— Pardon, pardon, a dit Papa, tu étais d’accord avec moi, tu as même dit que ça lui ferait le plus grand bien, et à nous aussi. Tu as autant de raisons que moi de le lui dire.
— Ben alors, j’ai dit, on parle des vacances ou on ne parle pas des vacances ? Tous les copains partent et moi je vais avoir l’air d’un guignol si je ne peux pas leur dire où nous allons et ce que nous allons y faire.
Alors, Papa s’est assis dans le fauteuil, il m’a pris par les mains et il m’a tiré contre ses genoux.
— Mon Nicolas est un grand garçon raisonnable, n’est-ce pas ? a demandé Papa.
— Oh ! oui, a répondu Maman, c’est un homme maintenant !
Moi, j’aime pas trop quand on me dit que je suis un grand garçon, parce que d’habitude, quand on me dit ça, c’est qu’on va me faire faire des choses qui ne me plaisent pas.
— Et je suis sûr, a dit Papa, que mon grand garçon aimerait bien aller à la mer !
— Oh ! oui, j’ai dit.
— Aller à la mer, nager, pêcher, jouer sur la plage, se promener dans les bois, a dit Papa.
— Il y a des bois, là où on va ? j’ai demandé. Alors c’est pas là où on a été l’année dernière ?
— Écoute, a dit Maman à Papa. Je ne peux pas. Je me demande si c’est une si bonne idée que ça. Je préfère y renoncer. Peut-être, l’année prochaine...
— Non ! a dit Papa. Ce qui est décidé est décidé. Un peu de courage, que diable ! Et Nicolas va être très raisonnable ; n’est-ce pas, Nicolas ?
Moi j’ai dit que oui, que j’allais être drôlement raisonnable. J’étais bien content, avec le coup de la mer et de la plage, j’aime beaucoup ça. La promenade dans les bois, c’est moins rigolo, sauf pour jouer à cache-cache ; alors là, c’est terrible.
— Et on va aller à l’hôtel ? j’ai demandé.
— Pas exactement, a dit Papa. Je... je crois que tu coucheras sous la tente. C’est très bien, tu sais...
Alors là, j’étais content comme tout.
— Sous la tente, comme les Indiens dans le livre que m’a donné tante Dorothée ? j’ai demandé.
— C’est ça, a dit Papa.
— Chic ! j’ai crié. Tu me laisseras t’aider à monter la tente ? Et à faire du feu pour cuire le manger ? Et tu m’apprendras à faire de la pêche sous-marine pour apporter des gros poissons à Maman ? Oh ! ça va être chic, chic, chic !
Papa s’est essuyé la figure avec son mouchoir, comme s’il avait très chaud, et puis il m’a dit :
— Nicolas, nous devons parler d’homme à homme. Il faut que tu sois très raisonnable.
— Et si tu es bien sage et tu te conduis comme un grand garçon, a dit Maman, ce soir, pour le dessert, il y aura de la tarte.
— Et je ferai réparer ton vélo, comme tu me le demandes, depuis si longtemps, a dit Papa. Alors, voilà... Il faut que je t’explique quelque chose...
— Je vais à la cuisine, a dit Maman.
— Non ! reste ! a dit Papa. Nous avions décidé de le lui dire ensemble...
Alors Papa a toussé un peu dans sa gorge, il m’a mis ses mains sur mes épaules et puis il m’a dit :
— Nicolas, mon petit, nous ne partirons pas avec toi en vacances. Tu iras seul, comme un grand.
— Comment, seul ? j’ai demandé. Vous ne partez pas, vous ?
— Nicolas, a dit Papa, je t’en prie, sois raisonnable. Maman et moi, nous irons faire un petit voyage, et comme nous avons pensé que ça ne t’amuserait pas, nous avons décidé que toi tu irais en colonie de vacances. Ça te fera le plus grand bien, tu seras avec des petits camarades de ton âge et tu t’amuseras beaucoup...
— Bien sûr, c’est la première fois que tu seras séparé de nous, Nicolas, mais c’est pour ton bien, a dit Maman.
— Alors, Nicolas, mon grand... qu’est-ce que tu en dis ? m’a demandé Papa.
— Chouette ! j’ai crié, et je me suis mis à danser dans le salon. Parce que c’est vrai, il paraît que c’est terrible, les colonies de vacances : on se fait des tas de copains, on fait des promenades, des jeux, on chante autour d’un gros feu, et j’étais tellement content que j’ai embrassé Papa et Maman.
Pour le dessert, la tarte a été très bonne, et j’en ai eu plusieurs fois parce que ni Papa ni Maman n’en ont mangé. Ce qui est drôle, c’est que Papa et Maman me regardaient avec des gros yeux ronds. Ils avaient même l’air un peu fâché.
Pourtant, je ne sais pas, moi, mais je crois que j’ai été raisonnable, non ?
Les préparatifs sont allés bon train, entrecoupés, toutefois, par dix-sept coups de téléphone de la mémé de Nicolas. Un seul incident curieux : la mère de Nicolas a tout le temps des choses qui lui tombent dans les yeux, et elle a beau se moucher, rien n’y fait...
Le départ
Aujourd’hui, je pars en colonie de vacances et je suis bien content. La seule chose qui m’ennuie, c’est que Papa et Maman ont l’air un peu triste ; c’est sûrement parce qu’ils ne sont pas habitués à rester seuls pendant les vacances.
Maman m’a aidé à faire la valise, avec les chemisettes, les shorts, les espadrilles, les petites autos, le maillot de bain, les serviettes, la locomotive du train électrique, les œufs durs, les bananes, les sandwiches au saucisson et au fromage, le filet pour les crevettes, le pull à manches longues, les chaussettes et les billes. Bien sûr, on a dû faire quelques paquets parce que la valise n’était pas assez grande, mais ça ira.
Moi, j’avais peur de rater le train, et après le déjeuner, j’ai demandé à Papa s’il ne valait pas mieux partir tout de suite pour la gare. Mais Papa m’a dit que c’était encore un peu tôt, que le train partait à 6 heures du soir et que j’avais l’air bien impatient de les quitter. Et Maman est partie dans la cuisine avec son mouchoir, en disant qu’elle avait quelque chose dans l’œil.
Je ne sais pas ce qu’ils ont, Papa et Maman, ils ont l’air bien embêtés. Tellement embêtés que je n’ose pas leur dire que ça me fait une grosse boule dans la gorge quand je pense que je ne vais pas les voir pendant presque un mois. Si je le leur disais, je suis sûr qu’ils se moqueraient de moi et qu’ils me gronderaient.
Moi, je ne savais pas quoi faire en attendant l’heure de partir, et Maman n’a pas été contente quand j’ai vidé la valise pour prendre les billes qui étaient au fond.
— Le petit ne tient plus en place, a dit Maman à Papa. Au fond, nous ferions peut-être mieux de partir tout de suite.
— Mais, a dit Papa, il manque encore une heure et demie jusqu’au départ du train.
— Bah ! a dit Maman, en arrivant en avance, nous trouverons le quai vide et nous éviterons les bousculades et la confusion.
— Si tu veux, a dit Papa.
Nous sommes montés dans la voiture et nous sommes partis. Deux fois, parce que la première, nous avons oublié la valise à la maison.
A la gare, tout le monde était arrivé en avance. Il y avait plein de gens partout, qui criaient et faisaient du bruit. On a eu du mal à trouver une place pour mettre la voiture, très loin de la gare, et on a attendu Papa, qui a dû revenir à la voiture pour chercher la valise qu’il croyait que c’était Maman qui l’avait prise. Dans la gare, Papa nous a dit de rester bien ensemble pour ne pas nous perdre. Et puis il a vu un monsieur en uniforme, qui était rigolo parce qu’il avait la figure toute rouge et la casquette de travers.
— Pardon, monsieur, a demandé Papa, le quai numéro 11, s’il vous plaît ?
— Vous le trouverez entre le quai numéro 10 et le quai numéro 12, a répondu le monsieur. Du moins, il était là-bas la dernière fois que j’y suis passé.
— Dites donc, vous..., a dit Papa ; mais Maman a dit qu’il ne fallait pas s’énerver ni se disputer, qu’on trouverait bien le quai tout seuls.