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En entendant ces mots, Lizbeth fut prise de tremblements. Harvey lui tapota le bras et s’écarta d’elle.

— Harvey ? appela-t-elle.

Mais son mari secoua la tête et continua d’avancer vers Svengaard.

Curieux, Igan vint se ranger aux côtés de Boumour.

Harvey s’agenouilla derrière le chirurgien, noua les doigts autour de sa gorge et en même temps se pencha au-dessus de son oreille.

— Pour eux, votre vie n’a aucune importance, dit-il en un murmure perceptible seulement par Svengaard. Ils s’en moquent. Vous, qu’en pensez-vous ?

Svengaard sentit les doigts s’enfoncer dans sa gorge. Il aurait pu tenter avec ses mains liées de desserrer l’étau mortel, mais il n’y serait pas parvenu. Il avait mesuré la force physique d’Harvey.

— Que choisissez-vous ? chuchota Harvey.

— Allez-y, mon vieux, encouragea Boumour.

Quelques secondes plus tôt, Svengaard était résigné à mourir ; il appelait même la mort. Maintenant, il aurait voulu la repousser de toutes ses forces.

— Je veux vivre, hoqueta-t-il.

— C’est ce que vous avez choisi ?

— Oui.

— Vous parlez à cet homme ? dit Boumour.

— Pourquoi désirez-vous vivre, demanda Harvey à voix haute en relâchant légèrement la pression de ses doigts. Même l’individu le plus inexpérimenté aurait su interpréter ce mouvement.

— Parce que je n’ai pas vécu jusqu’à présent. Je veux essayer maintenant.

— Mais comment justifiez-vous votre existence ? Harvey resserra un peu les doigts.

Svengaard, comprenant enfin le courant des pensées de son bourreau, tourna les yeux vers Lizbeth, puis vers Igan et Boumour.

— Vous n’avez pas répondu à ma question, dit celui-ci. De quoi parlez-vous avec le prisonnier ?

— Ce sont tous les deux des Cyborgs ? demanda Svengaard.

— Sans aucun doute possible. Ils n’éprouvent aucun sentiment humain, ce qu’ils ressentent est quasiment inexistant.

— Alors, comment pouvez-vous leur confier votre femme ?

Les doigts relâchèrent leur prise.

— Je pourrais justifier mon existence, conclut Svengaard.

Harvey lui étreignit les épaules. Le contact charnel assurait entre les deux hommes une complicité qu’aucun mot n’aurait pu traduire. Svengaard venait de trouver un allié.

Boumour vint se planter devant eux.

— Vous le tuez, oui ou non ?

— Personne ne tuera cet homme.

— Mais qu’avez-vous fait alors ?

— J’ai résolu un problème. La main d’Harvey n’avait pas quitté le bras de Svengaard. Ce dernier découvrit qu’il était capable de comprendre les intentions de l’autre à la simple pression de sa main. Attendez, ne bougez pas. Je m’occupe de cette question, voilà ce qu’il lui disait.

— Et qu’allez-vous faire de votre prisonnier ? reprit Boumour.

— Je vais le libérer et lui confier ma femme.

Boumour le regarda, les yeux fixes.

— Si cette décision nous déplaît ?

— C’est une sottise, rugit Igan. Comment pouvez-vous lui faire confiance alors que nous sommes là.

— C’est un être humain, comme nous. Il se conduira avec ma femme comme un être humain, non comme une mécanique qui la considère comme un moyen pratique de transporter un embryon.

— Absurde, aboya Igan qui s’aperçut trop tard qu’Harvey avait percé leur véritable nature.

Il allait continuer quand un geste de Boumour le fit taire.

— Vous ne nous avez toujours pas expliqué ce que vous ferez en cas d’opposition de notre part.

— Vous n’êtes pas des Cyborgs complets. Je perçois chez vous des incertitudes, des angoisses. Toutes choses nouvelles pour vous. Vous êtes en train de vous modifier et vous restez donc vulnérables.

Boumour recula de trois pas ; ses yeux étudiaient son adversaire.

— Et Glisson ? demanda-t-il.

— Glisson cherche des alliés solides. En voici un.

— Comment savez-vous que vous pouvez avoir confiance en lui ? insista Igan.

— En posant cette question vous révélez votre inefficacité. Harvey lui tourna le dos et commença à détacher les mains de Svengaard.

— Vous en prenez la responsabilité, conclut Boumour.

Après avoir détaché les mains du chirurgien, Harvey s’agenouilla pour lui délier les pieds.

— Je vais chercher Glisson. Igan sortit.

Harvey se releva.

— Vous êtes au courant de l’état de ma femme.

— J’ai entendu Igan, répondit Svengaard. Tous les chirurgiens étudient l’histoire et les origines de la génétique. Je connais son état, en théorie.

Boumour renifla avec mépris.

— Voici la trousse d’Igan, dit Harvey en désignant la serviette noire qui gisait sur le sol.

— Dites-moi pourquoi ma femme est malade ?

— L’explication d’Igan ne vous satisfait pas ? Boumour semblait offensé.

— Il m’a dit que c’était naturel. Comment la maladie peut-elle être naturelle ?

— Elle a pris un médicament, demanda Svengaard. Savez-vous lequel ?

— Dans le camion, il lui avait donné une pilule identique, un tranquillisant, parait-il.

Svengaard s’approcha de Lizbeth, examina ses yeux et sa peau.

— Apportez-moi la trousse, demanda-t-il à Harvey. Il entraîna Lizbeth vers l’un des bat-flanc. L’idée de l’examen le fascinait. Autrefois, il aurait trouvé la situation répugnante ; maintenant le fait que Lizbeth portait en elle un embryon, comme jadis toutes les femmes, constituait un mystère qui excitait sa curiosité.

Pendant que Svengaard l’aidait à s’installer, la jeune femme jeta un coup d’œil interrogateur à son mari. Celui-ci acquiesça avec une expression rassurante. Lizbeth essaya de lui sourire sans y parvenir. La peur s’était emparée d’elle, non la peur du chirurgien dont elle trouvait le toucher sûr, mais la peur d’être examinée. En elle l’angoisse luttait contre le calmant donné par Igan.

Svengaard ouvrit la trousse, en se remémorant les tableaux et les explications fournis par les enregistrements universitaires. Ils avaient fait l’objet de plaisanteries douteuses, mais les plaisanteries avaient un avantage : elles fixaient les notions primordiales dans la mémoire.

Cramponne-toi bien. Une fois tombé, il te faudra savoir nager. Il entendait encore le refrain et les rires sonores qui l’accompagnaient.

Il se courba pour se concentrer sur la patiente. Pression artérielle… enzymes… sécrétions hormonales… sécrétions corporelles…

Cela fait, il se rassit le sourcil froncé.

— Quelque chose ne va pas ? demanda Harvey.

Boumour se tenait derrière lui, les bras croisés.

— Oui, expliquez-nous un peu.

— Le taux d’hormones menstruelles n’est pas assez élevé. Et il se rappela Cramponne-toi bien…

— L’embryon contrôle tous les échanges, ricana Boumour.

— Oui, mais alors pourquoi ce changement ? À vous de nous le dire vous qui possédez un savoir supérieur.

Svengaard ignora l’ironie du Cyborg et le regarda.

— Vous vous êtes déjà trouvé dans des circonstances identiques. Vos patientes n’ont-elles jamais fait de fausses couches spontanées ?

— Eh bien ?

— Quelques-unes, répondit enfin l’autre à contrecœur.

— J’ai l’impression que l’embryon n’est pas suffisamment accroché à l’endomètre. À la paroi de l’utérus, précisa-t-il à l’intention d’Harvey. Or l’embryon doit y adhérer fortement. Des hormones préparent le terrain pendant le cycle menstruel.

Boumour haussa les épaules.

— Bien sûr, nous avons eu un certain pourcentage de perte.