On s’est relayés pour dormir, et le matin nous sommes arrivés à Plage-les-Trous, où des cars nous attendaient pour nous conduire au camp. Notre chef, il est terrible, n’avait pas l’air trop fatigué. Pourtant, il a passé la nuit à courir dans le couloir, à faire ouvrir trois fois la porte du bout du wagon ; deux fois pour faire sortir des types qui y étaient coincés et une fois pour le monsieur qui avait un ami à la S.N.C.F., et qui a donné sa carte de visite à notre chef, pour le remercier.
Dans le car, on criait tous, et le chef nous a dit qu’au lieu de crier, on ferait mieux de chanter. Et il nous a fait chanter des chouettes chansons, une où ça parle d’un chalet, là-haut sur la montagne, et l’autre où on dit qu’il y a des cailloux sur toutes les routes. Et puis après, le chef nous a dit qu’au fond il préférait qu’on se remette à crier, et puis nous sommes arrivés au camp.
Là, j’ai été un peu déçu. Le camp est joli, bien sûr : il y a des arbres, il y a des fleurs, mais il n’y a pas de tentes. On va coucher dans des maisons en bois, et c’est dommage, parce que moi je croyais qu’on allait vivre dans des tentes, comme des Indiens, et ça aurait été plus rigolo. On nous a emmenés au milieu du camp, où nous attendaient deux messieurs. L’un avec pas de cheveux et l’autre avec des lunettes, mais tous les deux avec des shorts. Le monsieur avec pas de cheveux nous a dit :
— Mes enfants, je suis heureux de vous accueillir dans le Camp Bleu, où je suis sûr que vous passerez d’excellentes vacances, dans une ambiance de saine et franche camaraderie, et où nous vous préparerons pour votre avenir d’hommes, dans le cadre de la discipline librement consentie. Je suis M. Rateau, le chef du camp, et ici je vous présente M. Genou, notre économe, qui vous demandera parfois de l’aider dans son travail. Je compte sur vous pour obéir à ces grands frères que sont vos chefs d’équipe, et qui vous conduiront maintenant à vos baraques respectives. Et dans dix minutes, rassemblement pour aller à la plage, pour votre première baignade.
Et puis quelqu’un a crié : « Pour le Camp Bleu, hip hip ! » et des tas de types ont répondu « Hourra ! ». Trois fois comme ça. Très rigolo.
Notre chef nous a emmenés, les douze de l’équipe Œil-de-Lynx, notre équipe, jusqu’à notre baraque. Il nous a dit de choisir nos lits, de nous installer et de mettre nos slips de bain, qu’il viendrait nous chercher dans huit minutes.
— Bon, a dit un grand type, moi je prends le lit près de la porte.
— Et pourquoi, je vous prie ? a demandé un autre type.
— Parce que je l’ai vu le premier et parce que je suis le plus fort de tous, voilà pourquoi, a répondu le grand type.
— Non, monsieur ; non, monsieur ! a chanté un autre type. Le lit près de la porte, il est à moi ! J’y suis déjà !
— Moi aussi, j’y suis déjà ! ont crié deux autres types.
— Sortez de là, ou je vais me plaindre, a crié le grand type.
Nous étions huit sur le lit et on allait commencer à se donner quelques gifles quand notre chef est entré, en slip de bain, avec des tas de muscles partout.
— Alors ? il a demandé. Qu’est-ce que ça veut dire ? Vous n’êtes pas encore en slip ? Vous faites plus de bruit que ceux de toutes les autres baraques réunis. Dépêchez-vous !
— C’est à cause de mon lit..., a commencé à expliquer le grand type.
— Nous nous occuperons des lits plus tard, a dit le chef ; maintenant, mettez vos slips. On n’attend plus que nous pour le rassemblement !
— Moi je veux pas me déshabiller devant tout le monde ! Moi je veux rentrer chez mon papa et ma maman ! a dit un type, et il s’est mis à pleurer.
— Allons, allons, a dit le chef. Voyons, Paulin, souviens-toi du cri de ralliement de notre équipe : « Courage ! » Et puis, tu es un homme maintenant, tu n’es plus un gamin.
— Si ! Je suis un gamin ! Je suis un gamin ! Je suis un gamin ! a dit Paulin, et il s’est roulé par terre en pleurant.
— Chef, j’ai dit, je peux pas me mettre en slip, parce que mon papa et ma maman ont oublié de me donner ma valise à la gare.
Le chef s’est frotté les joues avec les deux mains et puis il a dit qu’il y aurait sûrement un camarade qui me prêterait un slip.
— Non monsieur, a dit un type. Ma maman m’a dit qu’il ne fallait pas prêter mes affaires.
— T’es un radin, et je n’en veux pas de ton slip ! j’ai dit. Et bing ! je lui ai donné une gifle.
— Et qui c’est qui va me détacher mes chaussures ? a demandé un autre type.
— Chef ! chef ! a crié un type. Toute la confiture s’est renversée dans ma valise. Qu’est-ce que je fais ?
Et puis on a vu que le chef n’était plus avec nous dans la baraque.
Quand nous sommes sortis, nous étions tous en slip ; un chouette type qui s’appelle Bertin m’en avait prêté un ; nous étions les derniers au rassemblement. C’était drôle à voir, parce que tout le monde était en slip.
Le seul qui n’était pas en slip, c’était notre chef. Il était en costume, avec un veston, une cravate et une valise. M. Rateau était en train de lui parler, et il lui disait :
— Revenez sur votre décision, mon petit ; je suis sûr que vous saurez les reprendre en main. Courage !
La vie de la colo s’organise ; la vie qui fera des hommes de Nicolas et de ses amis. Même leur chef d’équipe, Gérard Lestouffe, a changé depuis le jour de l’arrivée ; et si parfois un peu de lassitude trouble son regard clair, par contre, il a appris à se crisper, pour ne pas laisser la panique avoir de prise sur lui...
La baignade
Dans le camp où je passe mes vacances, on fait des tas de choses dans la journée :
Le matin, on se lève à 8 heures. Vite, vite, il faut s’habiller, et puis on va au rassemblement. Là, on fait de la gymnastique, une deux, une deux, et puis après, on court pour faire sa toilette et on s’amuse bien en se jetant des tas d’eau à la figure les uns des autres. Après, ceux qui sont de service se dépêchent d’aller chercher le petit déjeuner, et il est drôlement bon le petit déjeuner, avec beaucoup de tartines. Quand on a vite fini le petit déjeuner, on court à nos baraques pour faire les lits, mais on ne les fait pas comme Maman à la maison ; on prend les draps et les couvertures, on les plie en quatre et on les met sur le matelas. Après ça, il y a les services, nettoyer les abords, aller chercher des choses pour M. Genou, l’économe, et puis il y a le rassemblement, il faut y courir, et on part à la plage pour la baignade. Après, il y a rassemblement de nouveau et on rentre au camp pour déjeuner, et il est chouette parce qu’on a toujours faim. Après le déjeuner, on chante des chansons : « En passant par la Lorraine avec mes sabots » et « C’est nous les gars de la marine ». Et puis il faut aller faire la sieste ; c’est pas tellement amusant, mais c’est obligé, même si on trouve des excuses. Pendant la sieste, notre chef d’équipe nous surveille et nous raconte des histoires. Et puis, il y a un autre rassemblement et on retourne à la plage, on se baigne, il y a rassemblement et on retourne au camp pour le dîner. Après le dîner, on chante de nouveau, quelquefois autour d’un grand feu, et si on n’a pas de jeux de nuit, on va se coucher et il faut vite éteindre la lumière et dormir. Le restant du temps, on peut faire ce qu’on veut.
Ce que j’aime le mieux, moi, c’est la baignade. On y va tous avec nos chefs d’équipe et la plage est pour nous. Ce n’est pas tellement que les autres n’ont pas le droit d’y venir, mais quand ils y viennent, ils s’en vont. C’est peut-être parce qu’on fait beaucoup de bruit et qu’on joue à des tas de choses sur le sable.
On nous range par équipes. La mienne s’appelle l’équipe Œil-de-Lynx ; on est douze, on a un chef d’équipe très chouette et notre cri de ralliement, c’est : « Courage ! » Le chef d’équipe nous fait mettre autour de lui, et puis il nous dit : « Bon. Je ne veux pas d’imprudences. Vous allez rester tous groupés et ne vous éloignez pas trop du bord. Au coup de sifflet, vous retournez sur la plage. Je veux vous voir tous. Interdiction de nager sous l’eau ! Celui qui n’obéit pas sera privé de baignade. Vu ? Allez, pas de gymnastique, tous à l’eau ! » Et notre chef d’équipe a donné un gros coup de sifflet et nous sommes tous allés avec lui dans l’eau. Elle était froide, elle faisait des vagues, ce qu’elle pouvait être chouette !