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— Nous le ferons, s’entêta Lizbeth.

Harvey admira son courage : elle jouait si bien son rôle ! Allant jusqu’à mettre cette pointe d’hésitation dans sa voix.

— Autrement je ne pourrai pas supporter d’attendre sans savoir, continua sa femme.

Svengaard se demanda s’il oserait faire pression sur eux, par exemple en faisant appel à leur respect, ou par une démonstration d’autorité, mais un coup d’œil à la carrure d’Harvey et aux yeux implorants de Lizbeth le retint. Ils allaient observer.

— Très bien, acquiesça-t-il avec un sourire.

— Nous observerons d’ici ? demanda Harvey.

— Bien sûr que non ! Svengaard était outré.

Quelle bande de primaires ! Il se domina ; après tout, une telle ignorance résultait du mystère que l’on entretenait soigneusement autour du modelage génétique. On va vous donner une chambre, reprit-il sur un ton plus calme, reliée directement au laboratoire. L’infirmière vous y conduira.

Mrs Washington donna une nouvelle preuve de ses compétences en apparaissant à la porte à ce moment précis. Elle avait donc écouté tout l’entretien. Une bonne infirmière ne laisse rien au hasard…

— Il n’y a rien d’autre à voir ici ? demanda Lizbeth.

Le médecin enregistra le ton suppliant et remarqua qu’elle évitait de poser les yeux sur l’éprouvette. Tout le mépris qu’il avait refoulé déferla dans sa voix quand il lui répondit :

— Et que vouliez-vous voir d’autre, Mrs Durant ? Vous ne vous attendiez pas à ce qu’on vous montre la morula ?

Harvey tira sa femme par le bras.

— Merci, docteur.

Une fois de plus, Lizbeth examina la pièce sans regarder l’éprouvette.

— Oui, merci de nous avoir montré… cette pièce. C’est réconfortant de voir comment… vous êtes prêt… à faire face à toutes les éventualités. Ses yeux se fixèrent sur l’évier.

— C’est avec plaisir, croyez-moi. L’infirmière va vous donner la liste des noms permis, vous allez pouvoir en chercher un pour votre fils si ce n’est déjà fait. Il se tourna vers l’infirmière : « Veuillez conduire les Durant au salon numéro cinq. »

— Si vous voulez bien me suivre, dit l’infirmière avec cet air exaspéré de femme débordée par le travail que Svengaard suspectait d’aller de pair avec l’obtention du diplôme.

Les Durant furent aspirés dans son sillage.

Le médecin reporta son attention sur l’éprouvette.

Il y avait tant à faire : Potter, le spécialiste du Centre, devait arriver dans moins d’une heure… et il n’apprécierait guère ce qui se passait. Les gens comprenaient si mal les affres des médecins. La préparation psychologique des parents dévorait une grande partie d’un temps précieux… tout en compliquant les problèmes de sécurité. Svengaard se remémora les cinq instructions « À détruire après lecture » qu’il avait reçues le mois dernier de la part de Max Allgood, le patron de la Sécurité du Centre. C’était inquiétant : il semblait qu’un nouveau danger mettait la Sécurité sur les dents.

Cependant le Centre insistait pour que s’instaure le dialogue avec les parents. Svengaard se doutait bien que les Optimhommes avaient de bonnes raisons pour agir comme ils le faisaient ; ils ne laissaient rien au hasard ou presque. Parfois, il avait lui-même l’impression d’être comme un orphelin, une créature sans ancêtre ni passé. Pour s’arracher à ces moments de dépression, il lui suffisait de se rappeler la devise : Eux nous dirigent, eux nous aiment, eux prennent soin de nous. Eux tenaient le monde dans leurs mains, ils avaient soigneusement planifié l’avenir : une place pour chaque homme, chaque homme à sa place. On avait délaissé momentanément quelques-uns des plus vieux rêves de l’humanité comme la conquête spatiale, l’exploitation des ressources maritimes ou la résolution des grands problèmes philosophiques au profit de réalisations plus urgentes. Leur tour viendrait, le jour où on aurait résolu les mystères de la manipulation génétique.

En attendant, le travail ne manquait pas pour les bonnes volontés : il fallait maintenir le nombre des travailleurs, endiguer les déviations de toutes espèces et entretenir le magma génétique d’où provenaient les Optimhommes eux-mêmes.

Svengaard plaça le microscope électronique au-dessus de l’éprouvette des Durant et le régla sur un grossissement minimum afin de réduire l’interférence d’Heisenberg. Une vérification supplémentaire ne ferait de mal à personne ; avec un peu de chance, il réussirait peut-être à localiser la cellule mère, ce qui simplifierait la tâche de Potter. Mais en se penchant sur le microscope, Svengaard savait qu’il se donnait de bonnes raisons. En réalité, il ne pouvait résister à la tentation d’observer de nouveau cette morula qui pouvait engendrer, d’où naîtrait peut-être un Optimhomme. Les miracles se faisaient si rares. Il brancha l’appareil et effectua la mise au point.

Il eut un soupir.

À faible grossissement, la morula semblait reposer dans un calme total ; la stase réduisait toutes les pulsations. En dépit de cet état de somnolence, elle paraissait très belle ; elle n’avait guère conservé de traces des batailles qui s’étaient livrées en elle.

Svengaard, qui s’apprêtait à augmenter le grossissement, arrêta son geste. Un agrandissement trop important présentait des dangers, mais Potter saurait bien corriger les minces résidus d’interférence. La tentation se fit plus forte.

Il doubla le grossissement.

Et il le doubla encore.

L’agrandissement réduisait toujours l’aspect de la stase. Des mouvements apparaissaient ; des scintillements semblables à des étoiles filantes se dessinaient dans l’arrière-plan encore flou. À la surface de cette arène bouillonnante surgissait la triple spirale de nucléotides qui l’avait poussé à appeler Potter. Presque un Optimhomme. Presque l’achèvement unique, l’équilibre de la forme et du contenu qui, grâce à un dosage soigneusement calculé d’enzymes, pourrait bénéficier du don de la vie et de l’immortalité.

Un sentiment de frustration envahit Svengaard. Sa propre dose d’enzymes, tout en le maintenant en vie, le menait inéluctablement à la mort. C’était le sort commun de tous les hommes. Leur espérance de vie était de deux cents ans, plus parfois… mais à la fin, l’équilibre des échanges se rompait pour tous, sauf pour les Optimhommes. Ils étaient parfaits, uniquement limités par leur stérilité physique. Mais c’était là le sort de bien des humains, qui n’entamait en rien leur immortalité.

Sa propre stérilité donnait à Svengaard une espèce de sentiment confus de communion avec les Optimhommes.

Et les Optimhommes résoudraient également ce problème… un jour.

Il se concentra sur la morula. À ce stade de l’agrandissement, une suspension d’acides aminés renfermant du soufre devint apparente. Elle était animée de faibles mouvements. Svengaard identifia avec surprise de l’isovalthine, un indice génétique d’un myxœdème latent, le symptôme d’une déficience possible du système thyroïdien. Un défaut inquiétant dans un organisme proche de la perfection. Aucun doute possible : il faudrait le signaler à Potter.

Il réduisit le grossissement afin d’étudier la structure mitochondrie ; des nombreux replis de la membrane interne, il passa à la membrane externe et s’arrêta sur le compartiment hydrophilique. Oui… on pourrait équilibrer l’isovalthine. Tout espoir de perfection n’était pas perdu.

Des tremblotements se manifestèrent à la limite du champ de vision du microscope.

Svengaard se raidit : Bon Dieu, non !

À la vue d’un phénomène qui ne s’était produit que huit fois dans toute l’histoire de la manipulation génétique, il se pétrifia.