— Svengaard est un imbécile, la manipulatrice est morte.
— Ils l’ont tuée ? murmura la jeune femme.
— Les conditions de sa mort n’ont aucune importance. Elle avait rempli sa tâche.
Les Cyborgs ne sont pas étrangers à sa mort, dit Harvey avec sa main.
Je l’ai bien compris.
— Êtes-vous… Nous sera-t-il permis de parler à Potter ? demanda Harvey.
— Quand Potter se verra offrir le plein statut de Cyborg, ce sera à lui de décider.
— Nous voulons savoir ! explosa Lizbeth.
Fais des excuses, transmit Harvey à une vitesse frénétique.
— Madame, dit Glisson, je vous rappellerai que le modelage des soi-disant Optimhommes n’est pas l’état auquel nous aspirons. N’oubliez pas les vœux que vous avez formulés.
— Je vous demande pardon, dit Lizbeth en étreignant la main de son mari pour interrompre ses appels. La nouvelle… de la possibilité m’a causé un tel choc…
— Nous considérons ces emportements sentimentaux comme des circonstances atténuantes. Il vaut mieux, par conséquent, que je vous prévienne : vous entendrez au sujet de votre fils des rumeurs qui ne doivent pas vous troubler.
— Quelles rumeurs ? souffla Lizbeth.
— Un élément extérieur d’origine inconnue intervient parfois dans le cours ordinaire d’un modelage génétique. Nous avons de bonnes raisons de croire que cela s’est produit avec votre fils.
— Que voulez-vous dire ? demanda Harvey.
— Ce que je veux dire ? Glisson ricana. Vous posez des questions qui n’ont pas de réponses.
— Quel est l’effet produit par cet élément ? dit Lizbeth d’un ton suppliant.
Glisson la regarda.
— Il agit à la manière d’une particule chargée : il pénètre dans la cellule et en altère la structure. Si ce phénomène s’est vraiment produit, vous devez vous en réjouir car il empêche, semble-t-il, le modelage d’un Optimhomme.
Les Durant assimilèrent l’information.
— Avez-vous encore besoin de nous ? demanda enfin Harvey. Pouvons-nous partir ?
— Vous pouvez rester ici.
Tous deux regardèrent le Cyborg sans comprendre.
— Vous attendrez les ordres.
— Mais on va s’apercevoir de notre absence, fit remarquer Lizbeth. Notre appartement…
— Nous avons fabriqué des doubles capables de vous remplacer le temps nécessaire à votre fuite. Vous ne pourrez jamais retourner à Seatac, vous auriez dû vous en rendre compte.
— Notre fuite ? parvint à demander Harvey. Que… pourquoi ?…
— La violence menace, expliqua Glisson. Même maintenant. Les zélateurs de la violence se préparent. Le Cyborg leva les yeux au plafond. Guerre… sang… meurtre. Comme autrefois, le ciel s’enflammera et la terre fondra.
Harvey s’éclaircit la gorge. Guerre… autrefois. Pour Glisson, les guerres semblaient récentes, proches même. Après tout, pour un Cyborg, c’était peut-être vrai. On racontait que l’un des ancêtres de Glisson avait participé à la guerre des Cyborgs et des Optimhommes. Aucun membre de la Résistance ne connaissait toutes les identités qu’il avait assumées.
— Où irons-nous ? demanda Harvey qui, des doigts, recommanda à Lizbeth de ne pas intervenir.
— Tout a été préparé, répondit Glisson. Le Cyborg se leva pour débrancher les connections avec l’ordinateur. Attendez ici. N’essayez pas de partir, on vous apportera ce dont vous avez besoin.
Il sortit. La porte se referma hermétiquement derrière lui, avec un bruit sourd.
Ils sont aussi mauvais que les Optimhommes, attaqua Lizbeth.
Le jour viendra où nous ne dépendrons plus ni des uns ni des autres.
Ce jour ne viendra jamais.
Ne dis pas cela !
Si seulement, nous connaissions un chirurgien, nous pourrions emmener notre fils.
Folie ! comment entretenir l’éprouvette sans appareillage ?…
Cet appareillage, il se trouve en moi, je suis née avec.
Harvey, muet d’étonnement regarda sa femme.
Je ne veux pas que les Cyborgs ou les Optimhommes contrôlent la vie de notre fils, reprit Lizbeth, qu’ils conditionnent son esprit avec un gaz hypnotique, qu’ils confectionnent des doubles de lui selon leurs besoins, qu’ils le pressent, qu’ils le dirigent, qu’ils…
Ne te rends pas malade !
Tu l’as entendu. Des doubles ! Ils peuvent tout conditionner. Même notre moi ! Ils peuvent nous amener à faire n’importe quoi ! Après tout, on nous a bien amenés à venir ici, en ce moment.
Liz, tu n’es pas raisonnable.
Pas raisonnable, regarde-moi, avec un échantillon de ma peau ils sont capables de fabriquer un double de moi-même. De moi ! Parfaitement identique. Comment sais-tu que je suis moi, la vraie Lizbeth ? Le sais-je moi-même ?
Harvey étreignit en silence le bras libre de sa femme. Après un moment d’attente, il se força au calme et secoua la tête. Tu es Liz, tu n’es pas seulement de la chair développée à partir d’une cellule. Tu es… tout ce que nous avons partagé… été… fait ensemble. Ils ne peuvent reproduire la mémoire. Pas chez un double.
Elle pressa sa joue contre le tissu rugueux de la veste de son mari, à la recherche d’une protection et d’un contact qui confirmerait à son corps qu’Harvey était vrai, qu’il était là.
Ils feront des doubles de notre fils, reprit-elle. Ils l’ont déjà prévu et tu le sais.
Alors, nous aurons beaucoup de fils.
Pourquoi donc ? Elle leva les yeux. Les larmes perlaient au bord de ses cils. Tu as entendu Glisson : une intervention extérieure a modifié notre embryon. Qu’est-ce que c’était ?
Comment le saurais-je ?
Quelqu’un doit bien savoir.
Je te connais, tu voudrais que ce soit Dieu.
Et qui d’autre ?
N’importe qui, n’importe quoi : le hasard, un accident, un manipulateur haut placé. Quelqu’un a peut-être découvert un secret qu’il ne veut pas révéler.
L’un d’entre nous. Impossible.
La nature alors. La nature qui intervient pour secourir l’homme.
Tu parles comme un membre d’une secte.
Nous sommes sûrs que les Cyborgs ne sont pas responsables.
Glisson a dit que c’était un avantage. Mais cela relève du modelage génétique. Pour eux, le modelage est un blasphème. Ils préfèrent modifier le cadre biologique.
Comme Glisson. Ce robot recouvert de chair. Elle pressa sa joue contre son mari. C’est ce dont j’ai peur : ils en feront autant de notre fils… de nos fils.
Le nombre des messagers dépasse celui des Cyborgs, et de loin. Tant que nous resterons unis, nous vaincrons.
Mais nous ne sommes faits que de chair. Nous sommes si faibles.
Oui, mais nous pouvons faire une chose que les Stéris ne peuvent pas faire : perpétuer notre race.
Et alors ? Les Optimhommes, eux, sont immortels.
CHAPITRE VIII
Svengaard attendit la nuit et, avant de descendre dans la salle d’opération, il vérifia sur les écrans d’observation de son bureau que la route était libre. En dépit du fait qu’il s’agissait de « son hôpital » et qu’il avait donc parfaitement le droit de se trouver là, il avait l’impression de transgresser un interdit. Il avait bien compris le sens de l’entretien qui s’était déroulé au Centre et il savait pertinemment que les Optimhommes n’aimeraient pas ce qu’il allait faire. Pourtant, il devait regarder dans l’éprouvette.