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— Ma femme n’est pas « un certain pourcentage », grommela Harvey qui se retourna pour fixer le chirurgien de telle sorte que l’autre recula.

— Ce sont des choses qui arrivent. Boumour vit Svengaard sortir de la trousse d’Igan une seringue toute préparée.

— Je vais lui injecter une petite dose d’enzymes, pour stimuler la sécrétion hormonale. Il s’aperçut qu’Harvey avait grand besoin d’être rassuré. C’est le mieux qu’on puisse faire, Durant. Ça devrait marcher à condition que son organisme n’ait pas été trop bouleversé par tout cela. D’un geste de la main, il engloba la fuite, les angoisses, l’épuisement.

— Faites tout ce que vous jugez bon, dit Harvey. Ce sera pour le mieux, je le sais.

Après la piqûre, Svengaard caressa le bras de Lizbeth.

— Essayez de vous reposer. Détendez-vous. Ne bougez que si c’est nécessaire.

Lizbeth hocha la tête. Elle avait lu les pensées de Svengaard et elle le savait sincère. En plus, la tentative faite pour rassurer Harvey l’avait touchée. Mais elle ne pouvait refouler toutes ses craintes.

— Glisson, murmura-t-elle.

Svengaard comprit ses préoccupations.

— Je ne lui permettrai pas de vous bouger tant que je ne serai pas sûr de votre état. Il attendra, c’est tout !

— Vous ne permettrez, pas, ironisa Boumour.

Comme pour souligner cette remarque, la terre se mit à trembler autour d’eux. Un nuage de poussière s’infiltra dans l’ouverture de l’abri et Glisson se matérialisa sous leurs veux comme un magicien.

Dès le premier soubresaut, Harvey s’était accroupi aux côtés de sa femme, l’avait agrippée par les épaules et il la protégeait maintenant de tout son corps.

Svengaard, de son côté, était encore agenouillé près de la trousse.

Boumour pivota pour faire face au nouvel arrivant.

— Des vibrations ?

— Non, répondit Glisson. La voix du Cyborg avait perdu sa monotonie habituelle ; on y décelait maintenant une intonation chantante.

Les quatre réfugiés remarquèrent alors que le Cyborg avait perdu ses bras. Les branchements pour les appareils de prothèses pendaient de ses épaules.

— Ils nous ont enfermés là-dedans, annonça Glisson. L’intonation chantante se répéta ; comme si quelque chose s’était cassé à l’intérieur du Cyborg. Ainsi que vous le voyez, je suis désarmé. Vous comprendrez maintenant pourquoi il est impossible de les affronter ouvertement. Ils peuvent détruire ce qu’ils veulent, qui ils veulent. Quand ils le veulent.

— Et Igan ? chuchota Boumour.

— Les Igans sont faciles à détruire. Je parle en connaissance de cause. Faites-vous une raison.

— Qu’allons-nous faire ? demanda Harvey.

Glisson le regarda de toute sa hauteur.

— Attendre.

— Ainsi l’un d’entre vous peut affronter un bataillon du service de Sécurité pour permettre l’évasion de Potter, remarqua Boumour, mais vous, vous ne pensez qu’à attendre.

— Je ne suis pas programmé pour la violence. Vous verrez bien ce qui arrivera.

— Que vont-ils faire, eux ? murmura Lizbeth.

— Tout ce qui leur plaira, répondit Glisson.

CHAPITRE XVIII

— Voilà qui est fait, dit Calipine.

Elle regarda tour à tour Nourse et Schruille à travers les réflecteurs.

— Avez-vous noté les émotions de Svengaard ? lui demanda Schruille en indiquant les équations mouvantes qui s’alignaient devant eux.

— Il était littéralement horrifié, commenta Calipine.

Schruille fit la moue et étudia les traits de son interlocutrice. Une visite à la pharmacie lui avait rendu son calme, mais elle était toujours abattue. Le kaléidoscope des lumières lui donnait un teint maladif. Des rougeurs marbraient son visage.

Nourse jeta un coup d’œil aux caméras des observateurs qui ponctuaient de leurs lampes rouges le sommet du pourtour du globe. Tous les Optimhommes, sans exception, épiaient le développement de la situation.

— Nous devons prendre une décision, dit Nourse.

— Nourse, vous avez l’air pâle, fit remarquer Calipine. Avez-vous des ennuis enzymatiques ?

— Pas plus que vous, répondit l’autre sur la défensive. Un simple déséquilibre. Ça va déjà mieux.

— Je propose qu’on nous les amène immédiatement, dit Schruille.

— Pour quoi faire ? demanda Nourse. Le développement de leur fuite a été parfaitement calculé. Pourquoi courir le risque de les voir à nouveau s’échapper ?

— Je n’aime pas savoir que des viables non enregistrés – qui pourrait dire leur nombre ? – se promènent en liberté.

— Êtes-vous sûr de pouvoir les prendre vivants ? demanda Calipine.

— Le Cyborg reconnaît lui-même les limites de ses capacités.

— À moins que ce ne soit une ruse, suggéra Nourse.

— Je ne crois pas, dit Calipine. Quand nous les aurons sous la main nous pourrons extirper les précisions dont nous avons besoin de leurs cerveaux grossiers.

Nourse fit pivoter son trône afin d’examiner Calipine de plus près ; il n’arrivait pas à comprendre la modification de sa conduite. Elle parlait avec la vulgarité d’une femme de la masse. On aurait cru un vampire réveillé par l’odeur du sang.

Qu’est-ce qui correspond pour elle à l’odeur du sang ? se demanda-t-il, et il fut choqué de la réponse qu’il donna à sa propre question.

— Et s’ils ont les moyens de se suicider ? intervint Nourse. Dois-je vous rappeler la manipulatrice et un grand nombre de nos chirurgiens qui semblent avoir rejoint les rangs de ces criminels. Nous avons été incapables d’empêcher leur autodestruction.

— Ce que vous êtes vulgaire, Nourse, dit Calipine.

— Vulgaire, moi ? Il secoua la tête en signe de dénégation. Je voudrais simplement empêcher de nouveaux ennuis. Détruisons-les nous-mêmes et reprenons ensuite notre tâche.

— Mais Glisson est un pur Cyborg, dit Schruille. Avez-vous idée de ce que sa « mémoire » est susceptible de révéler ?

— Je me souviens du Cyborg qui accompagnait Potter, dit Nourse. Mieux vaut ne pas courir de risques ; le calme de Glisson pourrait bien être une ruse.

— Moi, je suggère qu’on insuffle un somnifère dans leur prison provisoire.

— Agira-t-il sur un Cyborg ? Nous n’en savons rien, dit Nourse.

— Dans ce cas-là, ils s’échapperont une fois encore. Schruille haussa les épaules. Quelle importance ?

— Dans une autre mégalopole ? C’est ce que vous voulez dire.

— Le mal se répand. Il y avait des traîtres ici même, au Centre. Nous les avons supprimés, mais le…

— Je demande qu’on les arrête immédiatement ! aboya Nourse.

— Je suis de l’avis de Schruille, intervint Calipine. Que risque-t-on ?

— Plus tôt nous les aurons arrêtés, plus vite nous pourrons reprendre notre tâche, déclara Nourse.

— Mais nous remplissons notre tâche, remarqua Schruille.

— Vous aimeriez bien stériliser une autre mégalopole, n’est-ce pas, mon cher Schruille ? Nourse ricana. Laquelle cette fois ? Que penseriez-vous de Loovil ?

— Une fois m’a suffi, dit Schruille. Mais les goûts personnels n’entrent pas en ligne de compte.

— Votons alors, proposa Calipine.

— Tiens, bien sûr, vous êtes deux contre un, fit remarquer Nourse.

— Elle voulait parler d’un vote général. Schruille leva les veux vers les caméras. Le quorum est atteint.

Nourse regarda les écrans tout en sachant très bien qu’il était pris au piège. Mais il n’osa pas s’élever contre un vote ; d’ailleurs ses deux compagnons semblaient si sûrs d’eux. « Nourse, remplissons notre tâche. »