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— N’importe comment, ça s’ra forcément mieux que c’te saloperie d’saucisse, fit-on à voix basse près du genou de Victor.

— … exploitation des mécanismes naturels pour créer l’illusion ! L’illusion, mesdames et messieurs, sans recours à la magie !… »

Les yeux de Victor descendirent doucement. Ils ne virent rien d’autre par terre que le petit chien qui se grattait avec application. L’animal leva lentement la tête et fit : « Ouah ? »

« … possibilités pour s’instruire ! Les arts ! L’histoire ! Je vous remercie, mesdames et messieurs ! Mesdames et messieurs, vous n’avez encore rien vu ! »

Il fit une autre pause dans l’espoir d’être applaudi.

Quelqu’un au premier rang lança : « C’est vrai, on a encore rien vu.

— Ouais, fit sa voisine. Quand est-ce que tu vas mettre ton baratin en veilleuse, qu’on voie le spectacle d’ombres ?

— C’est vrai, approuva sèchement une autre femme. Fais-nous donc « le lapin difforme ». Mes gosses, ils l’aiment bien, celui-là. »

Victor regarda un instant ailleurs, histoire d’endormir la méfiance du chien, puis ramena vite la tête pour lui jeter un regard noir.

L’animal observait benoîtement la foule, sans avoir l’air de prêter attention au jeune homme.

Victor se fourra un doigt inquisiteur dans l’oreille. Ce devait être l’effet d’un écho, quelque chose comme ça. Ce n’était pas parce que le chien avait fait « ouah ! » même s’il s’agissait là d’un phénomène unique ; la plupart des chiens de l’univers ne font jamais « ouah », ils ont des aboiements complexes dans le genre de « ouheuuuugh ! » et « houhouuf ! » Non, c’était parce qu’il n’avait pas aboyé du tout. Il avait dit « ouah ».

Il secoua la tête et reporta son attention sur Gauledouin qui dégageait de l’écran et faisait signe à un assistant de commencer à tourner une manivelle sur le côté de la boîte. Un grincement se fit entendre qui se mua en un cliquètement régulier. De vagues ombres se mirent à danser d’un bord à l’autre de l’écran, puis…

Une des dernières choses que se rappela Victor, ce fut une voix près de son genou qui déclara : « Ç’aurait pu être pire, m’sieur. J’aurais pu dire « miaou ». »

Olive-Oued rêve.

Huit heures plus tard.

Un Cogite Stibon affreusement plié en deux jeta un regard coupable vers le pupitre inoccupé à côté de lui. Ça ne ressemblait pas à Victor de manquer un examen. Il affirmait toujours que ça lui plaisait de relever le défi.

« Préparez-vous à retourner vos sujets », dit le surveillant au bout de la salle. Les soixante poitrines de soixante futurs mages se raidirent d’une tension sourde insupportable. Cogite tripota anxieusement sa plume porte-bonheur.

Le mage sur l’estrade renversa le sablier. « Vous pouvez commencer », lança-t-il.

Plusieurs des étudiants les plus farauds retournèrent leurs sujets d’un claquement de doigts. Cogite les détesta aussitôt.

Il tendit la main vers son encrier porte-bonheur, le rata complètement sous le coup de la nervosité et le fit tomber. Une petite marée noire inonda sa feuille.

La panique et la honte l’envahirent presque tout autant. Il épongea l’encre du bord de sa robe et l’étala doucement sur le bureau. Sa grenouille séchée porte-bonheur avait été emportée.

Rouge de confusion, dégouttant d’encre noire, il leva vers le mage de l’estrade un regard suppliant qu’il porta ensuite sur le pupitre libre voisin.

Le mage fit oui de la tête. La mine reconnaissante, Cogite traversa discrètement l’allée, attendit que son cœur ait cessé de battre la chamade, puis, tout doucement, retourna la feuille sur le bureau.

Au bout de dix secondes, et contre toute raison, il la retourna encore, des fois qu’on se serait trompé et qu’on aurait inscrit pour un motif quelconque le reste des questions de l’autre côté.

Autour de lui, il n’y avait que le silence intense de cinquante-neuf cerveaux grinçant sous l’effort soutenu.

Cogite retourna une fois de plus le papier.

Il s’agissait peut-être d’une erreur. Non… il y avait le sceau de l’Université, la signature de l’archichancelier et tout. Alors peut-être s’agissait-il d’un test particulier. Peut-être l’observait-on en ce moment pour voir ce qu’il allait faire…

Il jeta un coup d’œil furtif à la ronde. Les autres étudiants avaient l’air de travailler dur. Peut-être s’agissait-il d’une erreur, après tout. Oui. Plus il y pensait, plus ça paraissait logique. L’archichancelier avait sans doute signé les feuilles puis, lorsque les clercs les avaient remplies, l’un d’eux n’était pas allé plus loin que la première question capitale, on l’avait peut-être appelé ailleurs, n’importe quoi, personne n’avait rien remarqué, et le sujet avait atterri sur le bureau de Victor, mais comme Victor était absent, c’est lui, Cogite, qui en avait hérité, ce qui voulait dire, songea-t-il dans un brusque accès de piété, que les dieux avaient voulu qu’il en soit ainsi. Après tout, ce n’était pas sa faute si une espèce d’erreur le faisait bénéficier d’un tel sujet. C’était sûrement sacrilège, un truc comme ça, de laisser passer une occasion pareille.

Les correcteurs étaient tenus d’accepter les réponses qu’on donnait. Cogite n’avait pas partagé sa chambre avec la plus grande autorité en matière de procédures d’examens sans apprendre une chose ou deux.

Il regarda encore la question. Quel est votre nom ?

Il y répondit.

Au bout d’un moment, il souligna sa réponse, plusieurs fois, avec sa règle porte-bonheur.

Au bout d’un autre moment, pour faire preuve de bonne volonté, il inscrivit au-dessus : La raiponse à la quaistion un est :

Au bout de dix autres minutes, il se risqua à rajouter Se qui est mon nom sur la ligne en dessous et à le souligner.

Ce pauvre vieux Victor va drôlement regretter d’avoir manqué l’examen, se dit-il. Je me demande où il est.

Il n’existait pas encore de route pour Olive-Oued. Ceux qui voulaient s’y rendre prenaient la grand-route de Quirm puis, en un point non signalé dans le paysage broussailleux, bifurquaient et s’élançaient vers les dunes de sable. La lavande et le romarin sauvages bordaient les talus. On n’entendait d’autres bruits que le bourdonnement des abeilles et le chant d’une alouette au loin, ce qui rendait le silence encore plus évident.

Victor Tugelbend quitta la route là où le talus défoncé et aplani dénonçait le passage d’un grand nombre de charrettes et, manifestement, d’un nombre croissant de pieds.

Il lui restait encore beaucoup de kilomètres à parcourir. Il poursuivit sa marche forcée.

Quelque part au fond de sa tête, une toute petite voix posait des questions du genre « Où suis-je ? Pourquoi je fais ça ? » tandis qu’une autre partie de lui-même savait que rien ne l’obligeait vraiment à le faire. Comme la victime d’un hypnotiseur consciente qu’elle n’est pas franchement hypnotisée, qu’elle peut réagir à volonté mais qu’elle n’en a pas envie pour l’instant, il laissait ses pieds le guider.

Il n’était pas sûr de la motivation qui le poussait. Seulement qu’il y avait quelque chose à quoi il lui fallait participer. Quelque chose qui risquait de ne jamais se reproduire.

Derrière lui, à une distance qui se réduisait rapidement, Planteur Je-m’tranche-la-gorge arrivait tant bien que mal à cheval.