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Une autre porte s’ouvrit à sa gauche pour révéler une petite femme blonde aux yeux bleus qui le regarda, étonnée. Une fois encore, il se surprit à analyser les indices du modelage génétique. Ces quelques signes infimes d’humanité le rassurèrent. Derrière la femme, il aperçut une cabine d’enregistrement.

— Mes chaussures me serrent, dit-il.

— À chacun sa peine, répondit-elle en avalant sa salive.

— Je suis le docteur Potter. Je crois qu’on vient de tuer mon guide.

— Par ici. Et elle s’effaça pour le laisser passer.

Encore sous le choc, Potter pénétra dans une pièce où s’alignaient des bureaux vides. Les conséquences du spectacle violent auquel il venait d’assister l’avaient ébranlé au plus profond de lui-même.

La femme le conduisit par le bras jusqu’à une autre issue.

— Par là, nous devrons emprunter les tubes de service. C’est notre seule chance. Dans quelques minutes tout le coin sera cerné.

Potter s’arrêta, bien décidé à ne plus faire un pas.

Sans savoir au juste à quoi s’attendre, il n’avait jamais envisagé qu’on emploierait la violence.

— Où allons-nous, demanda-t-il ? Que voulez-vous de moi ?

— Vous ne le savez donc pas ?

— Il… ne m’a rien dit.

— On vous expliquera tout. Pressez-vous.

— Je ne bougerai pas d’un millimètre tant que vous ne m’aurez pas exposé ce que l’on attend de moi.

La femme laissa échapper un juron des plus vulgaires.

— Bon, puisqu’il le faut. Vous allez implanter l’embryon Durant dans le ventre de sa mère. C’est le seul moyen de le faire sortir d’ici.

— Dans le ventre de sa mère ?

— Comme jadis. C’est dégoûtant, je le sais, mais il n’est pas possible de faire autrement. Maintenant, filons.

Potter se laissa entraîner.

CHAPITRE XI

Dans le gros globe rouge, les membres de la Tuyère, assis sur leur trône, lisaient, examinaient, reliaient, ordonnaient, classifiaient information après information. Devant chacun d’eux s’élevait un écran incurvé de cent vingt degrés où s’inscrivaient les opérations sous des aspects différents : fonctions mathématiques et analogues, figurations proportionnelles des rapports inférieur/supérieur en pyramides lumineuses, rapports visuels en forme de grille de chiffres binaires, en courbes destinées à illustrer les actions/réactions, éclairées en vert phosphorescent, etc.

Les écrans supérieurs montraient les Optimhommes mobilisés par le travail du Centre ce matin-là : plus de mille.

D’un mouvement incontrôlé, Calipine faisait tourner sur son pouce gauche l’anneau de rationnement tout chargé de pouvoir. Des désirs qu’elle aurait été incapable de définir la tourmentaient. Elle trouvait accablant le travail de contrôle, insupportables ses deux compagnons. À l’intérieur de la sphère, il n’y avait ni jour ni nuit ; le temps s’écoulait au même rythme et tous les compagnons tendaient à se ressembler, à se fondre en une même image.

— J’ai de nouveau étudié l’enregistrement de la synthèse protéinique préparée pour l’embryon Durant, annonça Nourse. Il jeta un coup d’œil à Calipine à travers le réflecteur placé à côté de lui et tambourina impatiemment de ses doigts sur le bras de son fauteuil de plasmeld sculpté.

— On a manqué quelque chose, on a manqué quelque chose, chantonna Calipine qui surprit Schruille en train de se frotter les mains sur sa tunique, un geste causé, semblait-il, par la plus extrême nervosité.

— Mais il se trouve que j’ai enfin découvert ce que nous avons manqué.

Un mouvement de la tête de Schruille attira l’attention de Nourse qui se retourna. Les deux Optimhommes s’observèrent un moment à travers les prismes. Nourse s’aperçut alors que Schruille avait une minuscule tache sur la peau, à côté du nez.

Curieux, pensa-t-il. Comment est-ce possible ? Ce ne peut être qu’un déséquilibre enzymatique.

— Eh bien ! qu’y a-t-il ? demanda Schruille.

— Vous avez une tache à côté du nez, dit Nourse.

L’autre le regarda.

— C’est l’embryon qui vous l’a dit ? s’enquit Calipine, moqueuse.

— Hein !… Oh ! non, bien sûr.

— Alors, qu’avez-vous découvert ?

— Voilà… il apparaît qu’on peut répéter l’opération réalisée par Potter, à condition d’avoir un embryon de même type et d’administrer la dose convenable de protamine.

Schruille haussa les épaules.

— Avez-vous reconstitué le déroulement de l’opération ? demanda Calipine.

— Dans ses grandes lignes.

— Potter pourrait-il recommencer ?

— Peut-être, même Svengaard.

— Qu’on nous en préserve, murmura Calipine. Les Optimhommes prononçaient cette formule toute faite sans y prêter attention, mais Calipine, cette fois, s’entendit et le mot « préserve » parut s’inscrire devant elle en lettres de feu.

Elle fit pivoter son trône.

— Où est Max ? interrogea Schruille.

Nourse pinça les lèvres en entendant le ton geignard.

— Max travaille, répondit-il. Il est occupé.

Schruille leva les yeux vers les caméras qui le surveillaient ; en songeant à leurs semblables installés derrière les lentilles : les Actionnistes qui considéraient les événements comme autant de défis à leurs capacités, et ignoraient la violence emmagasinée au Centre ; les Émotifs, peureux, plaintifs, presque paralysés par leur sentiment de culpabilité ; les Cyniques qui ne s’intéressaient qu’au nouveau jeu (la plupart des spectateurs étaient des Cyniques, d’après Schruille) ; les Hédonistes, irrités par des problèmes urgents qui entravaient leurs divertissements ; et les Blasés, toujours en quête d’une occasion pour exercer leur ironie.

Connaîtrons-nous un nouveau parti ? Les Brutaux, privés de sensibilité par l’instinct de conservation ? Nourse et Calipine n’ont pas encore affronté cela.

Il haussa de nouveau les épaules.

— Max nous appelle, annonça Calipine, sur mon écran transitoire.

Après avoir réglé leurs appareils, Schruille et Nourse virent apparaître le visage rude, solide et râblé d’Allgood.

— Au rapport, déclara ce dernier.

Calipine scruta le visage du chef de la Sécurité. Il lui parut inquiet, peu sûr de lui, effrayé même.

— Et Potter ? demanda Nourse.

Allgood cilla.

— Pourquoi ne répond-il pas ? fit remarquer Schruille.

— Parce qu’il nous adore, expliqua Calipine.

— L’adoration est produite par la peur, commenta Schruille. Il veut peut-être nous montrer quelque chose, un enregistrement, une information capitale. C’est cela, n’est-ce pas, Max ?

Sur l’écran, Max les regarda tous les trois tour à tour. Ils avaient de nouveau perdu tout sens du temps et se retrouvaient plongés dans la quête incessante des informations ; effet secondaire de l’immortalité : des bagatelles les absorbaient tout entier, mais Max espérait bien cette fois qu’ils resteraient absorbés par leur recherche.

— Où est Potter ? répéta Nourse.

Allgood avala sa salive.

— Potter nous a… temporairement faussé compagnie. Mieux valait ne pas mentir ni esquiver la question.

— Faussé compagnie ? dit Schruille.

— Comment ? reprit Nourse.

— Il y a eu… de la violence, affirma Allgood.