Quand Bertin s’est couché comme les autres, le chef nous a dit de dormir et de ne pas faire de bruit pour ne pas déranger ceux des autres baraques.
— Une histoire, chef ! Une histoire ! nous avons tous crié.
Le chef a fait un gros soupir et il a dit que bon, d’accord, mais silence.
— Il y avait une fois, a dit le chef, dans un très lointain pays, un calife qui était très bon, mais qui avait un très méchant vizir...
Le chef s’est arrêté et il a demandé :
— Qui peut nous dire ce qu’est un vizir ?
Et Bertin a levé le doigt.
— Eh bien ! Bertin ? a demandé le chef.
— Je peux sortir, chef ? a dit Bertin.
Le chef l’a regardé avec des yeux tout petits ; il a pris plein d’air dans sa bouche, et puis il a dit : « Bon, vas-y, mais reviens vite », et Bertin est sorti.
Et puis le chef a continué à se promener dans le couloir entre les lits et à nous raconter son histoire. Je dois dire que moi j’aime mieux les histoires avec des cow-boys, des Indiens ou des aviateurs. Le chef parlait, personne ne faisait de bruit et j’avais les yeux qui se fermaient, et puis j’étais à cheval, habillé en cow-boy, avec des chouettes revolvers en argent à la ceinture, et je commandais des tas de cow-boys, parce que j’étais le shérif, et les Indiens allaient nous attaquer et il y en a un qui a crié : « Regardez les gars ! J’ai trouvé un œuf ! »
Je me suis assis d’un coup sur mon lit et j’ai vu que c’était Bertin qui était entré dans la baraque, avec un œuf dans la main.
On s’est tous levés pour aller voir.
— Couchez-vous ! Couchez-vous tous ! a crié le chef, qui n’avait pas l’air content du tout.
— A votre avis, chef, c’est un œuf de quoi ? a demandé Bertin.
Mais le chef lui a dit que ça ne le regardait pas, et qu’il aille remettre l’œuf où il l’avait trouvé et qu’il revienne se coucher. Et Bertin est ressorti avec son œuf.
Comme plus personne ne dormait, le chef a continué à nous raconter son histoire. C’était pas mal, surtout la partie où le chouette calife se déguise pour savoir ce que les gens pensent de lui, et le grand vizir, qui est drôlement méchant, en profite pour prendre sa place. Et puis le chef s’est arrêté, et il a dit :
— Mais que fait donc ce garnement de Bertin ?
— Si vous voulez, chef, je peux aller le chercher, a dit Crépin.
— Bon, a dit le chef, mais ne t’attarde pas. Crépin est sorti et il est revenu tout de suite en courant.
— Chef ! Chef ! a crié Crépin, Bertin est sur un arbre et il ne peut plus en descendre !
Le chef est sorti en courant et nous on l’a tous suivi, même qu’il a fallu réveiller Gualbert qui dormait et qui n’avait rien entendu.
Bertin était assis sur une branche, tout en haut d’un arbre, et il n’avait pas l’air content.
— Le voilà ! Le voilà ! on a tous crié en le montrant du doigt.
— Silence ! a crié notre chef d’équipe. Bertin, qu’est-ce que tu fais là-haut ?
— Ben ! a dit Bertin, je suis allé remettre l’œuf où je l’avais trouvé, comme vous me l’aviez dit, et je l’avais trouvé ici, dans un nid. Mais en montant, il y a une branche qui s’est cassée et je ne peux plus descendre.
Et Bertin s’est mis à pleurer. Il a une voix terrible, Bertin : quand il pleure, on l’entend de loin. Et puis de la baraque à côté de l’arbre, est sorti le chef d’une autre équipe, qui avait l’air très fâché.
— C’est toi et ton équipe qui faites tout ce bruit ? il a demandé à notre chef d’équipe. Tu as réveillé tous mes zèbres et je venais à peine de réussir à les endormir.
— Plains-toi, a crié notre chef, moi j’en ai un sur l’arbre, là !
L’autre chef d’équipe a regardé et il s’est mis à rigoler, mais pas pour longtemps, parce que tous les types de son équipe sont sortis de leur baraque pour voir ce qui se passait. On était un tas de monde autour de l’arbre.
— Rentrez vous coucher ! a crié le chef de l’autre équipe. Tu vois ce que tu as réussi à faire ? Tu n’as qu’à mieux tenir tes zèbres. Quand on ne sait pas se faire obéir, on ne se met pas chef d’équipe dans une colonie de vacances !
— Je voudrais t’y voir, a dit notre chef, et puis tes zèbres à toi, ils font autant de bruit que mes zèbres à moi !
— Oui, a dit l’autre chef d’équipe, mais ce sont tes zèbres à toi qui ont réveillé mes zèbres à moi !
— Chef, je voudrais descendre ! a crié Bertin.
Alors, les chefs ont cessé de se disputer et ils sont allés chercher une échelle.
— Faut être un peu bête pour rester coincé comme ça sur un arbre, a dit un type de l’autre équipe.
— Ça te regarde ? j’ai demandé.
— Ouais ! a dit un autre type de l’autre équipe. Dans votre équipe, vous êtes tous bêtes, c’est bien connu !
— Répète un peu !... a demandé Gualbert.
Et comme l’autre a répété, nous avons commencé à nous battre.
— Hé, les gars ! Hé ! Attendez qu’on me descende pour commencer ! a crié Bertin. Hé, les gars !
Et puis les chefs sont revenus en courant avec une échelle et M. Rateau, le chef du camp, qui voulait savoir ce qui se passait. Tout le monde criait, c’était très chouette, et les chefs avaient l’air très fâché, peut-être parce que Bertin ne les avait pas attendus pour descendre de l’arbre, tellement il avait été pressé de venir rigoler avec nous.
— Rentrez dans vos baraques, tous ! a crié M. Rateau, et il avait la voix du Bouillon, qui est mon surveillant à l’école.
Et nous sommes retournés pour faire la sieste.
Ça n’a pas été pour très longtemps, parce que c’était l’heure du rassemblement, et notre chef d’équipe nous a tous fait sortir. Il avait l’air content. Je crois que lui non plus n’aime pas la sieste.
Ce qui a encore fait des histoires, c’est que Bertin s’était endormi sur son lit, et il ne voulait pas se lever.
Mon chéri,
Nous espérons que tu es bien sage, que tu manges tout ce qu’on te donne et que tu t’amuses bien. Pour la sieste, M. Rateau a raison ; il faut que tu te reposes, et que tu dormes aussi bien après le déjeuner qu’après le dîner. Si on te laissait faire, nous te connaissons, mon poussin, tu voudrais jouer même la nuit. Heureusement que tes supérieurs sont là pour te surveiller, et il faut toujours leur obéir. Pour le problème d’arithmétique, papa dit qu’il avait trouvé la solution, mais qu’il voulait que tu y arrives par toi-même...
(Extrait d’une lettre des parents de Nicolas à Nicolas)
Jeu de nuit
Hier soir, pendant le dîner, M. Rateau, qui est le chef du camp, parlait avec nos chefs d’équipe et ils se disaient des tas de choses à voix basse en nous regardant de temps en temps. Et puis, après le dessert – de la confiture de groseilles, c’était bien – on nous a dit d’aller vite nous coucher.
Notre chef d’équipe est venu nous voir dans notre baraque, il nous a demandé si on était en forme, et puis il nous a dit de nous endormir bien vite, parce qu’on aurait besoin de toutes nos forces.
— Pour quoi faire, chef ? a demandé Calixte.
— Vous verrez, a dit le chef, et puis il nous a dit bonne nuit et il a éteint la lumière.
Moi, je sentais bien que cette nuit c’était pas comme les autres nuits, et j’ai vu que je ne pourrais pas dormir ; ça me fait toujours ça quand je m’énerve avant de me coucher.
Je me suis réveillé tout d’un coup en entendant des cris et des coups de sifflet.
— Jeu de nuit ! Jeu de nuit ! Rassemblement pour le jeu de nuit ! on criait dehors.