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— Et avec l’argent, insista Planteur dont la voix fonctionnait comme un pied-de-biche introduit dans une lézarde de la réalité, vous pourriez vraiment vous consacrer à perfectionner votre art. »

Gauledouin s’anima un peu. « C’est vrai, admit-il. Par exemple, trouver un moyen d’ajouter du son dans… »

Planteur n’écoutait pas. Il pointa le doigt vers un paquet de panneaux appuyés contre le mur.

« C’est quoi, ça ?

— Ah, répondit Gauledouin. Une idée à moi. On s’est dit que ce serait… euh… avoir la bosse du commerce (il savoura l’expression comme s’il s’agissait d’un nouveau bonbon rare) d’annoncer aux gens les autres films qu’on va sortir. »

Planteur saisit un des panneaux et le tint à bout de bras pour le considérer d’un œil critique. Le panneau disait :

La semayne prochayne nous projetterons

Pélias et Mélisande,

Une tragédye romanticke en deux bobynes.

Merci.

« Oh, laissa-t-il tomber.

— Ce n’est pas bien ? s’inquiéta Gauledouin, désormais complètement vaincu. Quand même, ça leur dit tout ce qu’ils doivent savoir, non ?

— Permettez ? » fit Planteur en prenant un bout de craie sur le bureau de Gauledouin. Il gribouilla énergiquement un moment au dos du panneau puis il le retourna.

À présent il disait :

Les dyeux et les homes étaient contre,

mais ils ont pacé outre !

Pélias et Mélisande, l’hystoire d’un amour interdy !

Une passyon dévorrante ors du tant et de l’ayspace !

Boulleversifiant !

Avec 1000 éléfants !

Victor et Gauledouin lurent attentivement, comme on lit un menu dans une langue étrangère. C’était effectivement une langue étrangère ; pire encore, c’était aussi la leur.

« Oui, oui, fit Gauledouin. Ma foi… je ne sais pas si c’était vraiment un amour interdit. Hum. C’est juste historique. Je me suis dit que ça apporterait quelque chose, vous voyez, aux enfants, tout ça. Ils apprendraient un peu d’histoire. Ils ne se sont jamais vraiment rencontrés, vous savez, c’est ce qui rend leur amour si tragique. C’était très… euh… très triste. » Il fixa le panneau. « Pourtant, je dois reconnaître, vous avez sûrement raison. Hum. » Un détail avait l’air de le gêner. « Je ne me souviens pas des éléphants, dit-il comme si c’était sa faute. Je suis resté pendant tout l’après-midi du tournage, et je ne me rappelle pas avoir vu d’éléphants. Je suis sûr que je les aurais remarqués. »

Planteur avait le regard fixe. Il ignorait d’où elles lui venaient, mais depuis qu’il réfléchissait à la question, il avait des idées très claires sur ce qu’il fallait mettre dans les films. Mille éléphants, c’était un bon début.

« Pas d’éléphants ? demanda-t-il.

— Je ne crois pas.

— Bon, alors, est-ce qu’il y a des danseuses ?

— Euh… non.

— Ou des poursuites effrénées, des gens accrochés par les doigts au bord d’une falaise ? »

La figure de Gauledouin s’éclaira légèrement. « Je crois qu’il y a un balcon, à un moment, dit-il.

— Oui ? Quelqu’un d’accroché par le bout des doigts ?

— Je ne crois pas. Il me semble que Mélisande se penche par-dessus.

— Oui, mais est-ce que les spectateurs retiendront leur souffle, des fois qu’elle tomberait ?

— J’espère plutôt qu’ils regarderont ce que dit Pélias, fit Gauledouin avec irritation. Il a fallu l’écrire sur cinq cartons. En tout petit. »

Planteur soupira.

« Moi, j’crois savoir ce qu’ils veulent, les gens, dit-il, et c’est sûrement pas perdre leur temps à lire des trucs écrits tout petit. Ils veulent des revues spectaculaires !

— La lecture des cartons ne leur suffit pas ? railla Victor.

— Ils veulent des danseuses ! Ils veulent du frisson ! Ils veulent des éléphants ! Ils veulent des types qui tombent des toits ! Ils veulent du rêve ! Le monde est plein de petites gens qui font de grands rêves !

— Quoi ? Vous voulez parler des nains, des gnomes, tout ça ? lança Victor.

— Non !

— Dites-moi, monsieur Planteur, intervint Gauledouin, vous faites quoi, exactement, comme métier ?

— Je vends des marchandises, répondit Planteur.

— Principalement des saucisses, précisa spontanément Victor.

— Et des marchandises, répliqua sèchement Planteur. J’vends des saucisses seulement quand l’commerce des marchandises tourne au ralenti.

— Et parce que vous vendez des saucisses, vous vous figurez pouvoir faire de meilleurs films ? lança Gauledouin. N’importe qui peut en vendre, des saucisses ! N’est-ce pas, Victor ?

— Ben… » fit Victor à contrecœur. Personne d’autre que Planteur n’était capable de vendre ses saucisses à lui.

« Ah, vous voyez, fit Gauledouin.

— Faut dire, reconnut Victor, que monsieur Planteur arrive même à vendre des saucisses à des clients qui lui en ont déjà acheté.

— C’est vrai ! » s’exclama Planteur. Il adressa un sourire radieux à Victor.

« Et un marchand qui peut vendre deux fois les saucisses de monsieur Planteur est capable de vendre n’importe quoi », ajouta le jeune homme.

Le lendemain matin était clair et radieux, comme tous les jours à Olive-Oued, et on commençait le tournage des Aventures estranges et passionnantes de Cohen le Barbare. Planteur avait planché dessus toute la soirée, prétendait-il.

Le titre, cependant, on le devait à Gauledouin. Planteur avait eu beau l’assurer que Cohen le Barbare était quasiment historique et sûrement éducatif, Gauledouin avait tenu bon contre la Vallée senglante.

On tendit à Victor ce qui ressemblait à une bourse en cuir, c’est-à-dire son costume. Il se changea derrière deux rochers.

On lui remit aussi une longue épée émoussée.

« Bon, expliqua Planteur depuis son fauteuil de toile, voilà ton programme : tu te bats contre les trolls, tu fonces détacher la fille du poteau, tu te bats contre les autres trolls, puis tu files te planquer derrière l’autre rocher, là-bas. C’est comme ça que je vois l’truc. Vous en dites quoi, Tommy ?

— Ben, moi… commença Gauledouin.

— Super, fit Planteur. Okay. Oui, Victor ?

— Vous avez parlé de trolls. Quels trolls ? » demanda le jeune homme.

Les deux rochers se déplièrent.

« Pas vous inquiéter, monsieur, fit le plus proche. Le Galène, là, et moi, tout bien noté.

— Des trolls ! s’exclama Victor en reculant.

— Eh oui », fit Galène. Il brandit un gourdin hérissé d’un clou.

« Mais… Mais… bafouilla Victor.

— Ouais ? » fit l’autre troll.

Ce qu’il aurait voulu dire, c’est : Mais vous êtes des trolls, des rochers ambulants féroces qui vivent dans les montagnes et assomment les voyageurs avec des gourdins énormes tout comme ceux que vous tenez là, et moi j’ai cru, quand ils ont parlé de trolls, qu’il s’agissait de types déguisés dans… oh, je ne sais pas, moi, de la toile à sac peinte en gris, quelque chose dans ce goût-là.

« Oh, bon, fit-il d’une petite voix. Hum.

— Et faut pas croire les histoires on mange les gens, dit Galène. D’la diffamation, ça, rien d’autre. J’veux dire, on est en caillou, quel intérêt manger les gens… ?

— Avaler, rectifia l’autre troll. Tu veux dire avaler.