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— La guerre ? Svengaard avait entendu parler de ces éruptions de violence dont les Optimhommes protégeaient la masse. Impossible. C’est une maladie inconnue ou bien…

— Je vous ai présenté un fait établi. Jusqu’à la dernière décimale.

— De quoi parlent-ils ? hurla Calipine.

Quoiqu’elle entendît distinctement les paroles échangées entre les prisonniers, leur sens lui échappait toujours. Ils employaient des termes obscènes. Parfois, elle enregistrait un mot mais, comme le suivant ne se rattachait pas au précédent, elle perdait le fil de leur discours. Des obscénités, en fait.

— De quoi parlent-ils ? répéta-t-elle en frappant le bras de Schruille.

— Dans un instant, nous le saurons, répondit l’Optimhomme.

— Oui, nous apprendrons tout.

— Comment est-ce possible ? souffla Svengaard. Devant lui des couples dansaient entre les bancs, d’autres s’étreignaient, d’autres encore faisaient l’amour. À sa droite, deux Optimhommes commencèrent à s’invectiver, nez à nez. Svengaard croyait voir les murs s’écrouler, la terre s’ouvrir et des flammes en jaillir.

— Regardez-les, dit Glisson.

— Mais pourquoi ne parviennent-ils pas à compenser… cette modification ?

— Leur faculté compensatoire est atrophiée. En outre la compensation modifie à son tour l’environnement ; elle crée de nouveaux besoins. Regardez-les bien ! Ils sont en train de perdre tout contrôle d’eux-mêmes.

— Qu’on les fasse taire ! cria Calipine qui bondit sur ses pieds et s’avança vers les prisonniers.

Harvey, fasciné, la regarda s’approcher. Si les mouvements de Calipine manquaient de coordination, ses yeux étincelaient de fureur. Un tremblement agita tout le corps de Durant.

— Toi, dit Calipine en le montrant du doigt. Pourquoi me dévisages-tu ? Que marmonnes-tu ? Réponds-moi.

Harvey se sentit paralysé, non par la peur, ou par la menace renfermée dans la colère de Calipine, mais par la découverte qu’il venait de faire : Calipine était vieille. Quel âge avait-elle donc ? Trente ? Quarante mille ans ? Plus encore ?

— Parle, dis-nous ce que tu veux. Moi, Calipine, je te l’ordonne. Si tu nous montres du respect, nous saurons faire preuve de clémence, peut-être.

Harvey continuait de la regarder fixement sans dire un mot. Calipine paraissait ignorer la rumeur qui s’élevait peu à peu autour d’elle.

— Durant, dit Glisson, rappelez-vous l’existence des instincts, ces courants qui dirigent notre vie comme la pente d’un fleuve dirige son flot. Voyez autour de nous le changement qui s’opère. Le changement est la seule loi universelle.

— Elle est mourante.

Calipine, qui ne parvenait toujours pas à comprendre, fut touchée par la sollicitude qu’elle perçut dans la voix d’Harvey. Elle consulta le relais incorporé dans son bracelet et découvrit que cette sollicitude la visait, elle, Calipine, et non lui-même ou sa stupide épouse.

Des ténèbres l’envahirent et elle s’évanouit, les bras tendus vers les bancs.

Un rire sinistre filtra à travers les lèvres de Glisson.

— Il faut les aider, dit Harvey. Ils ne savent pas ce qu’ils font.

Schruille s’arracha soudain à sa léthargie. Sur le mur d’en face, il venait de découvrir de multiples points noirs : les Optimhommes avaient débranché les caméras. Les mouvements divers de la foule l’inquiétaient aussi : certains spectateurs sortaient de la salle en courant ou en vacillant, avec des rires ou des gloussements…

Mais nous devions procéder à un interrogatoire.

L’hystérie qui s’emparait de l’assistance le frappa de plein fouet. Il jeta un coup d’œil à Nourse.

Assis, les yeux clos, ce dernier marmonnait :

— De l’huile bouillante. Non, trop brutal. Il faut quelque chose de plus subtil, de plus lent.

— Je voudrais poser une question à cet homme, Harvey Durant, dit Schruille en se penchant en avant.

— Quoi ? Nourse ouvrit les yeux, s’inclina, puis reprit sa position antérieure.

— Que pensait-il obtenir ?

— Bonne question ! Harvey Durant, répondez.

Nourse effleura son bracelet ; en réponse la flamme pourpre avança de quelques centimètres.

— Je ne veux pas vous voir mourir, dit Harvey. Non.

— Répondez à la question, cria Schruille.

Harvey avala sa salive.

— Je voulais…

— Nous voulions une famille, répondit Lizbeth d’une voix ferme et posée. C’est tout. Nous voulions une famille. Des larmes jaillirent de ses yeux. Persuadée qu’aucun d’eux ne survivrait à cette épreuve insensée, elle se demanda à quoi son enfant aurait ressemblé.

— Quoi ? dit Schruille. Quelles sont ces sottises ? Une famille ?

— Où avez-vous trouvé l’embryon de remplacement ? demanda Nourse. Si vous répondez, nous ferons peut-être preuve de clémence.

Et le rayon mortel s’approcha un peu plus des prisonniers.

— Nous avons des viables immunisés contre le gaz contraceptif, annonça Glisson. Beaucoup même.

— Vous voyez, dit Schruille, je vous l’avais dit.

— Où se trouvent-ils ? demanda Nourse en regardant avec surprise sa main droite qui était prise de tremblements.

— Sous votre nez, répondit Glisson. Éparpillés dans la population. Ne me demandez pas de les identifier, je suis loin de les connaître tous. Personne ne les connaît.

— Vous ne vous échapperez pas, annonça Schruille.

— Aucun n’en réchappera, surenchérit l’autre Optimhomme.

— S’il le faut, continua Schruille, nous stériliserons toute la planète à l’exception du Centre et nous recommencerons tout.

— Avec quoi ? demanda Glisson.

— Comment ? Schruille cracha le mot à la figure.

— Où trouverez-vous les cultures génétiques ? Vous appartenez à une race stérile en voie d’extinction.

— Une cellule nous suffit pour fabriquer un double de nous-mêmes, rétorqua Nourse.

— Pourquoi ne pas l’avoir fait alors ?

— Vous osez nous interroger ? constata Nourse.

— Je vais répondre à votre place. Vous n’avez pas choisi la réduplication parce qu’un double est un être instable. En fait le procédé s’achemine vers sa fin.

Toujours allongée sur le sol, Calipine ne saisissait que des bribes de cet échange : « stérile », « extinction », « instable », « fin ». Des mots ignobles qui s’infiltraient dans les profondeurs où elle contemplait des rangées de saucisses grasses qui s’agitaient comme des germes devant un rideau de velours noir huileux. Des saucisses. Des germes. Enfin, pas exactement des germes, mais des réservoirs clos, bien protégés de germes qui paraissaient moins répugnants. Après tout, les germes représentaient la vie.

— Nous n’aurons pas besoin de culture génétique, affirma Schruille.

Calipine l’entendit parfaitement et elle comprit ses pensées. Les paroles prononcées par l’une des saucisses brillantes parvinrent enfin à sa conscience. Au Centre, nous en avons des millions. Et nous sommes en nombre suffisant. Les faibles gens de la masse, à la vie si brève, ne sont qu’un vestige répugnant de notre passé. Ce ne sont que des animaux domestiques dont nous n’avons plus besoin maintenant.

— J’ai découvert un châtiment pour ces criminels. Nourse avait parlé à voix haute pour couvrir le tohu-bohu. Nous exciterons leurs nerfs, micron par micron. Ce qui entraînera une douleur atroce et qui pourra durer des siècles.