Mais quand il ne fait pas beau, alors, c’est autre chose, parce qu’on doit tous rester à l’hôtel ensemble. Et hier, il ne faisait pas beau, il pleuvait tout le temps. Après le déjeuner, on a eu des raviolis et c’était drôlement meilleur que le ragoût, nos papas et nos mamans sont partis faire la sieste. Avec Blaise, Fructueux, Mamert, Irénée, Fabrice et Côme, tous des copains de l’hôtel, on était dans le salon et on jouait aux cartes, sans faire de bruit. On ne faisait pas les guignols, parce que quand il pleut, les papas et les mamans, ça ne rigole pas. Et pendant ces vacances, c’est souvent que les papas et les mamans n’ont pas rigolé.
Et puis, les trois filles sont entrées dans le salon.
— On veut jouer avec vous, a dit Gisèle.
— Laisse-nous tranquilles, ou je te flanque une claque, Zésèle ! a dit Fabrice. Ça, ça ne lui a pas plu à Gisèle.
— Si on ne peut pas jouer avec vous, tu sais ce que je vais faire, Fafa ? a dit Gisèle. Eh bien, j’irai tout raconter à papa et à maman et tu seras puni, et tes copains seront punis et vous n’aurez pas de dessert.
— Bon, a dit Mamert, mais qu’il est bête celui-là ! Vous pouvez jouer avec nous.
— Toi, on t’a pas sonné, a dit Fabrice. Alors, Mamert s’est mis à pleurer, il a dit qu’il n’avait pas envie d’être puni, que c’était pas juste et que s’il était privé de dessert, il se tuerait. Nous, on était embêtés, parce qu’avec tout le bruit que faisait Mamert, il allait finir par réveiller nos papas et nos mamans.
— Alors, qu’est-ce qu’on fait ? j’ai demandé à Irénée.
— Bof, m’a répondu Irénée, et on a décidé de laisser jouer les filles avec nous.
— A quoi on joue ? a demandé Micheline, une grosse qui me fait penser à Alceste, un copain de l’école qui mange tout le temps.
— On joue à la marchande, a dit Isabelle.
— T’es pas un peu folle ? a demandé Fabrice.
— C’est bon, Fafa, a dit Gisèle, je vais réveiller papa. Et tu sais comment est papa quand on le réveille ! Alors Mamert s’est mis à pleurer et il a dit qu’il voulait jouer à la marchande. Blaise a dit que plutôt que de jouer à la marchande, il préférait aller réveiller lui-même le papa de Fabrice. Mais Fructueux a dit qu’il croyait que ce soir il y avait de la glace au chocolat comme dessert, alors, on a dit, bon d’accord.
Gisèle s’est mise derrière une table du salon, et sur la table elle a mis les cartes et puis des cendriers et elle a dit qu’elle serait la marchande et que la table ce serait le comptoir, et que ce qu’il y avait sur la table ce serait les choses qu’elle vendait et que nous, on devait venir et lui acheter les choses.
— C’est ça, a dit Micheline, et moi, je serais une dame très belle et très riche et j’aurais une auto et des tas de fourrures.
— C’est ça, a dit Isabelle, et moi, je serais une autre dame, encore plus riche et encore plus belle, et j’aurais une auto avec des fauteuils rouges comme celle de tonton Jean-Jacques, et des chaussures avec des talons hauts.
— C’est ça, a dit Gisèle, et Côme, ce serait le mari de Micheline.
— Je veux pas, a dit Côme.
— Et pourquoi tu veux pas ? a demandé Micheline.
— Parce qu’il te trouve trop grosse, voilà pourquoi, a dit Isabelle. Il préfère être mon mari à moi.
— C’est pas vrai ! a dit Micheline et elle a donné une claque à Côme et Mamert s’est mis à pleurer. Pour faire taire Mamert, Côme a dit qu’il serait le mari de n’importe qui.
— Bon, a dit Gisèle, alors, on va commencer à jouer. Toi, Nicolas, tu serais le premier client, mais comme tu serais très pauvre, tu n’aurais pas de quoi acheter à manger. Alors moi, je serais très généreuse, et je te donnerais des choses pour rien.
— Moi, je joue pas, a dit Micheline, après ce que m’a dit Isabelle, je ne parlerai plus jamais à personne.
— Ah ! la la ! mademoiselle fait des manières, a dit Isabelle, tu crois que je ne sais pas ce que tu as dit de moi à Gisèle quand je n’étais pas là ?
— Oh ! La menteuse ! a crié Micheline, après tout ce que tu m’as dit de Gisèle !
— Qu’est-ce que tu as dit de moi à Micheline, Isabelle ? a demandé Gisèle.
— Rien, j’ai rien dit de toi à Micheline, voilà ce que j’ai dit, a dit Isabelle.
— Tu as du toupet, a crié Micheline, tu me l’as dit devant la vitrine du magasin, là où il y avait le maillot noir avec des petites fleurs roses, celui qui m’irait si bien, tu sais ?
— C’est pas vrai, a crié Isabelle, mais Gisèle m’a raconté ce que tu lui avais dit de moi sur la plage.
— Dites, les filles, a demandé Fabrice, on joue, oui ou non ? Alors, Micheline a dit à Fabrice de se mêler de ce qui le regardait et elle l’a griffé.
— Laisse mon frère tranquille ! a dit Gisèle et elle a tiré les nattes de Micheline et Micheline s’est mise à crier et elle a donné une claque à Gisèle et ça, ça a fait rigoler Fabrice, mais Mamert s’est mis à pleurer et les filles faisaient un drôle de bruit et des tas de papas et de mamans sont descendus dans le salon et ils ont demandé ce qui se passait.
— Ce sont les garçons qui ne nous laissent pas jouer tranquilles à la marchande, a dit Isabelle. Alors, on a été tous privés de dessert.
Et Fructueux avait raison, ce soir-là, c’était la glace au chocolat !
Et puis, le soleil est revenu, radieux, le jour de la fin des vacances. Il a fallu dire au revoir à tous les amis, faire les bagages et reprendre le train. Le patron de l’hôtel Beau-Rivage a proposé au père de Nicolas de lui donner un peu de ragoût pour le voyage, mais le père de Nicolas a refusé. Il a eu tort, car cette fois-ci, c’étaient les œufs durs qui étaient dans la malle marron, qui était, elle-même, dans le fourgon.
On est rentrés
Moi, je suis bien content d’être rentré à la maison, mais mes copains de vacances ne sont pas ici et mes copains d’ici sont encore en vacances et moi je suis tout seul et ce n’est pas juste et je me suis mis à pleurer.
— Ah, non ! a dit papa. Demain je recommence à travailler, je veux me reposer un peu aujourd’hui, tu ne vas pas me casser les oreilles.
— Mais enfin, a dit maman à papa, sois un peu patient avec le petit. Tu sais comment sont les enfants quand ils reviennent de vacances. Et puis maman m’a embrassé, elle s’est essuyé la figure, elle m’a mouché et elle m’a dit de m’amuser gentiment. Alors moi j’ai dit à maman que je voulais bien, mais que je ne savais pas quoi faire.
— Pourquoi ne ferais-tu pas germer un haricot ? m’a demandé maman. Et elle m’a expliqué que c’était très chouette, qu’on prenait un haricot, qu’on le mettait sur un morceau d’ouate mouillé et puis qu’après on voyait apparaître une tige, et puis des feuilles, et puis qu’on avait une belle plante d’haricot et que c’était drôlement amusant et que papa me montrerait. Et puis maman est montée arranger ma chambre.
Papa, qui était couché sur le canapé du salon, a poussé un gros soupir et puis il m’a dit d’aller chercher l’ouate. Je suis allé dans la salle de bains, j’ai pas trop renversé de choses et la poudre par terre c’est facile à nettoyer avec un peu d’eau ; je suis revenu dans le salon et j’ai dit à papa :
— Voilà l’ouate, papa.
— On dit : la ouate, Nicolas, m’a expliqué papa qui sait des tas de choses parce qu’à mon âge il était le premier de sa classe et c’était un drôle d’exemple pour ses copains.
— Bon, m’a dit papa, maintenant, va à la cuisine chercher un haricot.
A la cuisine, je n’ai pas trouvé d’haricot. Ni de gâteaux non plus, parce qu’avant de partir maman avait tout vidé, sauf le morceau de camembert qu’elle avait oublié dans le placard et c’est pour ça qu’en rentrant de vacances il a fallu ouvrir la fenêtre de la cuisine.
Dans le salon, quand j’ai dit à papa que je n’avais pas trouvé d’haricot, il m’a dit :
— Eh bien tant pis, et il s’est remis à lire son journal, mais moi j’ai pleuré et j’ai crié :
— Je veux faire germer un haricot ! Je veux faire germer un haricot ! Je veux faire germer un haricot !
— Nicolas, m’a dit papa, tu vas recevoir une fessée.
Alors ça, c’est formidable ! On veut que je fasse germer un haricot et parce qu’il n’y a pas d’haricots, on veut me punir ! Là, je me suis mis à pleurer pour de vrai, et maman est arrivée et quand je lui ai expliqué, elle m’a dit :
— Va à l’épicerie du coin et demande qu’on te donne un haricot.
— C’est ça, a dit papa, et prends tout ton temps.
Je suis allé chez M. Compani, qui est l’épicier du coin et qui est drôlement chouette parce que quand j’y vais, il me donne quelquefois des biscuits. Mais là, il ne m’a rien donné, parce que l’épicerie était fermée et il y avait un papier où c’était écrit que c’était à cause des vacances.
Je suis revenu en courant à la maison, où j’ai trouvé papa toujours sur le canapé, mais il ne lisait plus, il avait mis le journal sur sa figure.
— C’est fermé chez M. Compani, j’ai crié, alors, j’ai pas d’haricot !
Papa, il s’est assis d’un coup.
— Hein ? Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? il a demandé ; alors, il a fallu que je lui explique de nouveau. Papa s’est passé la main sur la figure, il a fait de gros soupir, et il a dit qu’il n’y pouvait rien.
— Et qu’est-ce que je vais faire germer alors, sur mon morceau de la ouate ? j’ai demandé.
— On dit un morceau d’ouate, pas de la ouate, m’a dit papa.
— Mais tu m’avais dit qu’on disait de la ouate, j’ai répondu.
— Nicolas, a crié papa, c’est assez comme ça ! Va jouer dans ta chambre !
Moi je suis monté dans ma chambre en pleurant, et j’y ai trouvé maman en train de ranger.
— Non, Nicolas, n’entre pas ici, m’a dit maman. Descends jouer dans le salon. Pourquoi ne fais-tu pas germer un haricot, comme je te l’ai dit ?
Dans le salon, avant que papa se mette à crier, je lui ai expliqué que c’était maman qui m’avait dit de descendre et que si elle m’entendait pleurer, elle allait se fâcher.
— Bon, m’a dit papa, mais sois sage.
— Et où est-ce que je vais trouver l’haricot pour faire germer ? j’ai demandé.
— On ne dit pas l’haricot, on dit... a commencé à dire papa, et puis, il m’a regardé, il s’est gratté la tête et il m’a dit :
— Va chercher des lentilles dans la cuisine. Ça remplacera l’haricot.
Ça, des lentilles, il y en avait dans la cuisine, et moi j’étais drôlement content. Et puis papa m’a montré comment il fallait mouiller la ouate et comment il fallait mettre les lentilles dessus.
— Maintenant, m’a dit papa, tu mets le tout sur une soucoupe, sur le rebord de la fenêtre, et puis plus tard, il y aura des tiges et des feuilles. Et puis il s’est recouché sur le canapé.
Moi, j’ai fait comme m’avait dit papa, et puis j’ai attendu. Mais je n’ai pas vu les tiges sortir des lentilles et je me suis demandé ce qui ne marchait pas. Comme je ne savais pas, je suis allé voir papa.
— Quoi encore ? a crié papa.
— Il n’y a pas de tiges qui sortent des lentilles, j’ai dit.
— Tu la veux cette fessée ? a crié papa, et moi j’ai dit que j’allais quitter la maison, que j’étais très malheureux, qu’on ne me reverrait jamais, qu’on me regretterait bien, que le coup des lentilles c’était de la blague et maman est arrivée en courant dans le salon.
— Tu ne peux pas être un peu plus patient avec le petit ? a demandé maman à papa, moi, je dois ranger la maison, je n’ai pas le temps de m’occuper de lui, il me semble...
— Il me semble à moi, a répondu papa, qu’un homme devrait pouvoir avoir la paix chez soi !
— Ma pauvre mère avait bien raison, a dit maman.
— Ne mêle pas ta mère qui n’a rien de pauvre, dans cette histoire ! a crié papa.
— C’est ça, a dit maman, insulte ma mère maintenant !
— Moi j’ai insulté ta mère ? a crié papa. Et maman s’est mise à pleurer, et papa s’est mis à marcher dans le salon en criant, et moi j’ai dit que si on ne faisait pas germer mes lentilles tout de suite, je me tuerais. Alors, maman m’a donné une fessée.
Les parents, quand ils reviennent de vacances, sont insupportables !