C’est Mme Lanternau qui l’a retrouvé le soir, à l’heure du dîner. Il paraît que M. Lanternau avait passé l’après-midi à se faire tremper par la pluie, assis sur la plage.
Et c’est vrai que M. Lanternau est un drôle de boute-en-train, parce que papa, quand il l’a vu revenir à l’hôtel, il a tellement rigolé, qu’il n’a pas pu manger. Et pourtant, le mercredi soir, c’est de la soupe au poisson !
De l’hôtel Beau-Rivage, on a vue sur la mer, quand on se met debout sur le bord de la baignoire, et il faut faire attention de ne pas glisser. Quand il fait beau, et si on n’a pas glissé, on distingue très nettement la mystérieuse île des Embruns, où, d’après une brochure éditée par le Syndicat d’Initiative, le Masque de Fer a failli être emprisonné. On peut visiter le cachot qu’il aurait occupé, et acheter des souvenirs à la buvette.
L’île des Embruns
C’est chic, parce qu’on va faire une excursion en bateau. M. et Mme Lanternau viennent avec nous, et ça, ça n’a pas tellement plu à papa qui n’aime pas beaucoup M. Lanternau, je crois. Et je ne comprends pas pourquoi. M. Lanternau, qui passe ses vacances dans le même hôtel que nous, est très drôle et il essaie toujours d’amuser les gens. Hier, il est venu dans la salle à manger avec un faux nez et une grosse moustache et il a dit au patron de l’hôtel que le poisson n’était pas frais. Moi, ça m’a fait drôlement rigoler. C’est quand maman a dit à Mme Lanternau que nous allions en excursion à l’île des Embruns, que M. Lanternau a dit : « Excellente idée, nous irons avec vous, comme ça, vous ne risquerez pas de vous ennuyer ! » et après, papa a dit à maman que ce n’était pas malin ce qu’elle avait fait et que ce boute-en-train à la manque allait nous gâcher la promenade.
Nous sommes partis de l’hôtel le matin, avec un panier de pique-nique plein d’escalopes froides, de sandwiches, d’œufs durs, de bananes et de cidre. C’était chouette. Et puis M. Lanternau est arrivé avec une casquette blanche de marin, moi j’en veux une comme ça, et il a dit : « Alors, l’équipage, prêt à l’embarquement ? En avant, une deux, une deux, une deux ! » Papa a dit des choses à voix basse et maman l’a regardé avec des gros yeux.
Au port, quand j’ai vu le bateau, j’ai été un peu déçu, parce qu’il était tout petit, le bateau. Il s’appelait « La Jeanne » et le patron avait une grosse tête rouge avec un béret dessus et il ne portait pas un uniforme avec des tas de galons en or, comme j’espérais, pour le raconter à l’école aux copains quand je rentrerai de vacances, mais ça ne fait rien, je le raconterai quand même, après tout, quoi, à la fin ?
— Alors, capitaine, a dit M. Lanternau, tout est paré à bord ?
— C’est bien vous les touristes pour l’île des Embruns ? a demandé le patron et puis nous sommes montés sur son bateau. M. Lanternau est resté debout et il a crié :
— Larguez les amarres ! Hissez les voiles ! En avant, toute !
— Remuez pas comme ça, a dit papa, vous allez tous nous flanquer à l’eau !
— Oh oui, a dit maman, soyez prudent M. Lanternau. Et puis elle a ri un petit coup, elle m’a serré la main très fort et elle m’a dit de ne pas avoir peur mon chéri. Mais moi, comme je le raconterai à l’école à la rentrée, je n’ai jamais peur.
— Ne craignez rien, petite madame, a dit M. Lanternau à maman, c’est un vieux marin que vous avez à bord !
— Vous avez été marin, vous ? a demandé papa.
— Non, a répondu M. Lanternau, mais chez moi, sur la cheminée, j’ai un petit voilier dans une bouteille ! Et il a fait un gros rire et il a donné une grande claque sur le dos de papa.
Le patron du bateau n’a pas hissé les voiles, comme l’avait demandé M. Lanternau, parce qu’il n’y avait pas de voiles sur le bateau. Il y avait un moteur qui faisait potpotpot et qui sentait comme l’autobus qui passe devant la maison, chez nous. Nous sommes sortis du port et il y avait des petites vagues et le bateau remuait, c’était chouette comme tout.
— La mer va être calme ? a demandé papa au patron du bateau. Pas de grain à l’horizon ?
M. Lanternau s’est mis à rigoler.
— Vous, il a dit à papa, vous avez peur d’avoir le mal de mer !
— Le mal de mer ? a répondu papa. Vous voulez plaisanter. J’ai le pied marin, moi. Je vous parie que vous aurez le mal de mer avant moi, Lanternau !
— Tenu ! a dit M. Lanternau et il a donné une grosse claque sur le dos de papa, et papa a fait une tête comme s’il voulait donner une claque sur la figure de M. Lanternau.
— C’est quoi, le mal de mer, maman ? j’ai demandé.
— Parlons d’autre chose, mon chéri, si tu veux bien, m’a répondu maman.
Les vagues devenaient plus fortes et c’était de plus en plus chouette. De là où nous étions, on voyait l’hôtel qui avait l’air tout petit et j’ai reconnu la fenêtre qui donnait sur notre baignoire, parce que maman avait laissé son maillot rouge à sécher. Pour aller à l’île des Embruns, ça prend une heure, il paraît. C’est un drôle de voyage !
— Dites donc, a dit M. Lanternau à papa, je connais une histoire qui va vous amuser. Voilà : il y avait deux clochards qui avaient envie de manger des spaghetti...
Malheureusement je n’ai pas pu connaître la suite de l’histoire, parce que M. Lanternau a continué à la raconter à l’oreille de papa.
— Pas mal, a dit papa, et vous connaissez celle du médecin qui soigne un cas d’indigestion ? et comme M. Lanternau ne la connaissait pas, papa la lui a racontée à l’oreille. Ils sont embêtants, à la fin ! Maman, elle, n’écoutait pas, elle regardait, vers l’hôtel. Mme Lanternau, comme d’habitude, elle ne disait rien. Elle a toujours l’air un peu fatiguée.
Devant nous, il y avait l’île des Embruns, elle était encore loin et c’était joli à voir avec toute la mousse blanche des vagues. Mais M. Lanternau ne regardait pas l’île, il regardait papa, et, quelle drôle d’idée, il a tenu absolument à lui raconter ce qu’il avait mangé dans un restaurant avant de partir en vacances. Et papa, qui pourtant, d’habitude, n’aime pas faire la conversation avec M. Lanternau, lui a raconté tout ce qu’il avait mangé à son repas de première communion. Moi, ils commençaient à me donner faim avec leurs histoires. J’ai voulu demander à maman de me donner un œuf dur, mais elle ne m’a pas entendu parce qu’elle avait les mains sur les oreilles, à cause du vent, sans doute.
— Vous m’avez l’air un peu pâle, a dit M. Lanternau à papa, ce qui vous ferait du bien, c’est un grand bol de graisse de mouton tiède.
— Oui, a dit papa, ce n’est pas mauvais avec des huîtres recouvertes de chocolat chaud.
L’île des Embruns était tout près maintenant.
— Nous allons bientôt débarquer, a dit M. Lanternau à papa, vous seriez chiche de manger une escalope froide ou un sandwich, tout de suite, avant de quitter le bateau ?
— Mais certainement, a répondu papa, l’air du large, ça creuse ! Et papa a pris le panier à pique-nique et puis il s’est retourné vers le patron du bateau.
— Un sandwich avant d’accoster, patron ? a demandé papa.
Eh bien, on n’y est jamais arrivé à l’île des Embruns, parce que quand il a vu le sandwich, le patron du bateau est devenu très malade et il a fallu revenir au port le plus vite possible.