Lui prouver qu’il n’est pas tombe sur un feignant, qu’il a touche la belle pondeuse, la bresse noire au fion généreux ? Le distributeur fonctionnant au quart de poil ! On va de l’avant, on pédale en force, en trombe ! On se vide comme une chasse d’eau ! On va se perdre dans des fosses cachées. On se répand. On se déglaire. On s’agite le bocal pour lui faire pleuvoir des adjectifs. On revient sur ses touches pour concorder un verbe et un sujet récalcitrant. Seulement, dans toute cette effervescence on a pas le temps de déguster ce qu’on secrète. On est comme le ver a soie ; impossible de s’admirer le cocon puisqu’on en est prisonnier. Sans compter le cote mécanique, la chionis de carbone, les rubans perfides, les rouages vicelards qui déclarent forfait au beau mitan d’une envolée fougueuse. Juste comme ton héros est en train de pousser la porte pour entrer, crac, la panne ! Ton chariot se bloque ! Ou bien, pour les perfectionnes qui marnent sur IBM. Electrique, c’est la petite boule qu’a des hoquets. T’obtiens du texte tout tremble, tout foireux, incertain, palichon, et du coup la médiocrité du style te crache a la figure. Mais ce livre, faudra que je m’arrange pour me l’offrir. J’y tiens. Ça sera mon cadeau d’anniversaire, mon jubile, ma récompense, ma prime a la diurétique. Je me cotiserai. J’irai chialer chez les libraires pour qu’ils me pourcentent. Me ferai reconnaître d’eux. Je l’aurai, j’suis tenace. Si nécessaire je vendrai ma montre. J’emprunterai, moi qu’ai horreur. (J’ai tellement honte d’emprunter que j’ose pas rendre.) Je ferai des ménages, si besoin hait. Je laverai des voitures. Je troncherai des vieilles dames riches. Me ferai maître d’école ou mettre des colles. Embourber, s’il faut. Je l’obtiendrai, je vous dis. Le veux chez moi, en bonne place, que je puisse vanner et pavaner à mon tour, comme les autres, le brandir, mon San-Antonio. Montrer que moi aussi, j’suis a la page et fin lettré. Et puis le lire. Biffer les répétitions et souligner de rouge le peu qu’il restera. Apprendre des tirades par cœur pour les réciter aux jeunesses a la place d’Albert Samain ou de François Coopé (rative). Tiens, sans m’avoir relu, je peux déjà vous dire que dans ce bouquin, un personnage que j’aime bien, c’est Gaumixte ; sa dinguerie, son parler outrancier, son délire. M’sieur Félix aussi, à sa manière, dans les nouveaux venus de mon cheptel. Enfin bref, égoïstes comme je vous sais, tout ça vous vous en foutez, hein, mes vaches ? Qu’il aboule seulement son histoire, San-A. Ses coups de théâtre et ses calembredaines. Pour ce qui est de ses états d’âme, il peut se les enfoncer dans le rectum de l’univers cité avec un maillet, bien enduits de vaseline. Les laxatifs, c’est chez le pharmago que vous les achetez, pas chez le marchand de polars. D’accord, je continue. Vous finirez par m’exténuer, a force d’en redemander toujours. Ma cervelle fera la colle un jour. Elle me degoulinera en morve, je pressens. J’écrirai avec une canne blanche, dans la neige, des trucs qui ne voudront plus rien dire pour les autres. Tant pis : ma générosité m’aura perdu, je me serai noyé dans mon abondance. Amen !