Выбрать главу

— Nous prenons de la vitesse, dit Igan. Nous devons nous trouver sur la voie aérienne.

— Y aura-t-il des postes de contrôle ? demanda Boumour.

— C’est sûr.

Igan avait raison, pensa Harvey. Oui, il prenait bien de la vitesse ; dans les virages, ils compensaient avec leurs corps l’augmentation de la pression, et l’air dispensé par le large ventilateur situé sous la banquette de Lizbeth arrivait plus vite maintenant. De plus, ils étaient moins secoués. Le bruit des turbines résonnait fortement dans leur étroit compartiment qui sentait les hydrocarbones non consumés.

Des postes de contrôle ? Bien sûr, la Sécurité mettrait tout en œuvre pour éviter qu’on ne s’échappe de Seatac. Il se demanda alors ce qui allait arriver à la mégalopole. Les chirurgiens avaient parlé de gaz toxiques distillés par les ventilateurs et les haut-parleurs. Le Centre avait, parait-il, plus d’une arme en réserve.

Comme le camion prenait un virage raide, Harvey retint sa femme par le bras. Il ne savait trop quoi penser de la décision de Lizbeth. C’était… bizarre. Ni obscène ni dégoûtant, bizarre, simplement. Pour le moment, il réagissait de façon instinctive en cherchant autour d’elle les dangers qui pourraient la menacer. Mais, comme assaillants il n’y avait dans cette boîte que les odeurs d’huile et de transpiration.

— Qu’y a-t-il autour de nous ? demanda Boumour.

— Du bric-à-brac, répondit Igan, des pièces de mécanique, de vieilles œuvres d’art, des babioles. Nous avons pris tout ce qui nous est tombé sous la main pour donner l’impression d’un chargement normal.

— Des babioles, se répéta mentalement Harvey. Cette déclaration le scandalisait. Des babioles. Il transportait donc des pièces destinées à des machines qui ne seraient peut-être jamais construites.

La main de Lizbeth chercha la sienne.

— Harvey ?

— Oui, chérie, répondit-il en se penchant vers elle.

— Je me sens… si drôle.

Harvey jeta un regard désespéré aux médecins.

— Tout ira bien, dit Igan.

— Harvey, j’ai peur, reprit Lizbeth. Nous n’allons pas nous en sortir.

— Ne dites pas cela, rétorqua Igan.

Elle leva les yeux vers lui et vit le chirurgien génétique en train de l’observer. Les yeux de l’homme brillaient comme deux instruments métalliques dans son visage mince et hautain. Était-ce un Cyborg lui aussi ? Le regard glacé qu’il posait sur elle lui fit perdre son sang-froid.

— Ce n’est pas pour moi que j’ai peur, siffla-t-elle, mais pour mon fils.

— Gardez votre calme, madame, conseilla Igan.

— Je ne peux pas. Nous n’y arriverons jamais.

— Vous ne devriez pas réagir comme cela. Nous avons un des meilleurs conducteurs cyborgs disponibles.

— Nous ne leur échapperons pas quand même, gémit-elle.

— Vous feriez mieux de vous calmer, répéta le chirurgien.

Harvey avait enfin trouvé une occasion de manifester son instinct de protection.

— Ne lui parlez pas sur ce ton ! aboya-t-il.

— Vous aussi, Durant, répliqua Igan d’une voix patiente, parlez plus bas. Vous savez aussi bien que moi que l’itinéraire est jonché de postes d’écoute. Nous ne devrions plus dire un mot, sauf en cas de nécessité absolue.

— Rien ne pourra triompher d’eux, cette nuit, murmura Lizbeth.

— Notre guide n’est pas seulement une enveloppe de chair autour d’un ordinateur, affirma Igan. Il est programmé uniquement pour cette mission et il nous fera passer, si c’est possible.

— Si c’est possible, chuchota Lizbeth qui se mit à sangloter. De violents mouvements convulsifs secouèrent tout son corps.

— Regardez ce que vous avez fait, s’exclama Harvey.

Avec un soupir, Igan lui tendit une pilule.

— Donnez-lui cela.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Un simple sédatif.

— Je ne veux pas de… sédatif ! hoqueta Lizbeth.

— C’est pour votre bien, ma chère, fit remarquer Igan. Une telle crise pourrait décrocher l’embryon. Vous devriez rester calme ; l’opération est encore récente.

— Elle n’en veut pas, répéta Harvey, les yeux étincelants de colère.

— Il faut qu’elle la prenne, insista Igan.

— Si elle veut.

Igan s’efforça de conserver un ton pondéré.

— Durant, je ne fais qu’essayer de sauver nos vies. Vous êtes en colère et vous…

— Bon Dieu, oui, je suis en colère. J’en ai plus qu’assez qu’on me donne des ordres.

— Si je vous ai vexé, je vous en demande pardon, répondit le chirurgien. Mais je dois vous prévenir que votre réaction est conditionnée par votre modelage génétique : vous avez un surplus d’instinct de protection. Rassurez-vous, votre femme ira bien, ce sédatif est complètement inoffensif. Elle, de son côté, est victime d’un trop-plein d’instinct maternel. Votre modelage est défectueux, mais si vous conservez votre sang-froid, vous vous en tirerez bien tous les deux.

— Qui a dit que notre modelage génétique était défectueux ? demanda Harvey. Je parie que vous n’êtes qu’un Stéri qui n’a jamais…

— Durant, ça suffit, interrompit Boumour d’une voix basse et caverneuse.

Harvey regarda le second chirurgien et fut frappé par le contraste entre la petite tête de lutin et le gros corps. L’homme lui parut d’une force inquiétante ; à ses yeux, son visage n’avait plus rien d’humain.

— Nous ne pouvons pas passer notre temps à nous quereller, gronda Boumour. Nous devons approcher du poste de contrôle, ils auront à coup sûr des appareils d’écoute.

— Nous ne sommes pas ratés, grommela Harvey.

— Peut-être pas, répondit Igan. Mais une chose est certaine, vous êtes tous les deux en train de diminuer nos chances de fuite. Si l’un de vous craque à ce contrôle, nous sommes perdus. Il tendit la pilule à Lizbeth. Je vous en prie, madame, prenez-la. Elle ne contient qu’un tranquillisant, sans danger aucun, je m’en porte garant.

Lizbeth prit la capsule avec hésitation. Elle lui parut froide, gélatineuse – répugnante. Elle aurait bien aimé la jeter à la figure du médecin, mais Harvey lui caressa la joue.

— Tu ferais peut-être mieux de la prendre. À cause du bébé.

Elle porta la main à sa bouche, projeta la pilule dans sa gorge. Si Harvey était d’accord… Cependant, elle n’aimait pas la vexation qu’elle lisait dans son regard.

— Détendez-vous maintenant, dit Igan. Ça agit vite ; dans trois ou quatre minutes, vous vous sentirez parfaitement bien. Il s’adossa à son siège et jeta un coup d’œil à Svengaard. Le paquet entortillé semblait encore plongé dans l’inconscience ; la poitrine se soulevait et s’abaissait à un rythme régulier.

Depuis un long moment, à ce qu’il lui semblait, une faim grandissante tenaillait Svengaard. Il avait aussi conscience des mouvements et des virages qui envoyaient son corps cogner contre une surface dure. Les mouvements créaient une sensation de vitesse ; une odeur de transpiration humaine lui chatouillait les narines. Le rugissement des turbines qui lui parvenait commençait à l’indisposer. Une lumière faible et papillotante tentait de se frayer un chemin entre ses paupières lourdes. Il sentit qu’un bâillon lui bordait les lèvres et que des liens emprisonnaient ses pieds et ses mains. Il ouvrit les yeux. D’abord il eut du mal à accommoder son regard ; peu à peu, il parvint cependant à distinguer un plafond bas au-dessus de lui et, dans un coin, un tube lumineux surmonté par le grillage d’un haut-parleur et flanqué d’un avertisseur rouge sombre. Le tube lumineux produisait un éclat jaunâtre qui dissipait mal les ténèbres environnantes. Le plafond lui parut trop proche de lui. Il perçut une ombre qui s’étirait à sa droite : une jambe lancée au-dessus de son corps. À ce moment, l’avertisseur se mit à clignoter ; des éclairs rouges intermittents.