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— Tout ira bien, chuchota Igan à l’oreille d’Harvey. Aidez-la à se lever et à descendre.

— Je… je me sens bien, dit Lizbeth. Voilà. Elle passa un bras autour des épaules de son mari et tous deux descendirent du camion.

— Où sommes-nous ? demanda Igan qui les avait suivis.

— Dans un endroit pour aller ailleurs, répondit Glisson. Quel est l’état du prisonnier ?

— Il revient à lui, dit Boumour qui se trouvait encore au fond du véhicule. Aidez-moi à le sortir d’ici.

— Pourquoi nous sommes-nous arrêtés ? demanda Harvey.

— À cause d’une pente raide, expliqua Glisson. Nous abandonnons le chargement ici. Le camion ne peut pas aller plus loin.

Boumour et Igan portant Svengaard vinrent l’adosser à une souche.

— Attendez que je libère la remorque, dit Glisson. Pendant ce temps-là, décidez de ce que nous devons faire de Svengaard.

En entendant son nom, le prisonnier ouvrit les yeux et découvrit les lumières lointaines de la cité. Il avait mal à la mâchoire à cause du coup de poing d’Harvey ; le sang lui battait aux tempes. Ses mains étaient engourdies par les liens. En outre, il avait faim et soif. Un parfum de verdure lui emplit les narines et le fit éternuer.

— Il faudrait peut-être se débarrasser de lui, proposa Igan.

— Je ne crois pas, répondit Boumour. C’est un homme expérimenté, donc une recrue possible. Nous allons avoir besoin d’hommes expérimentés.

Svengaard regarda en direction des voix ; le groupe se tenait près de la longue silhouette argentée du camion que précédait la double cabine rebondie. On entendit un bruit métallique quand la remorque glissa de deux mètres en arrière avant de buter contre un monticule de terre.

Glisson revint à ce moment s’accroupir auprès de Svengaard.

— Qu’avez-vous décidé ? On le tue ou on le garde ?

Harvey eut un hoquet et sentit Lizbeth s’accrocher à son bras.

— On le garde pour le moment, répondit Boumour.

— S’il ne nous cause pas d’autres ennuis, ajouta Igan.

— On pourra toujours en utiliser certaines parties, conclut le Cyborg. Ou fabriquer un autre Svengaard et lui donner une autre formation. Il se releva. Une décision immédiate ne s’impose pas.

Svengaard resta muet. L’élocution parfaite, la voix neutre du Cyborg le glaçaient. Un homme dur, brutal, pensa-t-il. Prêt à la violence. Un tueur.

— Montez dans la cabine avec lui, ordonna Glisson. Tous. Il faut nous rendre à… Il s’interrompit et regarda vers la mégalopole.

Des zébrures bleues et blanches striaient l’horizon. Un éclair doré d’une luminosité aveuglante les déchira sur la gauche, bientôt suivi par un autre. On aurait cru qu’un gigantesque feu d’artifice se déployait devant les montagnes pétrifiées dans la clarté lunaire. De nouveaux éclairs jaunes se succédèrent, sur la droite cette fois ; les vibrations sonores ébranlèrent le chirurgien des pieds à la tête. La caisse du véhicule résonna à l’unisson.

— Que se passe-t-il ? demanda Lizbeth d’une voix plaintive.

— Silence, ordonna Glisson. Regardez.

— Dieux de vie, s’exclama la jeune femme, mais qu’est-ce que c’est ?

— La mort de la mégalopole, dit Boumour.

Les vibrations sonores agitèrent de nouveau le camion.

— Ça fait mal, murmura Lizbeth.

— Les monstres, dit Harvey en attirant sa femme à lui.

— Ici, l’on souffre, dit Igan d’une voix froide et solennelle ; là-bas, on meurt.

Dix kilomètres en dessous de l’endroit où les fuyards se trouvaient, un brouillard vert envahit l’atmosphère par couches successives ; il recouvrit les collines, les joyaux de lumière, les éclairs dorés comme un océan déchaîné.

— Aviez-vous prévu qu’ils emploieraient le brouillard de la mort ? demanda Boumour.

— Nous savions ce qu’ils feraient, lui répondit Glisson.

— Je vous crois. Ils stérilisent la région.

— Qu’est-ce que cela veut dire ? interrogea Harvey.

— Le brouillard émane des ventilateurs par lesquels ils répandent d’habitude le gaz contraceptif, expliqua le chirurgien, un soupçon sur notre peau et c’est fini.

Igan vint regarder Svengaard les yeux dans les yeux.

— Eux nous aiment, eux nous protègent, eux prennent soin de nous, récita-t-il sur un ton ironique.

— Que se passe-t-il donc ? demanda Svengaard.

— Vous n’entendez pas ? Vous ne voyez pas ? Vos amis les Optimhommes sont en train de stériliser Seatac. Aviez-vous des amis dans la ville ?

— Des amis ? Svengaard parlait d’une voix brisée. Il se détourna pour contempler le brouillard. Au loin, toutes les lumières s’étaient éteintes.

Des vibrations les firent encore une fois trembler, agitant le sol et le camion.

— À présent que pensez-vous d’eux ? insista Igan.

Svengaard secoua la tête car il ne pouvait plus parler. Pourquoi le système de protection n’interrompait-il pas la scène ? Ses organes sensoriels transmettaient à sa conscience une perception anormale de la réalité… une aberration inouïe. Voilà, ce ne pouvait être qu’une erreur de ses sens, une hallucination.

— Pourquoi ne répondez-vous pas ? reprit l’autre.

— Laissez-le tranquille, dit Harvey. Nous aussi nous souffrons. Vous n’avez donc pas de cœur ?

— Ses yeux sont ouverts, mais il refuse de croire.

— Comment ont-ils pu faire une chose pareille ? murmura Lizbeth.

— Instinct de conservation, grogna Boumour. Une caractéristique dont notre ami Svengaard semble dépourvu. On l’en a sans doute privé lors de son modelage.

Svengaard ne pouvait détacher les yeux du nuage vert qui continuait de s’étendre avec douceur. Là-bas la nuit la plus épaisse avait remplacé la vie et la lumière. Depuis cette brusque disparition, il avait une conscience aiguë de sa condition de mortel et il repensait à ses amis, au personnel de l’hôpital, aux embryons, à son épouse et compagne.

Tous annihilés.

Il se sentait vide, incapable d’éprouver la moindre émotion, même un ressentiment. Une question revenait sans cesse : Quel était leur but ?

— Dans la cabine avec lui, ordonna Glisson. À l’arrière, sur le plancher.

Des mains brutales le soulevèrent ; il reconnut Boumour et Glisson. L’absence d’émotivité de ces derniers ne cessait de le surprendre. Jamais auparavant, il n’avait rencontré un être dépourvu à ce point d’humanité.

Quand ils le roulèrent sur le sol de la cabine, le montant pointu d’un siège s’enfonça dans ses côtes. Ensuite, des jambes l’entourèrent ; quelqu’un posa même un pied sur son estomac, puis le retira. Les turbines vrombirent. Une porte claqua. Le véhicule démarra.

Svengaard fut envahi par une sorte de torpeur.

Lizbeth, qui était assise au-dessus de lui, poussa un profond soupir. En l’entendant, il fut saisi d’une sincère compassion pour la jeune femme. C’était la première émotion qu’il ressentait depuis la destruction de la mégalopole.

Pourquoi ont-ils fait cela ? se demanda-t-il. Pourquoi ?

Dans l’obscurité, Lizbeth saisit la main de son mari. De temps à autre le clair de lune éclairait la silhouette de Glisson qui se trouvait assis juste devant elle. L’économie de ses mouvements, la puissance que dégageait chacun de ses gestes emplissaient la jeune femme d’une inquiétude croissante. En outre, la cicatrice la démangeait ; elle aurait voulu se gratter mais, redoutant d’attirer l’attention sur elle, elle s’abstint. Le service des courriers s’était édifié lentement, en marge des Cyborgs et des Optimhommes, grâce en partie à la discrétion de ses membres. En ce moment, tenaillée par la peur, elle obéissait aux consignes données à l’entraînement.