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— Ben quoi, au lieu de faire tout ce circus, t’aurais pu simplement dire à la petite de venir chez toi, Oscar ! remarque, non sans un certain poil de pertinence, l’honorable Camille ! Ah dis donc, toi alors, tu comptes les pattes des moutons et tu divises par quatre, mon Gros !

Il s’insurge.

— Ne dis pas cela, éclaboussement de la nature ! Perle des mers du sud ! Chant matinal des oiseaux ! J’avais besoin de la prendre dans son climat, dans ses odeurs, mon désir était si arachnéen, si ténu…

— Ben et moi donc, tu m’as bien amenée dans ton appartement pour m’aimer !

Gaumixte bondit, crache du tabac et de la vapeur.

— Toi ! Toi, horizon céleste ! Toi, parfum de l’Arabie Séoudite, de l’Irak, de l’Iran et de tout le golfe Persique réunis, toi, je vais te dire… Toi, Camille : c’est toi ! Il n’y en a pas eu d’autres, il n’y en aura plus d’autres ! Avec toi je peux de jour et de nuit ! En mer et à terre. Debout et couché. Partout ! Partouze. Par tous les temps ! Je pourrai sur du fumier comme dans le coffre d’une Cadillac ; sur une chaise ou contre un panneau électoral consacré à la campagne d’un UD cinquième (et pourtant nous sommes Gaullistes depuis quatre générations chez les Gaumixte). Je pourrais dans un confessionnal (et je suis chrétien) ou alors dans vitrine des Galeries Lafayette (et j’y suis client). Je pourrais dans les branches d’un chêne et sur les marches d’un escalier roulant. Je pourrais en aérostat comme à bicyclette ! A ski, à cheval, en Angleterre. Je pourrais sur les mains, Camille ! Je pourrais en dormant, en marchant, à cloche-pied. Sur un toit. Dans le métro. Place de la Concorde ! Sur les genoux d’un gardien de la paix ! Je pourrais sur la couverture de ce livre, illustré par Dubout ! En dictant mon courrier ! En regardant la télé ! En pique-niquant avec ma femme ! En plein conseil d’administration. Je pourrais sans toi, tiens, tant tu m’excites.

Il se trisse vers la salle de bains.

— Excusez-moi, crie-t-il, je vais m’informer !

Ouf !

— Tu parles d’un jobré, soupire Camille, malgré son fric je peux pas m’y faire. Va falloir que je rentre au bercail d’Hector.

— Continuons notre entretien, je suis pressé.

— Tu descends à la prochaine ?

— Peut-être ! Allez, je t’écoute.

Elle ricane.

— C’est bien ton tour, moi je vous ai assez écoutés comme ça ! Bon, ce que j’ai retenu surtout de vos parlottes, c’est l’idée que les disparus n’étaient sûrement pas supprimés tout de suite, mais séquestrés dans un coin tranquille où ils se rendaient de bonne grâce. Alors, en y réfléchissant de près, je me suis dit qu’on les nourrissait peut-être pendant leur détention. J’ai fait venir le maître d’hôtel qui dirige le service des repas en cabine, et je lui ai demandé si, parmi les gens qu’on servait chez eux, il y avait de gros mangeurs…

— Bravo, môme, fallait y songer !

— J’y ai songé !

— Alors ?

— On a fait un tour d’horizon, dressé une petite liste, très courte car en général, les bâfreurs vont à la salle à manger. Et je suis tombé en arrêt devant le chef masseur, un certain Hanne. Il aurait des crises de boulimie, aux dires du loufiat. Quand ça le prend, il se fait apporter de la bouffe dans le courant de la journée. Et c’est d’autant plus surprenant qu’il prend ses repas au réfectoire des officiers.

— Et t’as raconté ça au Vieux pendant l’escale ?

— Ouais, fallait le calmer, il venait de découvrir que cet ahuri d’Hector lui avait expédié la lettre anonyme dont le texte m’a bien fait marrer. Je l’entendais fulminer dans sa cabine. Puis raconter à son larbin qu’une vipère…

Je l’écoute distraitement. Ce qu’elle me bonnit, je suis maintenant assez grandet pour le piger tout seul. Elle est intervenue quand le Vieux a demandé un mousse, après la sortie de Ross.

Pour ne pas être importunée par le valet de chambre, elle a retourné les plaques des cabines : Si bien qu’un peu plus tard c’est dans la sienne qu’Hector a attendu.

— Avant de quitter ta piaule, interromps-je, tu avais bu une consommation ?

— Un petit coup de scotch pour me donner du cran, oui.

Bon, d’où le verre vide aperçu par Hector. Elle parle, elle parle… Je me pince pour garder le contact avec la réalité du moment.

— … Il a pris ma présence à bord pour un coup d’arnaque… J’ai eu beau lui expliquer… Il s’impatientait parce qu’Hector n’arrivait pas… je l’ai alors mis au courant à propos du masseur, histoire de lui détourner la rogne… Il m’a écoutée sans piper, puis s’est précipité dehors… Je l’ai attendu. Ross a apporté le bloody-mary à côté, puis il est parti. Comme le Vieux ne revenait pas et que l’escale s’achevait, je suis sortie, j’ai retourné les plaques, ensuite j’ai rapporté la consommation de ma cabine dans la sienne…

— Et tu l’as bue ?

— Ouais, fallait pas ? j’adore le bloody-mary.

31

J’ai toujours eu honte des dompteurs. Depuis mon plus jeune âge, leur courage me fait tarter. Ne m’a jamais épaté. Je le trouve bas et triste. Ils sont dans une cage avec des soi-disant fauves. Ils ont un fouet, un bel uniforme, et ils font joujou. Je me débilite à les voir dociliser ces gros minets ronchons ! Ça vous passionne, vous autres, qu’un lion donne la papatte ou qu’un tigre grimpe sur un escabeau ? Vous vous égosillez lorsqu’un guépard saute à travers un cerceau ou quand deux panthères font de la balançoire sur une planche ? Moi non, moi jamais. Je m’en sens humilié en profondeur. De la peine, voilà ce que j’éprouve, pour les fauves et aussi pour le dompteur, si cloches, tous, si désemparés derrière leurs barreaux. J’applaudis pas. Je me ratatine. De là vient, je pense, ma désaffection pour le cirque, malgré ses flonflons, ses lumières, les mignonnes écuyères, les fauves et les clowns, infinie. Lugubre spectacle. Perte de notre dignité si confuse déjà.

En entrant dans le salon de musique, j’ai droit à une séance de dressage. Les clowns et les bêtes sont assemblés. Deux numéros en un seul ! C’est du concentré de piste.

Debout sur le piano à queue, il y a Pinaud, un revolver à la main, dérisoire et grotesque dans sa posture de gestapiste. Au clavier, m’sieur Félix fait des gammes fluettes, en rêvassant. Et puis ailleurs, partout, comblant tout l’espace, assurant tous les volumes disponibles, bondissant, nombreux, effrayamment multiplié : Le Gros. Le maître du bord ! Le commandant ! Brave-tempête en personne ! Le factotum de Neptune ! Le chef-triton ! Bérurier, pour ne le point nommer ! Sautant du ministre à Archimède, de la pseudo Métis sur Raymond. Postillonnant ! Graillonnant ! Aboyant ! Crachant ! Mordant le vide ! Emplissant les trompes d’Eustache ! Noir de courroux ! Fou de vouloir ! Décidé ! Féroce ! Accrocheur ! Puissant ! Ravageur ! Hystérique ! Ennobli par le cataclysme qu’il héberge. Béru dans les douleurs de la Connaissance !